Dialogue avec Yann Boissière, rabbin du Mouvement Juif Libéral de France – Judaïsme en mouvement, à l’occasion de la publication de son livre Courage, croyons ! Pour en finir avec les clichés anti-religieux.
Et si la religion n’était pas tant un savoir sur Dieu qu’une activité qui prend sens devant Dieu ? Et si la religion, c’était choisir la vie ? Comment choisit-on sa religion, quand on n’a pas été croyant jusque-là, quand on vient d’une famille athée, par exemple ?
Pour le rabbin Yann Boissière, croire c’est être en quête de sens et non tenir pour historique le contenu des textes bibliques (p. 152). Croire, c’est choisir les fondements de la vie, de l’être, ce qui a des conséquences sur notre éthique personnelle. Dieu, c’est ce qui appelle, ce qui suscite le désir. L’éthique découle directement de la vision d’un monde créé au sens d’un langage (p. 158) dont la grammaire s’articule à partir de « Dieu ».
Or cette compréhension de la religion n’est pas un fait commun. De là vient un conflit entre religion et société pour laquelle la religion est surtout un folklore. Paradoxalement, on disqualifie les religions et on s’étonne qu’elles existent encore – ignorant ainsi le fonds religieux de l’humain.
Trois biais de la pensée non religieuse envers les religions
On reproche parfois le caractère indigent des textes dits sacrés qui ne seraient que des justifications a posteriori de normes sociales et de structures politiques. Cela mérite un examen.
Croire en Dieu, c’est affirmer l’existence de Dieu.
Or, ne pas croire en Dieu, c’est plutôt ne pas s’intéresser à ce qu’il désigne. Croire en Dieu, c’est donner une orientation particulière à sa vie… le sens que « Dieu » donne à ma vie (p. 19). Peut-on dire « je crois en Dieu » sans que « Dieu » ait la moindre consistance, la moindre réalité ?
La religion est une tentative d’expliquer le monde
Lit-on le livre de la Genèse comme l’explication de l’origine de l’univers ? Yuval Harari pense que Dieu est un bouche trou qui comble nos ignorances jusqu’à ce que la science explique ce qui était incompréhensible jusque-là. Or « d’où viennent les lois de la physique » n’est pas une question portée par les religions (p. 27) : science et religion ne s’intéressent pas aux mêmes domaines : contrairement à la science qui cherche l’étape d’avant, la religion cherche plutôt l’étape d’après : vers quoi l’être humain est-il tendu ?
La religion est une réponse à la peur et au besoin
Le rabbin Boissière récuse une approche fonctionnelle de la religion qui permettrait de couvrir des besoins. Toutefois, la religion peut apporter de la raison dans le champs religieux, de la rationalité dans la religion sauvage – la religion comme instance de régulation dans le champ de l’irrationnel.
la critique de la religion et la religion qui exerce ses capacités critiques
Foi et raison sont à comprendre comme des alliés plutôt que des opposants. L’apport de la philosophie des Lumières peut être un sujet d’appréciation différentes du point de vue des croyants selon le goût pour le surnaturel. La théologie ne nous conduit pas à considérer que la loi vient physiquement du ciel ; elle conduit à découvrir la portée métaphorique des textes bibliques. La période des Lumières a pu être un temps pour la tentative de détruire la théologie, mais aussi une période favorable pour sauver la théologie de la religion qui prétendait régler l’intégralité de la vie. Yann Boissière revient sur la critique de Spinoza qui fait de la religion un épouvantail dont le croyant serait servile. La religion n’est pas un habillage politique, elle n’est pas non plus un divertissement.
La théologie permet de repérer les idolâtrie, dont une nouvelle forme est le « dataisme » : la vérité par la data (la donnée, l’ensemble des données recueillies sur les gens, sur leurs pratiques, la habitudes…). L’une des conséquences de la data est de déresponsabiliser les personnes en substituant des corrélations aux liens de causalité – deux événements simultanés ne sont pas nécessairement liés, l’un n’est pas nécessairement causé par l’autre.
Yann Boissière, Courage, Croyons ! Pour en finir avec les clichés anti-religieux, Paris, Desclée de Brouwer, 2022.