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Juges 6/6-24
6 Israël fut très malheureux à cause de Madian, et les enfants d’Israël crièrent à l’Éternel. 7 Lorsque les enfants d’Israël crièrent à l’Éternel au sujet de Madian, 8 l’Éternel envoya un prophète aux enfants d’Israël. Il leur dit: Ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël: Je vous ai fait monter d’Égypte, et je vous ai fait sortir de la maison de servitude. 9 Je vous ai délivrés de la main des Égyptiens et de la main de tous ceux qui vous opprimaient; je les ai chassés devant vous, et je vous ai donné leur pays. 10 Je vous ai dit: Je suis l’Éternel, votre Dieu; vous ne craindrez point les dieux des Amoréens, dans le pays desquels vous habitez. Mais vous n’avez point écouté ma voix. 11 Puis vint l’ange de l’Éternel, et il s’assit sous le térébinthe d’Ophra, qui appartenait à Joas, de la famille d’Abiézer. Gédéon, son fils, battait du froment au pressoir, pour le mettre à l’abri de Madian. 12 L’ange de l’Éternel lui apparut, et lui dit: L’Éternel est avec toi, vaillant héros ! 13 Gédéon lui dit: Ah ! mon seigneur, si l’Éternel est avec nous, pourquoi toutes ces choses nous sont-elles arrivées ? Et où sont tous ces prodiges que nos pères nous racontent, quand ils disent: L’Éternel ne nous a-t-il pas fait monter hors d’Égypte ? Maintenant l’Éternel nous abandonne, et il nous livre entre les mains de Madian ! 14 L’Éternel se tourna vers lui, et dit: Va avec cette force que tu as, et délivre Israël de la main de Madian; n’est-ce pas moi qui t’envoie ? 15 Gédéon lui dit: Ah ! mon seigneur, avec quoi délivrerai -je Israël ? Voici, ma famille est la plus pauvre en Manassé, et je suis le plus petit dans la maison de mon père. 16 L’Éternel lui dit: Mais je serai avec toi, et tu battras Madian comme un seul homme. 17 Gédéon lui dit: Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, donne -moi un signe pour montrer que c’est toi qui me parles. 18 Ne t’éloigne point d’ici jusqu’à ce que je revienne auprès de toi, que j’apporte mon offrande, et que je la dépose devant toi. Et l’Éternel dit: Je resterai jusqu’à ce que tu reviennes. 19 Gédéon entra, prépara un chevreau, et fit avec un épha de farine des pains sans levain. Il mit la chair dans un panier et le jus dans un pot, les lui apporta sous le térébinthe, et les présenta. 20 L’ange de Dieu lui dit: Prends la chair et les pains sans levain, pose-les sur ce rocher, et répands le jus. Et il fit ainsi. 21 L’ange de l’Éternel avança l’extrémité du bâton qu’il avait à la main, et toucha la chair et les pains sans levain. Alors il s’éleva du rocher un feu qui consuma la chair et les pains sans levain. Et l’ange de l’Éternel disparut à ses yeux. 22 Gédéon, voyant que c’était l’ange de l’Éternel, dit: Malheur à moi, Seigneur Éternel ! car j’ai vu l’ange de l’Éternel face à face. 23 Et l’Éternel lui dit: Sois en paix, ne crains point, tu ne mourras pas. 24 Gédéon bâtit là un autel à l’Éternel, et lui donna pour nom l’Éternel paix: il existe encore aujourd’hui à Ophra, qui appartenait à la famille d’Abiézer.
Chers frères et sœurs, vaillants héros ! « Vaillant héros »… voilà une expression quelque peu vieillotte. Voilà une expression à laquelle nous pouvions être habitués pour parler des héros nationaux tels le chevalier Bayard ou, plus proche de nous, les généraux Philippe Leclerc de Hauteclocque ou Marcel Bigeard. Voilà une expression convenable aussi pour les héros de l’histoire française du protestantisme : Roland, Catinat, Jean Cavalier dans une moindre mesure. Tout cela nous ramène à ces ancêtres héroïques qui jalonnent notre histoire. « Vaillant héros »… une expression qui nous fait penser à l’esprit chevaleresque, cet esprit qui a animé l’esprit des plus jeunes d’entre nous et nous-mêmes lorsque nous l’étions encore un peu : nous nous revêtions parfois d’une cape, nous empruntions un manche un balai pour faire une épée et nous rejouions les grands événements de l’histoire de France. Voilà donc des personnes qui se vouèrent entièrement à une cause sans craindre de braver le danger. C’étaient des personnes dotées d’une noblesse d’épée plutôt que de cape ; ces personnes nécessairement magnifiques, nécessairement extraordinaires, nécessairement au-dessus du lot commun des mortels, des gens tellement différents de nous, pauvres pécheurs devant l’Éternel.
Gédéon est donc un vaillant héros. Mais lorsque nous regardons son pedigree dans le texte biblique, quelle n’est pas notre surprise de constater ce que nous dit le texte biblique est singulièrement différent de toutes les autres mythologies auxquelles nous sommes habitués pour nos autres héros. Gédéon, lui, appartenait à la tribu de Manassé qui n’est qu’une demi-tribu (l’autre moitié étant Ephraïm). Gédéon faisait partie de la parenté la plus pauvre de cette demi-tribu. Et comme si cela ne suffisait pas, Gédéon était le plus petit de sa maisonnée. Le plus petit de la plus pauvre famille de la plus insignifiante des tribus de ce tout petit peuple d’Israël est l’homme que Dieu choisit. C’est ce moins que rien que le messager de Dieu nomme « vaillant héros » selon la traduction courante. Une fois de plus, ce texte nous dit qu’il faut se méfier des apparences qui sont souvent trompeuses, aussi bien en ce qui concerne l’homme qu’en ce qui concerne Dieu.
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Les héros sont des hommes ordinaires
Contre l’impression que les héros ne seraient que des hommes bien nés, le livre des Juges nous apprendra qu’il peut aussi s’agir de femmes, et que la valeur ne tient compte ni de l’âge ni de l’importance sociale de la famille dans laquelle on naît. Comme cela arrive fréquemment dans les récits bibliques, le héros est issu d’une situation modeste. On peut être jeune et accéder à une fonction importante. On peut être issu d’un milieu modeste et recevoir une mission importante. Les textes bibliques nous rappellent que les gens ordinaires peuvent être, aussi, de vaillants héros.
Evidemment, quand on est jeune, quand on n’a pas encore fait la preuve de sa valeur, ceux qui sont autour de nous hésitent à nous confier des responsabilités. Et il suffit de lire les offres d’emploi pour se rendre compte que, le plus souvent, l’employeur souhaite embaucher quelqu’un qui a déjà de l’expérience, quelqu’un qui a déjà fait ses preuves. Du côté de Dieu, les choses sont singulièrement différentes : Dieu n’hésite pas à faire appel à des jeunes, à des débutants, comme il n’hésite pas à faire appel à des individus qui n’ont pas spécialement de lettres de noblesse familiale, qui n’ont pas un nom qui parle pour eux, parce qu’il sait quelle est leur valeur intrinsèque, quelles sont leurs véritables aptitudes.
Lorsque le messager de l’Eternel s’adresse pour la première fois à Gédéon, plutôt que « vaillant héros », si nous suivons de près le texte hébreu, il faudrait lire : « l’Eternel est avec toi fortement puissant ». Autrement dit, le messager de Dieu révèle un aspect de Gédéon qui n’était peut-être pas spécialement visible à l’œil nu : Gédéon est plein de capacités ; Gédéon est fort de puissance ; il est en mesure d’accomplir de hauts faits alors même qu’il ne paie pas de mine, que rien ne laisse présager qu’il aura un avenir brillant.
Les héros peuvent être des personnes ordinaires. Ce peut être chacun de nous, selon les capacités qui lui sont reconnues non par une jauge humaine mais par le regard divin. La grande différence consiste dans le fait que là où le regard de Dieu est orienté vers l’avenir, le regard humain a toutes les peines pour ne pas rester accroché au passé. Cela est particulièrement mis en évidence au sujet de l’Exode. Dans un premier temps un prophète de Dieu rappelle l’histoire du peuple hébreu depuis la sortie du pays de servitude jusqu’à l’entrée en terre promise. Puis le prophète prolonge cette histoire dans l’avenir avec cette phrase au futur : « vous ne craindrez pas les dieux des Amoréens », autrement dit : vous maintiendrez vive votre foi. Ce regard que Dieu porte sur l’histoire embrasse donc, aussi, l’avenir. Quelques versets plus loin, la perception humaine est résumée par les mots de Gédéon qui reprend cette même histoire de la sortie d’Egypte mais en butant sur le présent. En effet, Gédéon s’exclame : « Maintenant, l’Eternel nous abandonne et nous livre entre les mains de Madian ! » pourquoi dit-il cela ? Parce que les prodiges du passé, les miracles que racontent leurs pères, ne sont pas reproduits à l’identique. Comme le passé n’est pas répété au mot près, alors l’histoire est disqualifiée à vue humaine et Dieu perd toute crédibilité. Nous le constatons, la différence de point de vue est de taille : là où Dieu observe la capacité d’un homme, d’un peuple, à agir, à entreprendre, à accomplir, l’homme observe la capacité à reproduire, à répéter, à réitérer. Cette distinction est capitale car elle détermine l’avenir.
Si nous sommes du côté de l’observation qui ramène l’homme, une société à son passé et à son passé seulement, alors nous condamnons l’humanité à être prisonnière de son passé : les catholiques demeureront toujours les bourreaux des protestants, les Turcs demeureront toujours les bourreaux des arméniens, les Allemands demeureront toujours les bourreaux des Juifs, et Guy Degrenne ne réussira jamais dans la vie. En revanche, si nous nous efforçons d’observer à la manière de Dieu, alors nous nous intéresserons plutôt aux capacités en germe, aux puissances en devenir, alors nous offrirons de nouvelles opportunités, de nouvelles possibilités à ces personnes. N’est-ce pas ce que Dieu fait, probablement en observant Gédéon battre le froment au pressoir ? Il pressent de fortes potentialités pour d’autres missions, là où des hommes peu avisés se seraient peut-être contentés de considérer Gédéon juste bon à être meunier, ce qui n’est pas une activité de second ordre.
Ce passage biblique nous révèle donc que Dieu n’attend pas que nous soyons extraordinaires pour nous confier des responsabilités dans ce monde. Il n’attend pas que nous ayons déjà prouvé tous nos talents pour nous demander de refaire, pour son compte, ce que nous avons déjà fait pour d’autres. Dieu est plutôt un découvreur de talents, faisant de nous de véritables « héros vaillants », forts d’une puissance que seul un regard avisé et aimant peut discerner.
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Dieu, l’altérité
Un regard avisé, voilà ce qu’il nous faudrait, aussi, lorsque nous nous intéressons à Dieu. Manifestement, Gédéon ne fait pas mieux que nous lorsque nous peinons à voir Dieu agir dans notre vie. Gédéon se lamente que Dieu n’agisse plus comme il le faisait autrefois. C’était mieux avant, semble-t-il dire. Peut-être est-il proche de bien des jeunes qui s’étonnent que leurs parents aient pu raconter autant de moments agréables, autant de joies et de bonheur vécus dans les activités de l’Eglise, pendant les cultes, lors des sorties de paroisse, pendant des repas, durant la vente…
Pour leurs enfants, cela semble être d’un autre âge, une période révolue. La foi elle-même, semble être d’un autre âge, reléguée avec les accessoires d’une autre époque qu’on ressortira peut-être à l’occasion d’une fête de famille, en même temps que les grands chapeaux, quelques belles toilettes…
Le décalage que Gédéon ressent entre un passé glorieux, enthousiasmant, illuminé d’une foi bien vivace et son présent désenchanté, désespérant, ressemble bien à ce décalage ressenti par des adolescents et des jeunes d’aujourd’hui qui trouvent l’Eglise vieillie et peut-être même abandonnée de Dieu. Mais quelle image de Dieu avons-nous lorsque nous en venons à dire que Dieu nous a lâchés, qu’il nous a livrés à nous-mêmes ?
Au fond, ce que Gédéon aurait aimé, c’est que Dieu intervienne directement dans l’histoire pour régler le problème des Madianites sans que lui-même ni ses contemporains n’aient à lever le moindre petit doigt. Gédéon semble refuser que Dieu puisse devoir compter sur l’Homme. Nous avons remarqué que Gédéon butait sur un présent qui ne ressemblait pas assez au passé et qu’il ne pouvait même pas imaginer l’avenir. Il n’est pas capable d’envisager l’avenir car il n’est pas capable d’envisager la place qu’il pourrait occuper à l’avenir. Il se voit transparent ou se considère comme égal à son statut social. Il ne peut pas considérer que l’avenir de Dieu passe par lui ; il ne peut pas considérer que Gédéon fait partie de l’histoire… De fait, l’avenir de Dieu passe par chacun de nous, êtres humains bien ordinaires que Dieu perçoit capables d’agir pour le bien commun, selon ses talents, selon ses capacités. Comme certains rêvent d’un Etat providence qui nous dispenserait d’assumer quelque responsabilité que ce soit pour que les conditions de vie s’améliorent, certains rêvent d’un Dieu providentiel qui nous dispenserait d’avoir à faire la moindre chose en faveur d’un monde meilleur, d’un monde plus libre.
Pour Gédéon, le discours du prophète n’avait pas été suffisant. La rencontre avec le messager de Dieu, l’ange, n’a pas été décisive non plus. Le rédacteur du texte nous laisse entendre que Dieu, alors, prend lui-même les choses en main et va soudainement à la rencontre de Gédéon pour tenter de lui ouvrir les yeux et de lui faire prendre conscience d’une autre réalité. Dans une ambiance qui rappelle celle de Jacob combattant avec un personnage mystérieux dans un lieu qu’il appellera Péniel car il a été « face à Dieu », Gédéon va, comme Jacob, sortir grandi de son entrevue où il ne s’agit plus de battre du froment mais de se battre avec soi-même, de se battre avec ses certitudes, avec son regard vicié, de se battre avec ce qui l’entrave, ce qui le retient prisonnier. Gédéon doit se battre avec tout ce qui l’empêche de s’ouvrir à la vie de l’Esprit. Il a du mal à rejoindre ce qui n’est pas visible à l’œil nu, qui n’est pas tangible de prime abord, ce qui demande de la réflexion, de la méditation, une profonde prise de conscience. Lui, le petit Gédéon, de la partie la plus nulle d’Israël, doit accepter le fait que, contre toute attente, contre les idées reçues, Dieu n’est pas lâche, Dieu n’abandonne pas les siens à leur triste sort. Dieu n’abandonne pas mais il nous demande d’agir, de prendre notre histoire en main et d’intervenir pour changer le cours des choses, pour la seule et simple raison que nous en sommes capables !
Quelle réforme des mentalités pour ce petit Gédéon qui se contentait de battre des céréales au pressoir : non seulement le monde n’est pas vide de Dieu mais, lui-même, Gédéon, n’est pas innocent dans le cours de l’histoire. La rencontre de Gédéon avec Dieu est décisive : non seulement la force qu’il possède, cette puissance qui est en lui, cette énergie est suffisante pour interagir avec son environnement, pour arranger la situation, pour rendre le monde un peu plus vivable, lui explique Dieu, mais Dieu l’accompagnera et l’aidera à mener à bien sa mission, à réussir son projet, à faire quelque chose de sa vie. L’Eternel est bien différent de l’image que Gédéon s’en faisait et il le reste, d’ailleurs, car au moment où Gédéon pense avoir capté Dieu en lui soutirant un signe, une preuve de son identité, le messager de Dieu disparaît de sa vue comme le ressuscité disparaîtra de la vue enfin recouvrée par les disciples qui allaient au village d’Emmaüs, juste après Pâques. Dieu échappe à la mainmise de Gédéon. Dieu échappe au savoir de Gédéon parce que Dieu n’est pas fixé, figé – ce qui explique que les recettes d’autrefois ne peuvent être appliquées à la lettre de nos jours. Et nous-mêmes, nous ne sommes pas réductibles à ce qu’on pense de nous, à ce qu’on dit de nous, ni même à ce que nous montrons de nous. L’Eternel échappe à la photographie instantanée, à la perception définitive, pour rester un principe de vie actif, toujours vivant et donc toujours changeant, évoluant, se modifiant. Et c’est la raison pour laquelle la théologie ne peut pas se contenter de répéter les phrases d’autrefois ; voilà pourquoi nous devons être inventifs en matière d’expression de la foi. Il n’est pas inconvenant de laisser tomber certaines formules et de dire Dieu autrement aujourd’hui. Et c’est parce qu’il échappe à nos représentations que l’Eternel peut nous permettre d’échapper à nos limites, à nos pauvretés, à nos petitesses, à nos déterminismes de départ.
Amen
Bonjour.
Merci pour cette belle prédication. Un Dieu qui engage, qui nous engage, au lieu d’un Etat-Providence. Voilà qui remet la conception de la vie à sa juste place, valorise et met en route (si … )
Merci.