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Romains 12/1-8
1 Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. 2 Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. 3 Par la grâce qui m ‘a été donnée, je dis à chacun de vous de n’avoir pas de lui-même une trop haute opinion, mais de revêtir des sentiments modestes, selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun. 4 Car, comme nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n’ont pas la même fonction, 5 ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres. 6 Puisque nous avons des dons différents, selon la grâce qui nous a été accordée, que celui qui a le don de prophétie l’exerce selon l’analogie de la foi; 7 que celui qui est appelé au ministère s’attache à son ministère; que celui qui enseigne s’attache à son enseignement, 8 et celui qui exhorte à l’exhortation. Que celui qui donne le fasse avec libéralité; que celui qui préside le fasse avec zèle; que celui qui pratique la miséricorde le fasse avec joie.
Ne vous conformez pas à ce siècle, mais soyez métamorphosés par l’intelligence
Chers frères et sœurs, comme si tous nos malheurs ne suffisaient pas, voici que nous venons de subir l’ouverture de la saison des sondages en vue de l’élection présidentielle. Je me demande si, d’un point de vue théologique, les sondages ne sont pas pires que les horoscopes. Au moins les horoscopes peuvent prêter à sourire quand ils sont rédigés avec humour, quand ils ne cachent pas le fait que ce n’est qu’un divertissement et qu’il ne faut surtout pas les prendre pour une annonce scientifique de ce qui va arriver. Les sondages, eux, sont frappés de la condamnation dont Paul est l’apôtre : soyez non-conformistes. Les sondages ne servent à rien d’autre qu’exprimer des rapports de forces. Ils ne disent rien sur ce que proposent les candidats, sur les réformes qu’ils envisagent, sur les efforts individuels qui seront proposés, sur les arbitrages budgétaires. La publication de sondages ne peut que produire des mouvements d’adhésion en fonction de la quantité de personnes qui indiquent vouloir voter pour tel ou tel. Le sondage produit du conformisme au temps présent. Et ce conformisme, c’est péché.
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Jésus était non-conformiste
Si l’apôtre Paul nous exhorte à ne pas nous conformer au siècle présent, c’est parce que Jésus était lui-même non-conformiste. Jésus est l’archétype du non-conformiste dont le chrétien doit s’inspirer. Jésus ne se laissait pas dicter ses convictions par les sondages, par l’opinion de masse. Il échappait à la foule, refusant qu’elle lui mette la main dessus. Jésus se retirait, à l’écart, pour prier, c’est-à-dire pour retrouver le sens de sa vie au lieu de se faire contaminer par le sens commun qu’on aurait voulu lui imposer. Face à face avec Dieu, il s’interrogeait non pas sur ce qu’il faudrait faire pour faire plaisir aux gens ou pour faire comme la majorité. Il s’interrogeait devant Dieu pour savoir ce qui était le plus juste.
Dans le jardin de Gethsémani, il aurait bien aimé que la coupe passe loin de lui : il aurait bien aimé ne pas avoir à souffrir (comme 73% des Français qui n’ont pas de comportement auto-dévalorisant chroniques). Mais ce qui lui importait le plus, c’était de donner à sa vie le sens de la justice, pas de la facilité ou du confort.
Quand il discutait avec les gens, Jésus ne s’alignait pas sur la voix du plus fort (Pilate, le grand prêtre) ou des opinions courantes. Matthieu rapporte beaucoup d’idées reçues que Jésus bat en brèche : « vous avez entendu que… mais moi je vous dis ! » Mieux que cela, Jésus n’était pas là où on l’attendait (il n’est pas dans le tombeau où les femmes vont pour l’embaumer, à Pâques) et il est là où on ne l’attendait pas (il est en fait en Galilée, alors que les disciples sont enfermés à Jérusalem). Au passage, notons que Jésus était capable de prendre les gens à contre-pied, notamment Marie, dans le jardin du tombeau, qui n’arrête pas de tourner sur elle-même à cause de Jésus.
Jésus nous révèle que, en tant que chrétien, nous ne devrions jamais soumettre notre âme à autre chose que l’évangile. Paul en parle en disant que nous sommes appelés à discerner la volonté de Dieu, ce qui est bien, ce qui est agréable, ce qui est parfait. Les sondages nous empêchent cela. Songeons que nous avons même eu le droit au coup d’anti-grâce, hier, avec la sortie de deux sondages pour d’éventuelles élections législatives à court terme en cas de dissolution. Deux sondages sur les circonscriptions des Landes et de l’Eure, là où deux députés sont sous la pression pour former une nouvelle majorité politique et qui, selon les sondages, ne seraient pas réélus en cas d’élection. Autant dire que ces sondages sont destinés à mettre la pression à des personnes qui devraient penser en fonction de l’intérêt général et non pas de leur ambition personnelle.
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Le monde a besoin de notre expertise, pas de notre soumission
L’esprit conformiste est bien compréhensible. Nous sommes tous dotés d’un instinct grégaire. Nous sommes tous à la recherche de la sécurité que procure l’appartenance à un groupe. Ce sentiment de sécurité s’exprime aussi dans le fait de vouloir être dans la majorité. C’est inquiétant d’être dans la minorité. C’est au minoritaire qu’on demande des comptes, qu’on demande de s’expliquer, de se justifier. Ce sont les minoritaires qui ont à craindre que la majorité leur fasse des misères : les minorités religieuses ont souvent payé le prix fort. Nous pouvons facilement comprendre que bien des gens recherchent un confort émotionnel et mental en étant bien au chaud dans la majorité qui se comprend comme la communauté de ceux qui pensent bien, qui ont raison et à qui on ne va pas chercher des poux dans la tête.
Mais la vie chrétienne ne consiste pas à être le baromètre de la société, ou à tourner dans le sens du vent. La vie chrétienne consiste à exercer la pression dans le sens de ce que l’Évangile nous appelle à vivre, et à favoriser l’esprit de Dieu qui souffle justement dans ce sens. Ne pas se soumettre au groupe, c’est refuser de se laisser dicter nos pensées et refuser d’en venir à faire des choses qu’on ne voudrait pas – tout cela pour être sûr de continuer à appartenir au groupe.
En prenant l’image du corps qui a différents membres, membres qui ont chacun leur utilité et qui ont donc des fonctions spécifiques, Paul nous fait comprendre que nous sommes des êtres uniques en leur genre. Chacun de nous est doté d’aptitudes et de compétences spécifiques. Nous avons aussi un regard sur le monde, sur les situations, qui nous est propre.
Par conséquent, si nous nous soumettons au diktat du plus fort ou des plus nombreux, le monde perd notre spécificité. Et le monde s’en porte moins bien, car ce que nous incarnons lui fait défaut. Si le prophète se tait, la société perdra tout esprit critique. De même, si le diacre s’arrête, la société perdra tout esprit de service. Si l’enseignant abdique, la société perdra toute intelligence. Et ainsi de suite.
Thomas Jefferson, animé d’un esprit tout chrétien, avait déclaré : « j’ai juré, sur l’autel de Dieu, hostilité éternelle à toute forme de tyrannie sur l’esprit de l’homme[1] ». Nous sommes parfois notre propre tyran, lorsque la soumission est volontaire dans le but de nous attirer les faveurs de la majorité et un confort qui n’est alors pas autre chose qu’une paresse. C’est comme cela qu’on en arrive à avoir un protestantisme qui ne sert plus à rien. Le protestantisme est joli dans le décor de la République française, il ne fait pas tâche. Mais enlevez le protestantisme de la France, qu’est-ce que ça changerait ? Honnêtement. Au mieux espérons-nous, à la manière des sondages, que les gens se rallient à notre courant spirituel, mais avec quel bénéfice pour la société ?
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Rester humble et intelligent
Attention, toutefois, à ne pas verser en direction de l’orgueil, nous prévient Paul. Ne pas se conformer à ce siècle, aux usages majoritaires, aux tendances des sondages, ne signifie pas qu’il faut faire le malin. N’ayons pas une trop haute opinion de nous-mêmes, nous recommande l’apôtre Paul. C’est l’humilité qui doit nous caractériser. Laissons la morgue quai de la Rapée.
C’est indispensable pour avoir une intelligence des situations. Celui qui s’installe dans une sorte de suffisance n’apprend jamais rien de la vie. Il n’apprend rien des autres. Il ramène tout à soi et « soi », rien que « soi », ce n’est pas grand-chose. C’est marqué par la finitude, le péché. L’humilité nous permet de faire bon accueil à la grâce qui renouvelle notre intelligence, comme l’indique l’apôtre Paul.
C’est à la condition de ne pas être orgueilleux, mais humbles, qu’il nous est possible d’être métamorphosés par le renouvellement de l’intelligence. Cette intelligence des situations nous est accessible dès lors que nous adoptons le point de vue de Dieu, et non un point de vue partial, un point de vue conditionné par nos envies ou par nos craintes. Ou encore un point de vue conditionné par le désir d’être anticonformiste.
L’anticonformiste est celui qui adopte automatiquement la position inverse à la tendance majoritaire. Si on y réfléchit bien, cela signifie que l’anticonformiste n’est pas plus libre de ses choix, de ses paroles, de son attitude que celui qui suit toujours le mouvement majoritaire. En effet, l’anticonformiste a toujours une attitude conditionné par la mode, à l’opposé, mais c’est quand même la mode qui décide de sa vie.
Jésus était non-conformiste et pas anticonformiste. Il ne cherchait pas dire l’inverse de ce qu’il entendait, ce qui aurait été un esprit de contradiction. L’anticonformiste n’est pas un être libre. C’est un être qui dépend de la tendance du moment. Il subit les effets de mode en en prenant toujours la direction opposée. Le non-conformiste est celui qui se positionne de manière inconditionnée. Jésus recherchait ce qui était juste de manière inconditionnée, sans se fier aux sondages, sans demander au grand-prêtre ce qu’il devait croire, ce qu’il devait penser. Ce qui l’intéressait, c’est ce qui devrait nous intéresser encore : le point de vue de Dieu.
Ne pas céder à la pression des sondages, de l’argument d’autorité, au diktat de la majorité, et même aux figures d’autorité qui se sentent bien disposées à nous dire ce qu’il faut faire, ce qu’il faut penser et croire, ce qu’il faut voter. Rester libres et désireux de faire prévaloir le point de vue de Dieu, la dimension universelle. Prendre le point de vue de Dieu pour ne pas se conformer au monde présent, mais avoir notre esprit renouvelé par la grâce.
Amen
[1] Thomas Jefferson, Writings, X, p. 175.
Encore merci de vous…
Loin à Montpellier combien votre parole raisonne !
Oui comme Paul Ricoeur faisait la différence entre Éthique et Morale merci de poser la différence entre Anticonformiste et Non Conformiste .
Claudine
Quel plus beau XI ème commandement que celui-là: »Ne te conformes pas au sciècle », et merci d’avoir une fois de plus titiller notre esprit avec la distinction entre non conformisme et anticonformissime.
Et pour rajouter un « grain de sel » de plus, disons que suivre l’opinion générale sans avoir fait jouer son libre arbitre au préalable, c’est un peu renoncer à son droit à la recherche du bonheur.