Ecouter la prédication
Luc 20/9-19
9 Il se mit ensuite à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, l’afferma à des vignerons, et quitta pour longtemps le pays. 10 Au temps de la récolte, il envoya un serviteur vers les vignerons, pour qu’ils lui donnent une part du produit de la vigne. Les vignerons le battirent, et le renvoyèrent à vide. 11 Il envoya encore un autre serviteur; ils le battirent, l’outragèrent, et le renvoyèrent à vide. 12 Il en envoya encore un troisième; ils le blessèrent, et le chassèrent. 13 Le maître de la vigne dit : Que ferai-je ? J’enverrai mon fils bien-aimé; peut-être auront-ils pour lui du respect. 14 Mais, quand les vignerons le virent, ils raisonnèrent entre eux, et dirent : Voici l’héritier; tuons-le, afin que l’héritage soit à nous. 15 Et ils le jetèrent hors de la vigne, et le tuèrent. Maintenant, que leur fera le maître de la vigne ? 16 Il viendra, fera périr ces vignerons, et il donnera la vigne à d’autres. Lorsqu’ils eurent entendu cela, ils dirent : A Dieu ne plaise ! 17 Mais, jetant les regards sur eux, Jésus dit : Que signifie donc ce qui est écrit : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient Est devenue la principale de l’angle ? 18 Quiconque tombera sur cette pierre s’y brisera, et celui sur qui elle tombera sera écrasé. 19 Les principaux sacrificateurs et les scribes cherchèrent à mettre la main sur lui à l’heure même, mais ils craignirent le peuple. Ils avaient compris que c’était pour eux que Jésus avait dit cette parabole.
500 ans après, on parle encore du protestantisme. Près de 2000 ans après, on parle encore du christianisme. Et on en parle en des termes qui n’ont rien de compte rendu de fouilles archéologiques, qui établirait le constat de ce qui fut, mais qui n’est plus. Et pourtant, que cette histoire est fragile et, surtout, menacée. Cette parabole des vignerons homicides en est la triste illustration. Avant même qu’on se mette à parler du christianisme, les relations entre Dieu et l’humanité ont été marquées par une forme de « – je t’aime – moi non plus ». Le premier Testament est constellé de ces prises de pouvoir violentes, destinées à servir des intérêts personnels et certainement pas la plus grande gloire de Dieu. Le premier Testament parle de faux bergers qui entraînent le peuple hébreux sur des chemins qui ne sont pas les chemins de l’Eternel. Et l’histoire se poursuivra avec l’épisode de Jésus qui est, bien entendu, au cœur de cette parabole où l’accumulation de violence et de cupidité trouve son point culminant avec la crucifixion de Jésus, crucifixion qui ne relève pas de la volonté de Dieu, mais qui est la conséquence de la volonté de quelques uns de garder le pouvoir qui leur a été confié.
Martin Luther n’a pas connu le même sort que Jésus, quoi qu’il s’en est fallu de peu, parfois, pour qu’il se fasse occire. Tous ceux qui ont fait œuvre de réforme au sein du christianisme ont eu maille à partir avec ceux (rarement celles) qui avait mis la main sur l’institution après qu’on leur avait confié la responsabilité des âmes. Chasse aux sorcières, inquisition, traque des hérétiques, persécution, dragonnade… les épisodes ne manquent pas dans cette histoire conflictuelle entre Dieu et les croyants, et ceux qui voulaient être les chefs des croyants. Manifestement, la spiritualité n’a jamais fait bon ménage avec le pouvoir. Cela est vrai également quand les croyants se sont élevés contre des situations inhumaines. Le pasteur Dietrich Bonhoeffer mourra en camp de concentration en avril 1945, le pasteur Martin Luther King sera assassiné, l’un et l’autre parce qu’ils auront essayé de faire valoir les droits de Dieu sur la prétention de quelques uns à déterminer le destin de tous les autres.
Martin Luther n’a pas été assassiné, mais ses idées, sa réforme, ses intuitions, ne sont-elles pas mortes, ne sont-elles pas enterrées ou tout juste dans le souvenir de nos mémoires parpaillotes désireuses de trouver un moyen de faire parler de nous ? Le professeur Michel Bertrand nous entretiendra tout à l’heure sur l’actualité de Luther.
Il n’est pas inutile de s’interroger sur ce qui constitue, pour nous, à titre personnel, la pierre d’angle. Quelle est donc la pierre sur laquelle reposent nos convictions ? Sur quoi nous fondons-nous lorsque nous devons prendre des décisions, lorsque nous devons faire des choix de vie, lorsque nous pensons à l’éthique, à notre manière d’être avec les autres ? Il n’est pas impossible que la pierre angulaire sur laquelle nous aurions intérêt à bâtir notre vie ne soit pas une pierre très populaire. Il se pourrait même que ce soit une pierre rejetée par les bâtisseurs officiels. Mais qu’importe ? Qu’importe si ce que nous retenons comme essentiel pour notre vie n’est pas à la mode ? Qu’importe si les signes semblent contraires ? Notre foi devrait-elle tenir compte des sondages, des indices de popularité ? Qu’importe si celui que nous reconnaissons comme Christ n’a pas eu une majorité pour lui au moment de sa prédication et s’il a fini sur une croix. Qu’importe si nombre de ses apôtres ont été mis à l’index voire éliminés. Cela ne dit rien de la véritable valeur des personnes, ni des idées qui font une vie. La qualité d’une personne, la qualité d’une conviction, ne se mesure pas à leur asservissement au plus fort, mais bien au contraire, à leur liberté à l’égard du pouvoir et à leur capacité à promouvoir le droit et l’état de droit.
Cette parabole présente Dieu comme ce qui ne se compromet pas avec ce qui est injuste, qui ne s’accommode pas de ce qui est violent, qui ne se résout pas à céder face à la pression des iniques ou, en d’autres occasions, à la pression des cyniques. Cela pourrait être tout aussi bien un discours de radicalisation, un discours intégriste qui ne se préoccupe plus d’autre chose que de ce qu’il a en tête. Ce pourrait être une forme d’intransigeance aussi violente que la violence à laquelle elle entend s’opposer, capable de se venger de ceux qui ne lui ont pas accordé sa confiance voire sa soumission. La pierre d’angle qui devient l’arme pourrait être comprise comme une arme à double tranchant qui vient punir ceux qui ne l’ont pas adorée.
Mais nous pouvons entendre cette parabole de la justice de Dieu avec la théologie du Process qui indique que Dieu est ce qui offre à l’humanité des occasions de rédemption, des occasions de faire de sa vie un royaume divin. A chaque fois que nous refusons ces occasions, à chaque fois que nous négligeons les propositions qui nous sont faites pour rendre notre vie plus juste, plus humaine, alors nous nous infligeons notre propre condamnation en restant sous le régime de la violence voire de la sauvagerie. A chaque fois que nous refusons ce qui pourrait nous rendre plus humains, nous diminuons notre humanité. Constatons que Jésus, pour sa part, n’a pas manqué les rendez-vous de l’humanité. Il n’a pas fui ses responsabilités de même qu’il n’a pas fui les situations où il fallait avoir une spiritualité puissante pour ne pas céder aux sirènes du pouvoir ou de la violence. Cette semaine de Pâques est aussi une manière d’honorer cet art de vivre qui consiste à cueillir dès aujourd’hui les occasions divines pour rendre notre monde plus humain, à la manière du Christ Jésus, à la manière de celles et ceux qui lui ont succédé, parmi lesquels Martin Luther et bien d’autres témoins de l’Evangile qui nous aide à bâtir un monde un peu plus vivable.