Prédication lors de l’Assemblée nocturne 2017 au Mas Soubeyran
Luc 11/5-10
5 Jésus dit encore: Si l’un de vous a un ami, et qu’il aille le trouver au milieu de la nuit pour lui dire: Ami, prête-moi trois pains, 6 car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir, 7 et si, de l’intérieur de sa maison, cet ami lui répond: Ne m’importune pas, la porte est déjà fermée, mes enfants et moi sommes au lit, je ne puis me lever pour te donner des pains, – 8 je vous le dis, même s’il ne se levait pas pour les lui donner parce que c’est son ami, il se lèverait à cause de son importunité et lui donnerait tout ce dont il a besoin. 9 Et moi, je vous dis: Demandez, et l’on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l’on vous ouvrira. 10 Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe.
Chers frères et sœurs, un homme est à la veille d’un combat important qu’il doit mener en faveur de la justice. Il est chez lui, au cœur de la nuit. Il prend son téléphone et appelle une amie, une chère amie. Cet homme, pasteur d’une Eglise baptiste des Etats-Unis d’Amérique, c’est Martin Luther King. Et à l’autre bout du fil téléphone Mahalia Jackson, une chanteuse de Gospel lui répond. Il va lui demander une chose très précise : « fais-moi entendre la voix du Seigneur ». Et Mahalia Jackson se met à chanter de sa voix de cristal passée au feu de l’humiliation raciale.
Pour Mahalia Jackson, l’appel du pasteur King n’avait rien d’un geste importun. Que le téléphone ait retenti au milieu de la nuit, alors qu’elle était déjà endormie, ne fut nullement un problème pour elle, contrairement à cet homme de la parabole évangélique qui n’apprécie pas vraiment d’être dérangé de la sorte. Cela tient au fait que Mahalia Jackson avait parfaitement conscience que la demande de son ami n’avait rien d’une demande inopportune, bien au contraire.
A quoi tient la différence de réaction entre ces deux personnages ? Comment se fait-il que l’un estime être dérangé inutilement alors que l’autre n’exprime aucun reproche ?
Eveiller la conscience
Cela tient certainement au fait que la conscience de l’un n’a pas été encore éveillée, alors que celle de Mahalia Jackson est en alerte, prête à saisir les occasions d’accomplir ce qui est juste.
Si Martin Luther King prit à bras le corps la cause des droits civiques pour les noirs américains ce ne fut pas parce qu’il se leva un matin en se demandant ce qu’il pourrait bien faire de sa journée. Le pasteur Martin Luther King n’avait pas spécialement envie de se lancer dans le combat des droits civiques américains. Ce sont des membres de sa communauté qui lui ont fait prendre conscience que sa vocation ne pouvait se restreindre à l’aumônerie de sa paroisse. C’est parce que des amis, qui à vrai dire ne se demandèrent pas s’il l’importunait ou non, l’interpellèrent pour lui faire prendre conscience du calvaire qu’enduraient ses frères et sœurs, que le pasteur King devint le chef de file que nous connaissons désormais. Et à son tour, il éveilla la conscience des millions d’américains qui s’étaient habitués à ce que la ségrégation fasse loi, comme avant eux des millions de français s’étaient habitués à ce que les femmes ne soient pas à l’égal des hommes ou comme des millions d’européens avant eux qui s’étaient habitués à ce qu’un Juif ou un indien, ne puisse être considéré comme un être humain.
Nous, qui avons entendu ou lu les prédications ou les appels de personnes telles Albert Schweitzer, Martin Luther King, Théodore Monod, nous pouvons être à notre tour des éveilleurs de conscience. Nous aussi qui avons entendu les grands récits de celles et ceux qui nous ont précédés dans la foi et que nous retrouverons dans le spectacle son et lumière dans quelques jours, nous pouvons sortir nos contemporains de leur torpeur. Nous pouvons, nous aussi, ressusciter leur conscience. Nous pouvons prendre fait et cause pour celles et ceux qui ont besoin de pain.
Offrir le pain de la vie
Ce pain que vient demander l’ami n’est évidemment pas du pain dont on peut se demander s’il contient ou non du gluten. Le pain constitue un élément essentiel de l’alimentation du proche Orient Ancien et il désigne ce qui est essentiel dans la vie. Le pain est l’image de ce dont nous avons vraiment besoin au quotidien. La vie de Jésus, si essentielle pour notre foi, est elle-même encadrée par l’image du pain. Au commencement de la vie de Jésus, il y a la naissance à Bethléem, littéralement la « maison du pain ». Et au soir de sa vie, Jésus partagera l’essentiel avec ses disciples, en leur offrant le pain qui leur permettra de faire face à la suite de l’histoire.
Nous avons toutes et tous besoin du pain quotidien. Nous avons toutes et tous des besoins essentiels qu’il faut satisfaire. Nos contemporains ont des besoins dont il faut avoir conscience pour pouvoir être agents de la grâce divine et satisfaire à ces besoins.
Je repère trois aspects essentiels, trois pains que nous sommes en mesure d’offrir à ceux qui sont plongés dans la nuit.
- Espérance
Trop de personnes ne trouvent plus de bonnes raisons de se lever le matin. Elles n’ont personne qui leur donne l’occasion de sourire au réveil. Elles n’ont pas le moindre projet qui les motive. Elles n’ont que la lassitude et l’angoisse pour seule compagnie. Ce sont des personnes qui ont besoin de retrouver de l’espérance. Elles ont besoin d’un peu de sens à leur vie. Elles ont besoin de désir.
Nous pouvons leur offrir le pain de l’espérance. Nous pouvons leur faire découvrir un horizon bien plus réjouissant que ce qu’elles ont connu jusque-là. Nous pouvons leur faire découvrir bien des aspects de la vie qui ont de quoi réjouir même les plus grincheux, même les plus désespérés. Nous pouvons leur offrir de bonnes causes à défendre, des sujets de préoccupation à travailler.
Soyons bien clairs : nous ne pouvons pas rester tranquillement au lit, dans notre canapé devant notre écran de télévision ou le nez plongé sur notre téléphone mobile pendant de que des centaines de jeunes se font manger le cerveau par des colporteurs d’idéologies de mort. Offrons le pain de l’espérance à ceux qui n’en ont plus. Offrons le pain de l’espérance à ceux qui n’ont plus ni repère ni motivation.
- Fraternité
Le deuxième pain est celui de la fraternité. C’est le pain qui est capable de mettre fin aux clivages dévastateurs. C’est le pain qui peut mettre un terme aux divisions qui opposent les uns contre les autres en leur donnant le moyen de vivre les uns avec les autres. Nous avons connu l’époque où être protestant c’était s’opposer aux catholiques. 500 ans après, fort heureusement, protestants et catholiques peuvent se regarder en frères. Il importe qu’il en soit de même pour ceux qui se sont affrontés et qui s’affrontent encore sur quel que plan que ce soit.
Nous ne pouvons pas laisser les réseaux sociaux être des déversoirs de haine. Nous ne pouvons pas laisser le champ politique être labouré par les rancœurs. Nous ne pouvons pas laisser la laïcité être un moyen d’opposer les croyants et ceux qui récusent l’idée même de pouvoir croire. Nous ne pouvons pas laisser les conflits à l’étranger monter nos contemporains les uns contre les autres.
Nous avons de la fraternité à injecter dans le clivage entre les croyants et les défenseurs d’une France sans religion. Nous avons de la fraternité à offrir à ceux qui veulent entretenir ce qu’on appelle la lutte des classes. Nous avons de la fraternité à dispenser à ceux qui attisent le conflit des générations, des anciens contre les modernes. Nous avons le pain de la fraternité à offrir à celles et ceux qui se nourrissent exclusivement de l’animosité.
- Liberté
Le troisième pain est celui de la liberté qui est la réponse que nous pouvons apporter au fanatisme et à l’intégrisme. Nous pouvons offrir la liberté aux personnes qui sont enfermées dans des représentations étroites d’elles-mêmes et de la vie. Nous pouvons offrir la liberté à celles et ceux qui pensent que la seule façon d’être fidèles à ses aïeux est de faire exactement ce qu’ils avaient fait, à la lettre près, et qui sont enfermés dans un déterminisme. Nous pouvons offrir la liberté à ceux qui se laissent berner par l’illusion d’une vie qui serait facile parce qu’il suffirait de se soumettre à une règle considérée sacrée, qui nous dispenserait de réfléchir, qui nous dispenserait de prendre position : cela revient à libérer du fantasme de la pureté absolue, d’une vie sans compromission, sans la moindre trace de mal ni de malheur.
Nous pouvons offrir la liberté de penser, la liberté de croire, mais aussi la liberté de ne pas croire les sornettes. Nous pouvons offrir la liberté de ne pas se soumettre aux idoles, de ne pas se soumettre aux forces destructrices. Nous pouvons offrir la liberté de résister aux superstitions et à la tentation du pouvoir. Nous pouvons offrir la liberté de résister aux rumeurs, aux fausses informations. Et nous pouvons offrir la liberté d’adhérer aux projets qui rendent la vie plus douce, plus juste, plus intéressante, plus réjouissante. Nous pouvons offrir la liberté de partir à l’aventure, d’explorer la vie et de frayer sa propre route.
La responsabilité de conscience
Par ailleurs n’oublions pas, et c’est un amoureux de la liberté qui vous le dit, qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité. C’est la raison pour laquelle nous pouvons, certes, célébrer la liberté de conscience, mais nous devons également exercer notre responsabilité de conscience. Cela commence par l’éveil de la conscience de nos contemporains. C’est là notre vocation personnelle et notre vocation collective, pour le temps présent. Cela passe ensuite par le don du pain de l’espérance, de la fraternité et de la liberté. Je parle bien de don. Nous agirons par grâce seule, selon l’esprit des réformateurs, selon l’esprit qui règne dans les pages de la Bible. Nous n’offrirons pas le pain de l’espérance, de la fraternité ou de la liberté dans l’espoir de faire venir à nous ceux qui en ont cruellement besoin. Nous ne distribuerons pas le pain dans le but de gonfler nos effectifs, de remplir nos temples, d’accroître nos listes d’adhérents. Si nous le faisions pour cela, nous ruinerions l’espérance de ceux qui nous feraient confiance, ce ne serait nullement fraternel et nous les rendrions captifs de nos communautés au lieu de les rendre libres.
Nous sommes agents de la grâce et c’est par grâce seule que nous rejoindrons nos contemporains jusque dans leur nuit, autant de fois que nécessaire, jusqu’au jour où, de bon cœur, ils nous feront entendre la voix du Seigneur. Alors, nous pourrons saluer l’aurore.
Une protestante de Genève vous dit merci.