Disciple du Christ

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Marc 1/16-20

16 Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, frère de Simon, qui jetaient un filet dans la mer; car ils étaient pêcheurs.  17 Jésus leur dit: Suivez -moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes.  18 Aussitôt, ils laissèrent leurs filets, et le suivirent.  19 Étant allé un peu plus loin, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, qui, eux aussi, étaient dans une barque et réparaient les filets.  20 Aussitôt, il les appela; et, laissant leur père Zébédée dans la barque avec les ouvriers, ils le suivirent.

Chers frères et sœurs, j’aimerais commencer cette prédication par une évidence, une banalité, en disant qu’être chrétien, c’est être disciple du Christ. Cela est tellement évident que nous n’y faisons plus vraiment attention et que nous ne prenons plus vraiment la mesure de ce que cela signifie, ni de ce que cela implique. C’est tout l’intérêt de ce passage biblique qui présente les premiers disciples de nous faire prendre conscience de ce qu’est être disciple et de ce que cela implique pour nous.

  1. Un appel

Le premier point que je relève, c’est que le fait d’être chrétien, le fait d’être disciple, c’est une réponse à un appel qui nous a été lancé. Ni Simon ni André, ni Jean ni Jacques, n’ont l’idée de devenir disciple du Christ. Ils ne se sont pas levés le matin en se disant que ce serait le bon moment pour devenir disciples du Christ. D’ailleurs, à ce moment précis de l’histoire, aucun n’a entendu parler de Jésus. Nous sommes au tout début de l’évangile et Jésus n’a pas encore acquis la notoriété qui sera la sienne quelques chapitres plus loin.

C’est l’appel de Jésus qui a fait de ces quatre personnages des disciples au sens où ils vont suivre Jésus, effectivement, ce que dira le verbe grec akoloutheo qui fait de ces personnes des acolytes de Jésus. Cela a une grande importance pour notre vie chrétienne car cela signifie que nous ne sommes jamais chrétiens seuls. Nous ne sommes pas auto-fondés, pour le dire d’une manière un peu technique. Nous sommes toujours au bénéfice d’une parole qui nous a été adressée personnellement. Nous sommes toujours au bénéfice d’une parole qui nous a sortis d’une forme d’anonymat et d’une forme d’inertie, également.

L’appel du Christ est ce qui fait vraiment de nous un chrétien, sachant que l’appel du Christ, de nos jours, ne retentit plus dans la bouche de Jésus, bien évidemment. Deux mille ans après le ministère de Jésus, la parole du Christ retentit de bien des manières différentes. La parole du Christ retentit dans la bouche des parents qui nous font entendre l’Évangile qui résonne dans la Bible. La parole du Christ retentit dans la bouche du prédicateur. La parole du Christ retentit dans notre tête lorsque nous nous penchons avec attention sur les textes bibliques – peut être à la manière de Victor Hugo qui fut pris d’une sorte de frénésie en consultant le vieux livre dans le poème Aux Feuillantines :

Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
Et là, tout en jouant, nous regardions souvent
Sur le haut d’une armoire, un livre inaccessible.

Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livre noir ;
Je ne sais pas comment nous fîmes pour l’avoir,
Mais je me souviens bien que c’était une Bible.

Ce vieux livre sentait une odeur d’encensoir.
Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir.
Des estampes partout ! quel bonheur ! quel délire !

Nous l’ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,
et, dès le premier mot, il nous parut si doux,
Qu’oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.

Nous lûmes tous les trois ainsi tout le matin,
Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.

Nous sentons l’appel du large, l’appel au voyage infini qui dépasse les fatigues, les lassitudes, les angoisses. C’est un appel qui nous ressuscite, qui nous arrache à la torpeur.

La parole du Christ peut également retentir de la part d’un parfait inconnu, comme c’est le cas pour les disciples, qui entendent un appel et qui sont saisis. Non seulement ils se sentent concernés par cette parole qui tranche avec ce qu’ils avaient entendu jusque là, mais ils répondent de leur personne en disant oui de tout leur être.

Toutes ces paroles ont en commun d’être prononcées dans des conversations qui délaissent le terrain des formules convenues, des discussions sur la pluie et le beau temps, et qui accostent sur les rives vertueuses de ce qui compte vraiment, de ce qui fait sens. L’appel du Christ retentit dans les questions qui nous aident à faire le point sur notre vie, semblables à la question que l’Éternel adresse à Adam dans le livre de la Genèse : « Adam, où es-tu ? » Où en es-tu ? Où en es-tu sur le chemin de ton humanité ? Dans quelle direction te rends-tu pour progresser un peu plus, pour apprendre ton métier d’homme ?

Et puis, un peu plus tard, il y a la question que l’Éternel adresse à Caïn : « qu’as-tu fait de ton frère ? » C’est la question qui ouvre le champ de la fraternité. C’est la question qui nous rend responsable, la question qui nous appelle à répondre de nos actes, de nos paroles, autant que de nos absences.

Toutes ces questions sont des appels à faire quelque chose de notre vie, à ne pas nous laisser aller. Ce sont autant de paroles qui nous incitent à composer l’histoire au lieu d’en pâtir. Ce sont des appels à agir, à entreprendre, car si nous ne faisons rien, comment les choses qui ne vont pas pourraient-elles s’arranger ? Ces paroles nous bouleversent. Elles bouleversent nos schémas, elles bouleversent nos agendas, nos priorités, notre vie tout entière, car ce sont des paroles qui nous font confiance, ce sont des paroles qui traduisent un regard particulièrement positif sur nous : un regard d’amour.

  1. La grâce qui coûte

Tout bien considéré, cette parole qui s’adresse à nous, personnellement, c’est ce qu’en christianisme nous appelons la grâce. Une parole qui nous est offerte, personnellement, et qui ouvre notre vie sur des dimensions de la vie que nous n’avions pas encore découvertes et vers lesquelles nous avons envie de nous rendre. Une parole qui ouvre notre univers individuel sur la dimension universelle de la vie, sur l’humanité que les hommes appelés par Jésus vont maintenant rejoindre. Cet appel qui nous est fait signifie qu’on nous fait confiance, que nous sommes dignes de confiance, que nous faisons partie, nous aussi de l’humanité vers laquelle nous sommes appelés. Et cela ne peut pas laisser indifférent.

Pour le dire avec le théologien Dietrich Bonhoeffer, c’est une grâce qui coûte. Cette grâce coûte car elle nous coûte, comme elle a coûté aux premiers disciples qui ont laissé leurs filets, qui ont laissé leur père Zébédée. C’est une grâce qui coûte parce que cet appel provoque chez nous une réaction, une réponse en forme d’adhésion qui nous engage, qui exige de nous des décisions, des abandons, du tri, et une obéissance. C’est une grâce qui coûte car elle est une prise de risque personnelle. C’est une grâce qui nous arrache à la tranquillité qui pouvait être confortable, mais qui ne correspondait pas à notre vocation profonde, à cet appel venant du Christ, à cette intranquillité qui est la seule assurance que nous avons, au bout du compte, avec cette promesse que notre vie n’aura plus rien de commun avec ce qu’elle était car, désormais, Christ vit en nous : l’exigence infinie de l’amour nous anime, le souci de l’autre nous préoccupe, le désir d’instaurer une fraternité active nous taraude, la possibilité de la paix nous attire, inlassablement.

La grâce qu’est cet appel du Christ nous coûte en ce sens qu’il nous implique, qu’il requiert notre énergie, notre intelligence, notre force, notre âme, l’intégralité de notre être. Simon et André laissent leurs filets de pêche : ils ne peuvent plus se cacher derrière la technique, derrière les artifices. Ils vont devoir s’impliquer personnellement, désormais. S’ils communiquent, c’est qu’ils auront quelque chose à dire, car ils ne pourront pas se cacher derrière des outils sophistiqués de design ou des éléments de langage de bois. S’ils soignent, ils se pencheront vers le malade, dans une attitude clinique, car ils ne pourront pas se cacher derrière des batteries d’analyses et d’examens exécutés par des machines hors de prix. S’ils prêchent, ils sortiront leurs tripes, car ils ne pourront pas se cacher derrière une exégèse historique et critique. S’ils bâtissent, ils embrasseront la nature du regard puis ils plongeront leurs mains dans la matière et leurs yeux dans ceux de leurs contemporains car ils ne pourront pas se cacher derrière un programme immobilier standardisé.

Jacques et Jean laissent leur père Zébédée : ils ne peuvent plus se cacher derrière ce qu’ont fait leur père, ni leurs aînés. Ils vont devoir s’impliquer, personnellement, désormais. S’ils décident de mettre au monde des enfants, ils inventeront la manière d’être les moins mauvais parents, car ils ne pourront pas se cacher derrière l’attitude de leurs propres parents. S’ils décident de faire la guerre, ils élaboreront une stratégie militaire, car ils ne pourront pas se cacher derrière les campagnes napoléoniennes. S’ils décident de proposer une éducation religieuse aux plus jeunes, ils imagineront une pédagogie catéchétique, car ils ne pourront pas se cacher derrière le catéchisme de Luther ou de Calvin.

L’appel du Christ provoque une rupture radicale par rapport à ce qui est établit, par rapport à ce qui est programmé, par rapport à ce qui a été inscrit dans la loi, dans l’usage, dans la tradition. Et cela coûte à l’homme qui se met à suivre Jésus. Cela coûte le prix de sa vie car c’est un engagement total qui est requis dans le fait d’être disciple du Christ. Ce ne peut pas être seulement une adhésion de principe, un accord de façade. Être disciple du Christ, c’est un « oui » qui nous engage pleinement dans une vie nouvelle et qui nous change, qui change notre logique, qui change notre rapport aux autres. Suivre le Christ, c’est adopter son regard sur la vie, c’est adopter sa logique du don qui s’oppose à la logique du donnant-donnant. Suivre le Christ, c’est renoncer aux privilèges du monde et se mettre au service de l’humanité, partir à la pêche aux hommes en déployant sa propre manière d’être, en faisant valoir ses propres talents, en étant libre à l’égard des schémas, des stéréotypes, quand ces usages nous empêchent d’aimer vraiment, lorsqu’ils nous tiennent à distance de notre frères et sœurs en Christ, lorsqu’ils nous retiennent de vivre une véritable fraternité avec tous ceux qui sont également au bénéfice de l’appel du Christ.

Dans ce passage biblique, les personnes que le Christ appelle ne répondent pas par une confession de foi. Elles répondent par une obéissance à l’ordre de le suivre. Elles répondent par une mise en route de leur existence. Elles répondent par une exposition de leur personne, par une prise de risque en laissant derrière elles leurs assurances, leurs garanties, leur confort, leurs certitudes. Être disciple du Christ n’est pas pour autant un pari sur l’avenir, mais l’accord de tout notre être avec l’Évangile au cœur du monde. C’est dire « oui » à une promesse de vie enthousiaste, et en tirer toutes les conséquences au quotidien.

Amen

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