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Esaïe 11/1-10
1 Puis un rameau sortira du tronc de Jessé, et un rejeton naîtra de ses racines. 2 L’Esprit de l’Éternel reposera sur lui : Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte de l’Éternel. 3 Il respirera la crainte de l’Éternel ; Il ne jugera point sur l’apparence, Il ne prononcera point sur un ouï-dire. 4 Mais il jugera les pauvres avec équité, et il prononcera avec droiture sur les malheureux de la terre ; Il frappera la terre de sa parole comme d’un sceptre, et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant. 5 La justice sera la ceinture de ses flancs, et la fidélité la ceinture de ses reins. 6 Le loup habitera avec l’agneau, et la panthère se couchera avec le chevreau ; le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble, et un petit enfant les conduira. 7 La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits un même gîte ; et le lion, comme le bœuf, mangera de la paille. 8 Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, et l’enfant sevré mettra sa main dans la caverne du basilic. 9 Il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte ; car la terre sera remplie de la connaissance de l’Éternel, comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent. 10 En ce jour, le rejeton de Jessé sera là comme une bannière pour les peuples ; les nations se tourneront vers lui, et la gloire sera sa demeure.
Chers frères et sœurs, le temps de l’Avent est une manière de nous tourner vers Noël. Le temps de l’Avent nous prépare à la pleine présence de Dieu dans l’histoire des hommes, ce que les chrétiens repèrent comme étant tout particulièrement arrivé avec Jésus de Nazareth. Or, parler de Jésus de Nazareth n’est pas une mince affaire, car les détracteurs du christianisme ont raison. Ceux qui voudraient que Jésus n’ait jamais existé ont raison sur un point : Nazareth n’a pas existé. Il n’est nulle part fait mention d’un village qui s’appellerait Nazareth, dans la Bible hébraïque. Alors, bien entendu, nous pouvons imaginer que le village ait vu le jour entre la fin de la rédaction de la Bible hébraïque et la naissance de Jésus. Rien ne s’y oppose. Mais l’insistance sur le caractère nazoréen de Jésus est trop importante dans les évangiles pour ne pas être en résonance avec au moins un lieu symbolique de la Bible hébraïque ou un épisode fondateur de la foi israélite. Si Nazareth n’a pas un sens spécifique, il ne sert à rien d’en faire autant mention. Or les textes bibliques aiment que les choses aient du sens.
Souvenons-nous que les rédacteurs des évangiles, ceux qui ont essayé de dire l’identité de Jésus, ont utilisé les textes hébreux contenant les promesses de Dieu pour dire à quel point ils avaient reconnu en Jésus celui qui accomplissait ces promesses. A défaut de trouver un lieu qui s’appelle Nazareth, dans la Bible, il est possible de trouver un texte qui parle du nazoréen, n’en déplaise à ceux qui voudraient que les récits bibliques ne soient que du vent. Et c’est ce texte, d’Esaïe, qui offre la clef de compréhension de l’expression « Nazoréen » utilisée pour Jésus, qui a pu laisser penser qu’il venait d’un village nommé Nazareth (Matthieu 2/23). Or Nazoréen ne se rapporte pas à un nom de village, mais à un mot hébreu utilisé dans cette prophétie d’Esaïe, au verset 1, quand il est question du « rejeton ». Rejeton, en hébreu, se dit NeTseR. Jésus est nazoréen au sens où il est le rejeton dont parle Esaïe. Cela nous aide à comprendre qui est Jésus, et ce que sa venue au monde signifie.
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Le rejeton
Que le messie espéré soit un rejeton est une bonne indication pour reconnaître Jésus dont il est question dans les évangiles, aussi bien que ce que messie (ou christ en grec) désigne dans notre vie.
Chemins de traverse
Tout d’abord cela indique que le Messie n’arrive pas nécessairement par l’autoroute de la foi. Si le rejeton est bien issu du tronc de Jessé (le père de David), il n’a pas forcément suivi le chemin le plus court ou le plus évident. Pour le dire sans détour, le salut n’arrive pas nécessairement par le canal le plus officiel. Les professionnels de la religion ne sont pas forcément porteurs de la plus haute dose de sacré qui soit. Un rejeton, une personne dont le parcours a pu être en dehors des clous, n’est pas disqualifiée selon la Bible. Un rejeton peut être porteur de tout ce qui sera nécessaire pour relancer l’histoire, pour faire repousser le tronc qui a été sectionné.
Tout en appartenant au peuple Juif, Jésus aura suivi sa propre route ; il aura emprunté des chemins de traverse peu conformes à l’attente de l’époque. On imaginait un roi arrivant drapé dans sa gloire, c’est un petit d’homme quasiment insignifiant et d’une fragilité absolue qui naît à l’écart.
Notons que le protestantisme est passé maître dans l’art du rejeton. Le protestantisme n’a jamais cessé de produire des rejetons, certainement parce que le protestantisme, nourri du prophétisme biblique, aime la dissidence, aime ce qui déroge à la norme communément admise, à la loi de majorité, au conformisme qui se fait loi. Et le protestantisme n’a pas manqué de produire des rejetons par lesquels l’histoire a pu être relancée quand cela était nécessaire.
Au-delà de l’apparence
Que peut-il sortir de bon d’un rejeton ? Franchement… Que peut-il sortir de bon de Nazareth, pour le dire en employant le sous-texte hébreu ? Comme le dit l’un de nos cantiques : « il vient sans apparence, des pauvres il est le roi ». La Bible nous apprend à ne pas nous fier aux apparences, justement. C’est aussi le sens de la prophétie d’Esaïe. L’Esprit de l’Eternel qui reposera sur lui, lui permettra de ne pas juger selon les apparences. Et pour cause, lui-même ne sera paré d’aucune superbe, du moins en apparence. De même qu’il ne se fiera pas aux ouï-dire car les ouï-dire ne manqueront pas sur le compte de Jésus et, à chaque fois, tomberont à côté.
Le rejeton, par sa propre trajectoire, par son histoire personnelle, est bien placé pour savoir que les places de prestige ne disent rien de la valeur de ceux qui les occupent. Le rejeton sait qu’on peut avoir fréquenté la boue, la fange, et être profondément pétri d’humanité. La pauvreté n’est pas un critère d’authenticité, mais elle permet de prendre conscience que la vérité peut être travestie par des apparences trompeuses. Jésus le dira durant son ministère : on peut avoir « Seigneur ! » à la bouche comme un tic de langage ; cela ne fait pas de nous un être spirituel pour autant. L’apparence ne dit rien de la profondeur d’un être, du caractère sacré d’un geste, d’une parole. Ne rejetons pas les rejetons !
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Agir contre nature
Le second aspect développé par ce texte est le caractère contre nature du Messie, du Christ. Si nous sommes habitués à ces belles images du loup qui séjourne avec l’agneau, du lion et du bœuf qui mangent ensemble de la paille et de l’enfant qui met sa main dans l’antre de la vipère, la réalité est bien différente. Comme le rappelait assez crûment Wilfred Monod, le lion c’est de la gazelle digérée… et la nature ressemble à un vaste tube digestif. Actuellement, si le loup couchait avec l’agneau, l’agneau ne dormirait pas beaucoup, rappelle Woody Allen.
L’advenue du Messie rompt cet ordre des choses. La loi du plus fort est mise en échec. Certes, la tyrannie s’exprime encore, des hommes sont réduits en esclavage et vendus dans des conditions qui ne sont même pas celles des produits en supermarché ; des personnes sont encore mutilées, brûlées, pour satisfaire la jouissance perverse de quelques malades ivres de pouvoir. Mais nous savons que cette pente naturelle des humains à écraser les voisins pour mieux exister, cette pente naturelle à humilier pour se sentir plus fort, toutes ces inclinations naturelles ne sont pas la seule perspective possible. Un nouvel ordre du monde est possible qui contrarie les mauvaises habitudes, qui défroisse les faux plis que nous nous transmettons de génération en génération.
L’advenue du Messie signe la rupture possible des mécanismes de violence, d’injustice qui sont si souvent considérés comme un ordre plausible et qui sont en fait un désordre. Le Messie nous aide à nous déshabituer de la violence ordinaire ; il nous aide à nous déshabituer de la banalité du mal que tant de personnes acceptent en la faisant entrer dans l’ordre des choses, dans l’état naturel du monde. Le Messie agit contre nature en transcendant les oppositions naturelles. Tous les couples d’animaux qui n’ont a priori rien à faire ensemble indiquent la possibilité de nouveaux rapports sociaux. Des alliances contre nature sont effectivement possibles. Le pasteur Martin Luther King le prêchait déjà en parlant des fils des anciens esclaves et des fils des anciens propriétaires d’esclaves qui pourraient s’asseoir ensemble à la table de la fraternité. Peu imaginaient à son époque qu’il soit effectivement possible d’avoir un vice-président blanc et un président noir. De même, des anciens colons pourraient tout à fait coopérer avec d’anciens colonisés dans un esprit qui n’a plus rien de commun avec les temps d’autrefois qui considéraient qu’il était naturel que les blancs dominent sur les noirs.
L’advenue du Messie rend possible ce qui est inconcevable. L’advenue du Messie est un défi lancé à ce qui est posé comme certitude, ce que plus personne n’ose remettre en question, ce qui est devenu tabou, mais qui n’est pas vivable pour autant. L’advenue du Messie, la connaissance de l’Eternel rendra inactifs les torts ou dommages que les uns ou les autres voudraient commettre.
Le Messie, en tant que rejeton, est une instance de relativisation des normes dites naturelles. Et c’est en relativisant ce droit naturel que le Messie est en mesure d’instaurer le règne de paix auquel nous aspirons : un règne de paix qui ne se fonde pas sur la pax romana, la paix instaurée de force, mais la paix librement accueillie, qui est la paix qui renonce à la violence comme mode naturel de relation.
Amen