« Femmes, soyez soumises à vos maris »


Écouter le culte – télécharger

Écouter la prédication – télécharger

 

Chers frères et sœurs, qu’y a-t-il à ajouter à cette phrase de l’apôtre Paul ? Faut-il préciser les modalités de la soumission dont il est question, préciser tous les domaines de la vie dans lesquels cette injonction doit s’appliquer ?

En fait, la question n’est pas de savoir ce qu’il faut ajouter, mais ce qu’il faut retirer, car cette phrase que nous avons entendue bien des fois n’est pas une phrase biblique ou, pour être plus précis, l’apôtre Paul n’a pas écrit cela. Si nous mettons de côté la traduction de Louis Segond qui ne diffère pas beaucoup des autres traductions classiques, et que nous regardons le texte grec, quelques surprises s’offrent à nous.

Première surprise, il n’y a pas le verbe « soumettre » dans cette phrase.

Il n’y a tout simplement pas de verbe dans cette phrase qui, lue littéralement, donnerait quelque chose comme : « les femmes vers leurs propres hommes comme vers le Seigneur ».

C’est la traduction latine, la Vulgate qui nous a induits en erreur avec l’expression « que les femmes soient soumises », en s’appuyant sur des manuscrits qui ne sont pas les plus anciens et dans lesquels le verbe a été ajouté. Il n’y a pas de verbe parce que la phrase ne commence pas là, en fait, mais au verset précédent, ce qui n’est pas du tout rendu dans notre traduction ni dans nos éditions.

Or le verset précédent stipule : « Etant soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ». Le verbe soumettre est construit au participe présent passif, autrement dit il n’a rien à voir avec l’ordre de l’impératif « soyez soumises ». Non seulement il n’y a pas un ordre donné, mais en plus le verbe est marqué par la réciprocité puisqu’il est question d’être soumis les uns aux autres dans la crainte, c’est-à-dire dans le respect du Christ. La soumission est mutuelle et universelle. Elle n’est pas réservée à quelques uns ou, en l’occurrence, à quelques unes.

Continuons à regarder de près ce verset 22.  Les traductions mettent « femmes » en apposition, comme si le texte grec employait un vocatif par lequel on met quelque chose en exergue.

[DIAPO] Ici, « femmes » ne sont pas mis en apposition, comme le suggère la virgule dans la traduction, et il faudrait ajouter l’article défini « les » qui est bien présent dans le texte grec. Cela adoucit quelque peu le propos qui est bien martial autrement, quoi qu’il faille reconnaître que le vocatif, l’apposition, est une forme respectueuse et non désobligeante.

 

 

Ensuite, il est question de « maris », selon nos traductions. Mais alors, cela signifie que les femmes ont plusieurs maris ? Le terme grec est aner, andros… ce qui désigne l’homme au sens masculin, avant de parler de l’homme marié. Paul suggérerait-il que les femmes sont polyandriques, qu’elles ont plusieurs hommes ? et le fait que soit précisé idiois, ce qui désigne ce qui nous est propre, ce qui nous est personnel, indiquerait-il qu’il s’agit des maris qui appartiennent en propre aux femmes dont il est question ?

La phrase commence avant le verset 22, elle continue au verset 23 où la traduction classique est plus proche du texte grec, si ce n’est qu’il est écrit « que l’homme est la tête de la femme comme le Christ est la tête de l’Église » et non qu’il est le chef. Mais il est vrai que la tête est une image classique pour parler du chef, ce qui expliquer qu’on parle du couvre-chef qui est en fait un couvre-tête ; quant à la tête de l’exécutif, dans l’univers politique, c’est le chef du gouvernement.

La Bible commence par le mot « tête » qui indique une étape chronologique. « Entête », c’est le commencement, ce qui fonde au sens où tout le reste devient possible. De même que le Christ suscite l’Église, l’homme suscite la femme, il lui donne une existence propre, il lui donne sa liberté, de même que la tête permet à chaque membre du corps de donner toutes ses capacités. Et, selon la clause de réciprocité du verset 21, c’est également vrai dans l’autre sens. La femme fonde l’homme et, du point de vue universel qui est celui de Paul (il n’y a plus ni hommes ni femmes en Christ, Galates 3/28), chaque être humain fonde les autres êtres humains. C’est la présence de l’autre qui fait de moi quelqu’un. En nous mettant sous les uns les autres, nous nous levons le visage les uns les autres.

Ce débroussaillage du texte biblique nous permet de mieux appréhender l’ensemble du texte qui nous dit bien autre chose que ce qu’on entend parfois lors des cérémonies de mariage à savoir qu’il existerait un décret divin disant que l’homme commande dans le foyer, que la femme doit lui obéir en toutes choses et que la femme doit être une bonne petite femme d’intérieur pour choyer son petit mari quand il rentre du travail, travail par lequel il subvient, seul, aux besoin de la famille. Bref, la place de la femme serait à la cuisine ce qui expliquerait qu’elle se marie en blanc : pour être coordonnée à l’électroménager.

Vivre selon Christ

Prenons maintenant le temps de lire ce passage biblique Ep 5/21-33 pour y entendre ce qui est une bonne nouvelle, pour les hommes et pour les femmes.


Ephésiens 5/21-33

21 vous soumettant les uns aux autres dans la crainte de Christ. 22 Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur; 23 car le mari est le chef de la femme, comme Christ est le chef de l’Église, qui est son corps, et dont il est le Sauveur. 24 Or, de même que l’Église est soumise à Christ, les femmes aussi doivent l’être à leurs maris en toutes choses. 25 Maris, aimez vos femmes, comme Christ a aimé l’Église, et s’est livré lui-même pour elle, 26 afin de la sanctifier par la parole, après l’avoir purifiée par le baptême d’eau, 27 afin de faire paraître devant lui cette Église glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irrépréhensible. 28 C’est ainsi que les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. 29 Car jamais personne n’a haï sa propre chair; mais il la nourrit et en prend soin, comme Christ le fait pour l’Église, 30 parce que nous sommes membres de son corps. 31 C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. 32 Ce mystère est grand; je dis cela par rapport à Christ et à l’Église. 33 Du reste, que chacun de vous aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari.

  1. Protéger

Commençons par revenir sur le verbe « soumettre » qui, en grec, se dit upotasso, « mettre sous », « placer sous ». Cela peut nous faire entendre un rapport de subordination, mais ce n’est pas le cas dans ce passage biblique puisque le verset précédent dit que tout le monde doit se soumettre à tout le monde, selon un principe de réciprocité. Ce ne sont donc pas seulement les femmes qui doivent se placer sous les hommes, mais aussi les hommes qui doivent se placer sous les femmes. Autrement dit « soumettez-vous les uns aux autres », de sorte que personne ne prenne l’ascendant sur qui que ce soit.

Placez-vous sous les autres et que les autres se placent sous vous, comme on se protège mutuellement. Ce dont il est question ici, c’est plutôt d’une couverture universelle. Il est question, ici, d’une solidarité universelle des uns vers les autres, de tous vers tous. On pourrait reprendre l’image moderne de l’assurance : on se place sous la garantie qu’une assurance couvrira nos problèmes et les assurances, elles-mêmes, s’assurent auprès d’autres assurances pour se couvrir en cas de gros pépin.

Se mettre sous, ce n’est pas se mettre nécessairement sous le joug de quelqu’un. De même qu’obéir, se mettre sous l’écoute de quelqu’un, selon terme grec upakouo en grec, ce n’est pas nécessairement abandonner son indépendance, c’est se mettre au bénéfice d’une parole dont nous avons besoin pour mieux vivre. Ici, Paul rappelle que nous vivons mieux en nous plaçant mutuellement les uns sous les autres, ce qui est bien différent que de vivre les uns sur les autres ou encore les uns contre les autres. Par ailleurs Paul recommandera de considérer les autres comme supérieurs à nous, comme au-dessus de nous (Philippiens 2/3). Il est question d’humilité universelle sous la plume de Paul, pas d’humiliation générale, d’autant que, je le rappelle, il n’y a pas de verbe conjugué à l’impératif, mais un participe présent passif qui traduit de la douceur plutôt que de la violence. Imagine-t-on que Katharine Hepburn dans les bras de James Stewart, autour de la tête duquel elle a passé ses bras, est une femme soumise ?

Ce dont il est question chez Paul, c’est d’une théologie de l’alliance : la soumission mutuelle consiste à se mettre sous la responsabilité de l’autre, et réciproquement. S’il t’arrive quelque chose, je serai là pour répondre avec toi aux défis qui se présentent. Et s’il m’arrive quelque chose, tu seras là pour répondre avec moi. Cette forme de soumission mutuelle, qui est une alliance, permet de créer un havre de paix, un lieu de refuge et de ressourcement. Ce n’est pas une manière de vivre sur le dos du plus faible. La soumission mutuelle, ici, est à comprendre comme une protection mutuelle. L’alliance qui se dessine permet de créer une zone franche par rapport à la peur de l’avenir ou par rapport à différents types de menaces, par exemple la rivalité qui caractérise bien souvent les relations dans le monde professionnel. La soumission envers celui qui aime permet d’exorciser la peur que provoquent ceux qui haïssent.

Katharine Hepburn peut dormir tranquillement dans les bras de James Stewart qui lui fredonne over the rainbow.

  1. aimer

Ce qui rend tout cela possible est l’amour. Tout se joue autour de l’amour, dans ce passage biblique. Les hommes sont appelés à aimer les femmes comme le Christ a aimé l’Église d’un amour agapè – ce qui est souvent oublié dans les prédications qui veulent ravaler les femmes au rang de paillasson, ce qui n’était peut-être pas très à la mode à l’époque de Paul.

Christ n’a pas aimé selon l’amour éros qui désire chez l’autre ce qui nous manque – et qui pourrait se traduire par un véritable rapport de domination dont il n’est pas question chez Paul. Christ n’a pas non plus aimé selon l’amour philia qui aime dans une logique d’échange de bons procédés – tu es gentil avec moi, je suis gentil avec toi. L’agapè, c’est aimer au sens de prodiguer à l’autre ce dont il a besoin pour réaliser sa vocation personnelle, pour être heureux. C’est aimer dans le sens de servir, par grâce seule.

dépasser les institutions, la morale, les formes

Il n’y a pas dans ce passage biblique la moindre mention du mariage. Le verbe marier gameo, n’est pas employé. Ici, il est question des hommes et des femmes hors du contrat du mariage, indépendamment des relations conjugales. Ce qui intéresse Paul, ici, ce n’est pas la morale ni le cadre légal dans lequel chacun devrait vivre. Ce qui intéresse Paul, c’est l’art d’être en relation les uns avec les autres, un art qui peut s’inspirer de ce que le Christ a manifesté. Le Christ n’a pas été marié, du moins cela n’a pas constitué un fait qui aurait structuré sa vie. En revanche, le Christ a aimé. Il a totalement aimé. Il a aimé tout le monde. Il a aimé tous ceux qui sont appelés par Dieu à former l’humanité et qui, pour cette raison, constituent l’Église (ek-kaléo : appeler) et qu’il faut distinguer des Églises particulières comme la nôtre.

Paul ne parle pas exactement de mariage parce que, du point de vue de Paul, l’amour dépasse largement l’institution du mariage et les relations humaines sont bien plus grandes que ce que les institutions peuvent en dire. Il y a des mariages formalisés qui sont beaucoup moins des mariages que des vies communes qui sont, elles, toutes empreintes de l’amour agapè révélé par le Christ. De même, il peut y avoir des relations sociales ou des relations dans l’Église qui sont beaucoup plus aimables que des relations conjugales.

Paul relativise le formalisme et les conventions de son époque. Ce qui compte c’est ce qui est vécu et non la forme qui peut être trompeuse parce que vidée de sa substance.

C’est comme les chrétiens qui pensent qu’il faut dire Jésus dans toutes les phrases pour être un vrai chrétien. Je ne peux m’empêcher de penser, dans ces cas-là, à la phrase délicieuse du pasteur Wilfred Monod : « Mieux vaudrait avoir servi Jésus Christ sans le nommer, que d’avoir nommé Jésus Christ sans le servir. »

Mieux vaudrait avoir aimé sans se marier, nous fait comprendre l’apôtre Paul, que s’être marié sans avoir aimé. Ce n’est pas le mot mariage qui fait le mariage, de même que ce n’est pas le mot christ qui suffit à faire le chrétien. Ce qui compte c’est d’aimer son prochain, à chacun de nous d’inventer la meilleure manière pour cela.

Évidemment, en traduisant musterion par sacramentum, Jérôme et sa traduction latine ont plombé une bonne partie du christianisme en laissant penser que la chose était sacramentelle. Paul entreprend une relativisation des statuts sociaux et ecclésiaux, il ne s’en tient pas du tout à la périmétrie des institutions, pas plus celle du mariage que d’une autre. Effectivement, un peu plus loin il parlera du statut des enfants et ensuite du statut des esclaves, pour rétablir la dignité de chacun et permettre des relations qui sont informées par l’Évangile et non par des considérations anthropologiques, morales ou mêmes éthiques. C’est à partir du Christ que l’apôtre Paul repense l’identité de chacun et les relations entre tous.

une poétique plutôt que le ritualisme

Pour bien appuyer sur la subversion du mariage, l’apôtre Paul revient sur un geste rituel lié au mariage pour le subvertir. C’est la question du bain rituel (v. 26). Avant le mariage, la femme devait se rendre au miqvé pour se purifier dans l’eau de pluie qui avait été recueillie. Ici, Paul parle du lavage (loutron, qui est un nettoyage purifiant, lustral) par l’eau de la parole. On passe du bain rituel au bain poétique : la parole remplace la matérialité de l’eau, la métaphore remplace les molécules H2O ; l’esprit remplace la lettre. La tête prend alors tout son sens : c’est de la tête que surgit la parole qui guidera la vie, qui lui donnera tout son sens, comme en Genèse 1. Comme en Jean 1. En tête, la parole. L’homme offre des paroles pour créer un univers dans lequel les êtres avec lesquels il est en relation vont pouvoir s’épanouir et devenir cette Église glorieuse, sans tache ni ride. C’est la grâce d’une parole qui nous rend gracieux.

Quand Paul écrit qu’il est grand ce mystère selon lequel l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et les deux feront une seule chair (v. 31-32), c’est parce qu’il y a là une ambition supérieure à tous les usages civils qui se sont succédé au fil des générations. En effet, il n’est pas question de se conformer à un modèle, à un statut, à un arrangement, à une mode. Il est question d’inventer personnellement une nouvelle chair, une nouvelle existence, une nouvelle manière de faire histoire, indépendamment de ce qu’on fait les parents dont il faut s’éloigner et même dont il faut s’arracher. C’est à cette condition que l’Église et nous-mêmes pouvons être glorieux, sans tache ni ride, mais saints et sans défauts.

Paul évangélise aussi bien les conventions que les structures sociales de son temps en les revisitant à partir de l’enseignement du Christ qui est fondé sur la grâce. C’est à partir de la prédication de la grâce que chacun peut se tenir devant le Christ, devant le Seigneur, sans avoir besoin de passer par un intermédiaire. Par conséquent, la femme n’a plus besoin de passer par son mari pour être face au Seigneur – cela aurait pu nous mettre la puce à l’oreille et nous faire dire un peu plus tôt qu’une femme n’avait pas besoin de passer par son mari, du coup, pour ouvrir un compte bancaire ou pour travailler. Alors que le statut des femmes était inférieur à celui des hommes, à l’époque de Paul, ce dernier cesse de faire des femmes des êtres dépendants des hommes puisque, selon le principe que « qui peut le plus peut le moins », si on peut avoir accès directement au Seigneur, ce qu’il y a de plus sacré dans la vie, on peut bien avoir accès à tout le reste. Nous sommes rendus libres d’accéder à toutes les dimensions de la vie puisque c’est la grâce qui nous rend gracieux,

Amen

2 commentaires

  1. Bonjour eh oui hier j ai suivi avec une grande attention la superbe prédication sur Eph. Quel talent d exégètes, d historien, Alain et moi sommes très heureux de vous retrouver et de vous suivre. A très bientôt fraternellement Marcelle Mercier

  2. Monsieur Woody, Comme souvent, j’ai écouté/regardé sur mon smartphone, dans le train entre Zurich et Lausanne ou vice versa, votre prédication. Elle était de nouveau fascinante et m’a procuré de la joie. J’aimerais vous dire que vous faites un travail remarquable, aussi avec vos collègues de votre région, sur votre site, sur RCF. La France protestante libérale, y compris l’Oratoire du Louvre et E&L, offre une grande richesse dans la recherche intelligente de vivre l’altérité dans la confiance. Pour un meilleur vivre ensemble par la manifestation de ce que pense être la Grâce.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.