Dieu ET César

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Luc 20/20-26

20 Ils se mirent à observer Jésus; et ils envoyèrent des gens qui feignaient d’être justes, pour lui tendre des pièges et saisir de lui quelque parole, afin de le livrer au magistrat et à l’autorité du gouverneur. 21 Ces gens lui posèrent cette question : Maître, nous savons que tu parles et enseignes droitement, et que tu ne regardes pas à l’apparence, mais que tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité. 22 Nous est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? 23 Jésus, apercevant leur ruse, leur répondit : 24 Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l’effigie et l’inscription ? De César, répondirent-ils. 25 Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. 26 Ils ne purent rien reprendre dans ses paroles devant le peuple; mais, étonnés de sa réponse, ils gardèrent le silence.

Cette scène biblique est souvent utilisée pour justifier, a posteriori, la laïcité à la française, surtout par ceux qui voudraient que la séparation des Eglises et de l’Etat soit particulièrement étanche. Les défenseurs d’une séparation radicale utilisent ce passage pour dire que la religion, non seulement ne doit pas diriger la société, mais qu’elle ne doit jamais intervenir dans le champ politique. Ceux-là veulent que les croyants s’occupent de leur religion et qu’ils laissent aux autres le soin de diriger les affaires publiques, sous-entendu que les croyants ne s’occupent pas des affaires sérieuses. Cela mérite quelques objections, en s’appuyant précisément sur ce texte.
Tout d’abord, il faut convenir que Jésus et ses interlocuteurs ne sont pas en train de s’interroger sur les relations possibles ou interdites entre la religion et la politique. Ce qui intéresse les interlocuteurs de Jésus, c’est de trouver un moyen de coincer ce formidable orateur qu’est Jésus en le mettant dans une situation où il ne saura pas quoi répondre, sinon qu’il convient de se soumettre docilement à la force d’occupation romaine, ce qui serait un aveu de faiblesse, au mieux, un délit de collaboration avec l’ennemi, à condamner avec la plus grande sévérité, plus certainement. La polémique porte sur les relations avec l’ennemi, pas avec la société civile.

Néanmoins, le retournement de situation opéré par Jésus, qui met ses contradicteurs dans l’embarras puisqu’il révèle qu’en ayant sur eux de l’argent romain avec la figure de l’empereur (une représentation du vivant qui est au demeurant contraire au décalogue), ils collaborent bel et bien avec l’ennemi, est l’occasion de la formule désormais célèbre qui suscite la réflexion sur la tension entre le théologique et le politique : « rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ». C’est aux mêmes personnes que Jésus s’adresse quand il leurs recommandent de rendre à Dieu et à César. Il n’y a pas d’un côté les croyants qui devraient s’occuper de Dieu et de Dieu seulement et, de l’autre côté, des non croyants qui s’occuperaient des affaires de la cité. Jésus ne clive pas la société. Il n’y a pas de choix à faire entre deux termes. Chacun peut être en relation à Dieu ET à César qui est la fonction symbolique du pouvoir politique, comme l’attestera l’usage des mots Kayser ouTsar qui viennent de César.

Alors, à ceux qui voudraient défendre la théorie des deux règnes suggérée par le réformateur Martin Luther, -qui distingue deux ordres d’activités : la prière, les sacrements, la sanctification pour le règne spirituel et le maintien de l’ordre, la justice pour le règne temporel- il convient de prendre acte du fait que Jésus pose que chaque être humain participe de chaque règne, sans oublier que Dieu transcende largement la sphère dans laquelle les uns et les autres aimeraient parfois l’enfermer pour avoir la paix.
Nous pouvons aller plus loin dans le commentaire de la parole de Jésus en nous intéressant à ce que peut signifier « rendre à César ce qui est à César ». Certes, il est question de rendre l’argent qu’il a produit, mais qui n’est jamais que le fruit de ce que tous les citoyens ont mis en commun – citoyens qui, nous l’avons vu, peuvent être aussi croyants. Il faut donc comprendre que « rendre à César » ne consiste pas à se débarrasser de ce qui lui appartiendrait en propre, puisque César n’a rien en propre. Ici, la monnaie est un symbole (elle porte l’effigie du César), elle symbolise cette société, ce  peuple formé de ceux qui ont choisi de partager leur histoire, de mettre en commun leur destinée et les moyens nécessaires pour cela. Et César est la figure symbolique de celui ou celle qui a la responsabilité de ce que nous appelons aujourd’hui l’Etat de droit.

Ainsi, rendre à César ce qui est à César, c’est rendre à l’autorité politique sa dimension symbolique, c’est lui conférer la dignité, le sérieux et l’importance qui conviennent. En poussant un peu le verbe « rendre », nous pourrions dire que les membres du peuple doivent répondre aux politiques, ils doivent exercer leur responsabilité envers le politique. Pour le dire de manière négative, ce que Jésus indique, c’est qu’il n’est pas question d’abandonner le champ politique au prétexte que l’on serait croyant voire qu’on aurait une responsabilité religieuse, voire qu’on serait le président de la Fédération protestante de France. Disons-le maintenant de manière positive et avec des termes contemporains que nous ne trouvons pas dans le texte biblique, mais qui me semblent fidèles à l’esprit de ce texte : il appartient aux chrétiens – ne parlons pas à la place des autres religions – de rendre le pouvoir politique crédible, de lui rendre des lettres de créances. Après tout, les chrétiens ne sont pas les moins bien équipés en matière de crédibilité, de croyance, de foi. Rendre la classe politique crédible, c’est une responsabilité que les croyants sont capables d’assumer. Il est possible d’entendre dans la réponse de Jésus qu’il appartient aux chrétiens de donner de la consistance au champ politique en le renforçant sur le plan symbolique et en faisant comme ils font pour Dieu. Notons bien que rendre à Dieu est sur le même plan que rendre à César. Rendre à César doit donc se faire avec le même sérieux que rendre à Dieu. Les chrétiens peuvent donc utiliser ce que leur spiritualité met à leur disposition pour rendre à César ses lettres de noblesses. Avec le philosophe Mark Walzer, retenons trois caractéristiques des gens de la Bible que les chrétiens trouvent dans la notion d’Alliance qui est au cœur de la Bible et qui pourraient être mises à profit du champ politique :

  1. L’adhésion qui marque un consentement personnel, condition indispensable de la liberté des individus. L’alliance entre Dieu et le peuple est fondée sur un consentement, et non une contrainte ou un dépit. Nous savons que lorsqu’il n’y a pas de consentement, l’alliance ne fonctionne pas.
  2. La loi, bien évidemment, la loi qui est au cœur de l’alliance. La loi comme structuration des relations. La loi non pas comme contrainte, mais comme chemin, comme perspective, comme colonne vertébrale, comme parole qui unit, comme parole de concorde valable de la même manière pour tous, sans exclusive, sans passe-droit, même pour Dieu, dont le Deutéronome dit qu’il ne reçoit pas de présent.
  3. La possibilité, en troisième lieu d’exercer une critique, ce que font les prophètes, qui est aussi bien un moyen d’exercer sa vigilance sur la question de la justice, par exemple, que l’exigence d’une hauteur de vue et d’une forme de noblesse, dans l’art de conduire les affaires publiques. Les prophètes ne laissent jamais les souverains tranquilles. On peut même dire qu’ils ramènent souvent leur grain de sel. Et c’est ce que fera Jésus face à Pilate en lui rappelant opportunément, au moment de son procès, que Pilate n’aurait aucun pouvoir s’il ne lui avait été donné d’en haut (Jean 19/11).

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu ET à César ce qui est à César, ce pourrait être une manière de relever César du caniveau.

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