La vocation prophétique

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Jérémie 1:11-12
11 La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots: Que vois -tu, Jérémie ? Je répondis: Je vois une branche d’amandier. 12 Et l’Éternel me dit: Tu as bien vu; car je veille sur ma parole, pour l’exécuter.

Chers frères et sœurs, que l’automne ait désormais pris ses quartiers n’est pas une raison suffisante pour ne pas célébrer le printemps. S’il va de soi que les rédacteurs bibliques n’ont jamais cherché à produire des manuels de météorologie ni un guide des saisons climatiques, il est vrai qu’ils ont mis à profit ces aspects de la vie pour développer des métaphores qui parlent de notre vie quotidienne. Ainsi, face à un figuier qui était tout à fait dépourvu de figues alors que ce n’était pas la saison de figues (Mc 11/13) – ce qui est donc naturel, Jésus annonce que plus personne ne se nourrira de ce figuier sans figue (v.14). Dans le cas de Jésus, cela montre que son attitude ne consiste pas à se soumettre à l’ordre naturel des choses. Cela montre que Jésus ne propose pas de conformer notre vie à ce que la sagesse populaire tient pour juste. L’Évangile vient faire irruption dans une mécanique bien huilé et propose un autre ordre du monde. Jésus révèle que le figuier qui symbolise le temple est appelé à être fécond en toutes circonstances.

Ainsi en allait-il déjà pour Jérémie. Jérémie va découvrir qu’il est appelé à devenir prophète, ce qui consiste à ouvrir les yeux et à dire ce qu’il voit. Non pas dire ce qu’il pense, mais dire ce qu’il voit, sur la recommandation de l’Éternel. C’est cela la vocation prophétique, voire et dire.

  1. voir avec les yeux de Dieu

Ce que Jérémie voit, c’est donc une branche d’amandier. L’amandier, shaqed en hébreu, est de la même famille que le verbe shaqad qui sera employé au verset suivant pour dire que l’Éternel veille sur sa parole. Shaqad, c’est veiller, et même éveiller, si nous suivons la traduction grecque de la Septante. Voir la branche de l’amandier, c’est être attentif à cet arbre qui fleurit pour annoncer le printemps. C’est la branche qu’il faut avoir à l’œil pour voir le premier frémissement de la vie qui reprend le dessus après l’hivernage qui donne l’impression d’avoir tué la nature.

La nature, quoi qu’immobile, quoi qu’ayant l’apparence de la mort, contient encore en elle tout ce qu’il faut pour jaillir à nouveau et changer la couleur du paysage et l’allure des lieux. C’est à cela que Jérémie doit être attentif : voir tout ce qui annonce le retour du printemps, tout ce qui indique la vie capable de reprendre le dessus. C’est cela être prophète. C’est cela la vocation prophétique de l’Église. C’est à cela que nous sommes appelés si nous voulons faire nôtre cette mission confiée à Jérémie.

Il s’agit d’être sensible à tous les frémissements. Il s’agit d’être sensible à toutes les initiatives qui vont dans le sens du divin, puisqu’il ne s’agit pas d’autre chose que de repérer l’action de Dieu dans notre histoire. Dieu qui accomplit sa parole, voilà ce que le prophète doit voir et, pour cela, il doit être sensible à la présence de Dieu dans le monde.

Comment voir Dieu dans le monde ? En regardant le monde avec le regard de Dieu, rien de moins. Être prophète, c’est être les yeux de Dieu dans le monde. Pratiquement, nous pouvons être les yeux de Dieu en regardant le monde, la vie quotidienne, à travers le prisme de la Bible. La Bible a été rédigée par des personnes qui ont essayé de voir le monde du point de vue de Dieu. Ce sont des rédacteurs qui ont essayé d’être les yeux de Dieu. Pour cela, ils ont regardé la vie à la lumière de ce qu’il y a de sacré dans la vie. Par exemple, quand l’auteur du psaume 104 regard l’environnement, il le fait à partir du récit de la création en Genèse 1 (c’est la même structure). Cela signifie qu’il regarde la nature non pas comme on regarde Dieu, mais comme on regarde une création. Et ce qui compte pour lui, c’est de voir l’acte de la création à l’œuvre dans le monde. Créer est sacré pour le rédacteur de la Bible qui en fait un critère pour regarder ce qui, dans l’histoire, va dans le sens de Dieu.

Lorsque les prophètes Amos ou Jérémie vont dénoncer des situations qui sont odieuses, c’est en fonction du critère de la justice, tel qu’il sera élaboré dans le livre du Deutéronome, ce qui est un autre critère. Ces deux prophètes ne voient pas ce qui les arrange ; ils ne voient pas ce qui leur fait plaisir ; ils voient l’exigence divine dans l’histoire humaine ou, plus exactement, ils confrontent ce qu’ils voient à la justice telle qu’elle est révélée par la réflexion des rédacteurs bibliques qui y ont réfléchi de manière théologique, c’est-à-dire en prenant un point de vue universel. C’est en fonction de cet idéal de justice qu’ils relativisent l’intérêt du culte offert à l’Éternel quand on laisse des gens dans la misère.

Autre critère, la liberté, qui est dans l’entête du décalogue. Sans la liberté, les paroles de Dieu ne peuvent pas être accomplies. C’est la raison pour laquelle Jésus souligne ce qui va dans le sens de la libération des personnes qu’il croise et cela explique le refrain de nombreuses rencontres qu’il fait : « ta foi t’a sauvé ! »  Jésus est témoin des situations de réussite quand il dit cela. Il souligne que l’amour de la vie de certaines personnes l’a emporté sur ce qui retient la vie captive. Il souligne le désir d’humanité qui l’a emporté sur ce qui défigure l’humanité. Il met en évidence leur liberté, cette liberté qui leur a donné la possibilité de faire preuve d’audace en s’élançant vers Jésus, en s’adressant à lui, parfois en l’interpellant, en franchissant les barrières sociales, religieuses ou en transgressant la bienséance de l’époque.

Tout cela, le prophète est appelé à le voir, parce que tout cela est le signe de l’action de Dieu dans notre histoire. Ce qui va dans le sens de la créativité, ce qui va dans le sens de la justice, ce qui va dans le sens de la libération.

  1. Répondre, être responsable

Mais être prophète ne peut se résumer à voir, sans quoi ce serait une sorte de curiosité mal placée. Être prophète, ce n’est pas faire du voyeurisme. Être prophète, c’est porter auprès des autres ce dont on a été témoin. Le prophète profère : il porte auprès de ses contemporains le récit des merveilles de Dieu qu’il a aperçues et qui ne sont pas encore visibles pour les personnes non averties.

Le prophète est donc une vigie. Nous sommes les vigies de notre société. Nous sommes rendus sensibles à l’action de Dieu par la lecture de la Bible, et nous sommes appelés à dire ce dynamisme créateur que nous voyons effectivement à l’œuvre pour que ce que nous avons vu, ou lu, ne reste pas lettre morte.

Être prophète, c’est répondre à l’Éternel « je vois une branche d’amandier ». Aujourd’hui, être prophète, c’est être responsable et c’est dire la vie à chaque fois qu’elle se fraye un chemin. C’est ainsi que nous pouvons ouvrir les yeux de nos contemporains sur les choses admirables qui se font. C’est ainsi que nous pouvons attirer l’attention de notre prochain sur Dieu qui agit dans notre histoire, c’est-à-dire sur toutes les initiatives qui sont prises, dans les différentes strates de la société, dans les différents domaines de la vie, et qui vont dans le sens de l’espérance de Dieu telle qu’elle se manifeste à travers les textes bibliques et dont je vous ai donné trois exemples avec la créativité, la justice et la liberté.

Dieu interroge Jérémie pour déclencher chez lui un regard théologique sur la vie. Dieu a interrogé Jérémie pour susciter chez lui un enthousiasme, le fait d’être en-théos, en Dieu. Et les rédacteurs bibliques ont mis en mots les visions des prophètes pour en faire des épopées à même de ressusciter le désir de s’engager personnellement dans de telles dynamiques. Les rédacteurs bibliques ont mis en scènes des récits de succès, ils ont décrit comment la vie divine pouvait l’emporter contre toute attente, contre la nature des choses qui va vers le chaos. Les rédacteurs bibliques ont rédigé des épopées pour nous donner le goût d’une vie portée à hauteur de l’espérance de Dieu, pour nous donner le goûts d’entreprises qui ont l’ambition de Dieu, pour favoriser tout ce qui peut concourir à poursuivre l’œuvre divine qui rend le monde infiniment plus vivable et qui nous rend infiniment plus humains.

Amen

 

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