Un peu plus que de la consolation


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Esaïe 52/1-12

1 Réveille -toi! réveille -toi! revêts ta parure, Sion ! Revêts tes habits de fête, Jérusalem, ville sainte ! Car il n’entrera plus chez toi ni incirconcis ni impur. 2 Secoue ta poussière, lève -toi, Mets-toi sur ton séant, Jérusalem ! Détache les liens de ton cou, Captive, fille de Sion ! 3 Car ainsi parle l’Éternel: C’est gratuitement que vous avez été vendus, Et ce n’est pas à prix d’argent que vous serez rachetés. 4 Car ainsi parle le Seigneur, l’Éternel: Jadis mon peuple descendit en Égypte, pour y séjourner; Puis l’Assyrien l’opprima sans cause. 5 Et maintenant, qu’ai-je à faire, dit l’Éternel, Quand mon peuple a été gratuitement enlevé ? Ses tyrans poussent des cris, dit l’Éternel, Et toute la durée du jour mon nom est outragé. 6 C’est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom; C’est pourquoi il saura, en ce jour, Que c’est moi qui parle: me voici! 7 Qu’ils sont beaux sur les montagnes, Les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles, Qui publie la paix ! De celui qui apporte de bonnes nouvelles, Qui publie le salut ! De celui qui dit à Sion: ton Dieu règne ! 8 La voix de tes sentinelles retentit; Elles élèvent la voix, Elles poussent ensemble des cris d’allégresse; Car de leurs propres yeux elles voient Que l’Éternel ramène Sion. 9 Éclatez ensemble en cris de joie, Ruines de Jérusalem ! Car l’Éternel console son peuple, Il rachète Jérusalem. 10 L’Éternel découvre le bras de sa sainteté, Aux yeux de toutes les nations; Et toutes les extrémités de la terre verront Le salut de notre Dieu. 11 Partez, partez, sortez de là! Ne touchez rien d’impur ! Sortez du milieu d’elle! Purifiez -vous, vous qui portez les vases de l’Éternel ! 12 Ne sortez pas avec précipitation, Ne partez pas en fuyant; Car l’Éternel ira devant vous, Et le Dieu d’Israël fermera votre marche.

Chers frères et sœurs, la foi n’a rien d’un folklore. La foi a tout à voir avec la vie réelle, avec ce qu’il y a de plus vrai dans notre histoire personnelle. La foi, a tout à voir avec ce qui nous concerne au plus haut point, avec ce qui nous préoccupe fondamentalement – la vie, la vie dans toute son étendue. La vie avec son éclat et ses misères. Pour le dire avec ce passage biblique que nous venons d’entendre, la foi c’est ce qui éveille les consciences. La foi c’est ce qui repère ce qui est divin et ce qui ne l’est pas. La foi, c’est ce qui forge une solidarité universelle.

  1. Éveiller les consciences

« Réveille-toi ! réveille-toi ! » clame le prophète à son peuple manifestement assoupi. Non seulement ouvre les yeux, mais prends conscience de ce qui se passe, de ce qui se trame autour de toi. La version grecque emploie le verbe exegeiro, qui est encore plus puissant que le terme egeiro qui dira la résurrection dans le Nouveau Testament. Se réveiller de la torpeur. Se réveiller de l’assoupissement que produisent l’habitude, la rengaine, les certitudes.

Le peuple hébreu s’était habitué à la situation d’asservissement à laquelle il avait été soumis par Babylone. Il s’était fait à cette situation. Il avait pris le pli. Il s’était fait une raison, en somme. C’était comme ça – qu’est-ce qu’on peut y faire ? mais le prophète Ésaïe est le porte-parole d’un Dieu qui ne s’habitue pas à ce qui est contraire à la vie en plénitude. Ésaïe est le prophète d’un Dieu qui ne se caractérise pas par la résignation. C’est pour cela que la foi est un éveil des consciences. La foi est une sensibilité à ce qui se passe, à ce qui advient. C’est un regard ouvert et pénétrant sur les situations, sur les personnes. La foi, c’est le fait d’être concerné par ce qui se passe.

La première prise de conscience concerne la capacité propre du peuple. Ouvrir les yeux sur soi. Prendre conscience de notre véritable valeur. « Revêts-toi de ta force, Sion », prends conscience de ta puissance. Ne te laisse pas engourdir par les discours dénigrants, les discours qui réduisent à rien ta dignité. La foi, c’est un regard pénétrant sur les situations, sur les personnes, et sur soi. C’est découvrir des capacités peut-être enfouies, éteintes, mais qui peuvent être ressuscitées quand l’appel de la vie se fait à nouveau pressent. La foi est cette sensibilité à l’appel de la vie sous toutes ses formes, qu’il s’agisse des cris de joies, ou qu’il s’agisse des cris de détresse.

La deuxième prise de conscience concerne notre condition. Le réveil consiste à prendre conscience de ce qu’on a fait de nous. Ici, le prophète révèle que le peuple a été vendu gratuitement (v. 3) et puis il est précisé qu’il a été « enlevé gratuitement » (v. 5). Cela indique que le peuple a subi ce qui lui est arrivé. Il n’y a pas eu de consentement dans l’enchaînement des faits. Il n’a pas pris part à un commerce équitable : le peuple a été victime de l’histoire qui s’est déroulée à ses dépens. La foi, c’est cette sensibilité à ce qui se passe, c’est alors ce qui nous permet de pouvoir porter un jugement sur les situations que nous rencontrons et que nous endurons. C’est ainsi que nous pouvons déterminer ce qui est juste, et ce qui ne l’est pas. C’est ainsi que nous pouvons déterminer qui est victime et qui est agresseur. En constatant qu’il a des liens au cou, le peuple prend conscience de sa condition de servitude, de sa captivité.

  1. Repérer ce qui est divin et ce qui ne l’est pas

Avoir une pleine conscience de ce qui arrive, c’est avoir des critères pour juger des situations. Et C’est dans cette direction que le texte construit notre spiritualité comme ce qui nous rend capables de repérer ce qui est divin et ce qui ne l’est pas. Voilà nos critères, en christianisme.

À travers la figure biblique de Dieu, les rédacteurs ont élaboré une sorte de cartographie de la vie en distinguant ce qui vient de Dieu et ce qui ne vient pas de Dieu. C’est une manière de qualifier les différents aspects de la vie, à une époque où des concepts tel que le « souhaitable », le « propice », n’ont pas été théorisés. Rapporter des actions à Dieu, c’est qualifier ces actions de bonnes, de vivables, de souhaitables, de désirables. Cela permet d’identifier, ensuite, dans notre quotidien, ce qui est souhaitable, ce qui va dans le sens d’une vie plus épanouie.

Les rédacteurs bibliques font avec des catégories qui ne nous sont plus forcément familières au XXIè, mais qui n’ont pas perdu toute leur pertinence. Il y a, par exemple le pur et l’impur. L’élaboration minutieuse du catalogue de l’impur est une manière de repérer ce qui abîme la vie, ce qui la rend impossible, ce qui est contraire à la vie. C’est la raison pour laquelle il est conseillé au peuple de secouer sa poussière, de même que Jésus le recommandera aux apôtres quand ils seront dans des lieux inhospitaliers : c’est une manière de montrer que nous n’avons rien à faire avec les pratiques impures, nous ne nous commettons pas avec ceux qui dégradent l’existence, avec ceux qui rognent sur ce qui est essentiel à la vie. La distinction entre le pur et l’impur est une manière de se repérer au milieu de tout ce qui arrive et de faire un peu le tri. Plutôt que de raisonner avec des catégories abstraites du bien et du mal qui sont finalement assez relatives d’une personne à une autre, les rédacteurs bibliques raisonnent souvent avec le pur et l’impur. Le pur est ce qui augmente les capacités de vie. L’impur est ce qui les réduit.

Même chose avec un autre couple de mots dans ce passage biblique qui oppose le salut de Dieu à la fuite. Quand Dieu agit, le peuple est sauvé, il peut se revêtir d’un habit de fête et aller sa route. Quand c’est la fuite qui nous conduit, ce n’est pas Dieu qui agit. Sommes-nous sur le point de fuir, avons-nous de bonnes raisons de fuir ? Alors ce n’est pas Dieu qui est à la manœuvre – pour le dire avec le langage mythologique de la Bible. Et dans ce cas, ce qui arrive n’a rien de divin, ce n’est pas ce qui est souhaitable.

Les textes bibliques ne donnent pas de solutions diplomatiques aux crises internationales ; ils n’indiquent pas les conduites à tenir pour réagir. Les rédacteurs donnent aux lecteurs les critères qui vont leur permettre d’exercer leur propre jugement afin d’identifier ce qui doit être arrêté, ce qui doit être encouragé, identifier ceux qui agressent et ceux qui sont victimes. Il nous appartient non seulement de rassembler les informations nécessaires pour les soumettre à ces critères, mais il nous appartient d’imaginer ensuite les décisions qui nous permettront de réagir en respectant ces mêmes critères. Inscrire nos actes dans la perspective divine, c’est une autre manière de dire que nous agissons en restant profondément humains : nous ne sacrifions pas notre humanité dans une situation particulièrement sauvage.

  1. La foi forge une solidarité universelle

La prière est ce qui peut nous rendre capables de ne pas succomber à la tentation d’endosser nous-mêmes les habits du sauvage. Rappelons-nous que ce sont les habits de la puissance et les habits de fête qu’il convient de revêtir. Pas les habits du barbare. La prière, le fait de se tenir face à Dieu change les choses. Le fait de penser notre vie en tenant compte des caractéristiques divines qui sont une manière de dire ce qui rend humain, la prière donc, a un impact sur nous, sur notre personnalité, sur nos convictions et donc sur nos actions ou nos réactions. C’est en ce sens que notre prière peut avoir un impact sur des situations avec lesquelles nous ne sommes pas en prise directe.

Pour comprendre cela, il faut d’abord réaliser que la foi forge une solidarité universelle. Cela s’exprime au verset 10 qui décrit Dieu en train de découvrir le bras de sa sainteté, de sorte que toutes les extrémités de la terre voient le salut de Dieu. Cela signifie que le salut opéré par Dieu pour Israël vaut pour tous les peuples. Cela dit le caractère universel du Dieu d’Israël et, par conséquent, le lien qui existe entre tous les peuples. Ce sera la grande avancée du monothéisme qui a vu le jour chez Esaïe dans les chapitres qui précèdent : le Dieu unique, c’est une manière théologique de dire l’unité des êtres humains. Le salut d’un être humain a donc des conséquences sur les autres. Que Dieu soit le Dieu de tous, voilà qui forge une solidarité de tous avec tous. Il en résulte que le salut des uns concerne le salut des autres. Et la perdition de l’un a des répercussions sur les autres. Cette solidarité universelle n’est pas le résultat d’une idéologie qui voudrait lutter contre l’égoïsme et ferait de la fraternité universelle une posture. Non. Ce principe de solidarité universelle est un principe de réalité qui constate que nous sommes toutes et tous en interaction les uns avec les autres. Ce qui se passe au loin a un impact sur nous et notre situation personnelle a des répercussions autour de nous. C’est ce qu’expliquait Jean-Paul Sartre à la fin de son livre Les mots : « Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires [ce qui est bien possible quand l’espérance vacille sérieusement], que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » Quand tout a été évacué, quand tout a été détruit, reste cette vérité théologique selon laquelle nous sommes créés par Dieu, ce que Sartre dit à sa manière en disant qu’un homme est fait de tous les hommes.

Si nous n’observons pas la sainteté du bras de Dieu, autrement dit, si nous ne sommes pas tendus vers l’avenir par une éthique qui favorise l’humanité, alors nous sommes guidés par des perspectives qui favorisent l’anéantissement. Et cela a des conséquences pour autrui. Si nous ne sommes pas des âmes tendues vers un idéal d’humanité alors nous provoquons autour de nous l’anéantissement de l’humanité.

Prier pour l’Ukraine a du sens dans la mesure où nous n’imaginons pas que nous allons expliquer à un Dieu des armées quelle va être sa feuille de route et les opérations qu’il va devoir mener dans les prochaines 24 heures. Prier pour l’Ukraine, par exemple, c’est intégrer les critères dont nous avons parlé et d’autres qui figurent ailleurs dans la Bible, pour forger notre conviction sur le sujet. Et c’est tenir bon. Si je flanche, l’Ukraine flanche. Si je cède, l’Ukraine cède. Parce que le soutien des peuples opprimés n’est jamais sans conséquence lorsque le soutien est sérieux, lorsqu’il est tangible, lorsqu’il n’est pas seulement du bout des lèvres et pas uniquement quand nous n’avons rien de mieux à faire.

Dans la situation qui est la nôtre et qui est autrement plus prégnante que bien d’autres crises internationales auxquelles la France est pourtant mêlée, la prière n’est pas ce qui va empêcher les canons des uns de viser juste ou ce qui va démultiplier le nombre de fantassins des autres. La prière est ce qui va nous permettre de tenir bon. Tenir bon sur les mesures économiques qui vont être prises, par exemple, et qui auront des conséquences sur notre vie personnelle parce que les répercussions économiques ne seront pas anodines. Ce fut le cas lors de la crise sanitaire avec une augmentation considérable de la dette française, ce sera à nouveau le cas avec une raréfaction de certaines énergies en Europe, la raréfaction de certains produits alimentaires et la diminution de nos exportations. Si la guerre a un coût, la recherche de la paix a, elle aussi, un coût. La liberté a un coût. Prier pour garder en ligne de mire le bras de sainteté de Dieu, c’est ce qui nous permettra de ne pas flancher, de ne pas renoncer à notre idéal de justice, à cette fraternité de fait que la théologie chrétienne révèle et qu’elle célèbre. Car, pour le dire avec le théologien Karl Barth lorsqu’il observa la société allemande dans les années 1930, ce n’est pas tant la violence des méchants qui est à craindre, que la lâcheté des justes.

Prier pour tenir bon dans une situation épouvantable et ne pas céder à la tentation d’abandonner la partie, d’en finir prématurément comme Stefan Zweig il y a 80 ans, le 22 février 1942, parce qu’il ne supporta pas de voir l’Europe se défaire. Prier pour être consolé par Dieu, non pas selon la pensée magique que Dieu pourrait effacer les problèmes comme on le fait avec une ardoise magique. Mais prier pour être consolé par Dieu de n’être que ce que nous sommes, incapables de pouvoir enrayer les mécaniques folles de l’histoire, et, néanmoins, capables de revêtir les tenues d’apparat et de proférer des cris de triomphe, d’être la voix des sentinelles qui portent de bonnes nouvelles car nous ne perdons pas de vue le bras de sainteté, c’est-à-dire l’éthique qui favorise la justice, la liberté. Prier pour ne pas se laisser vaincre par le mal, et, ainsi surmonter le mal par le bien (Rm 12). Et donc prier pour un peu plus que de la consolation. Prier pour que le courage d’être ne soit pas qu’une belle expression à laquelle nous adhérons volontiers par temps calme. Prier pour ne pas flancher. Prier pour ne pas faiblir. Prier pour maintenir visible le salut, la perspective du salut, jusqu’aux extrémités de la terre, jusque dans les lieux où la bride a été passée sur le cou de nos frères et sœurs. Prier pour que la liberté, c’est-à-dire la souveraineté qu’on peut exercer sur soi-même, ne soit pas anéantie.

Prier que nous fassions advenir ce jour où nous pourrons dire : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes, Les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles, Qui publie la paix ! De celui qui apporte de bonnes nouvelles, Qui publie le salut ! De celui qui dit à Sion: ton Dieu règne ! »

 

Amen

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