La liberté de la Presse – dialogue avec Ariane Chemin


Écouter le dialogue – télécharger

« Certes, on dit : la liberté de parler, ou d’écrire peut nous être retirée par un pouvoir supérieur mais absolument pas celle de penser. Toutefois, quelles seraient l’ampleur et la justesse de notre pensée, si nous ne pensions pas en quelque sorte en communauté avec d’autres à qui nous communiquerions nos pensées et qui nous communiqueraient les leurs ! On peut donc dire que ce pouvoir extérieur qui dérobe aux hommes la liberté de communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser : le seul joyau qui nous reste malgré toutes les charges de la vie civile et grâce auquel on puisse trouver remède à tous les maux de cet état. »[1]

Par ces mots, le philosophe Emmanuel Kant nous rend attentif à notre responsabilité à l’égard de tous les moyens par lesquels les idées se diffusent, se communiquent. Ces moyens, ce sont des médias, au premier rang desquels la Presse. S’interroger sur la liberté de la Presse, c’est travailler en faveur de la liberté d’expression et, ultimement, en faveur de la liberté de pensée.

Dialogue avec Ariane Chemin, grand reporter au journal Le Monde, sur la liberté de la Presse

 

La fonction de journaliste – prophète

Dans la Bible, les prophètes apparaissent avec le pouvoir royal. Ils se tiennent face à Dieu pour faire face au roi. Les prophètes s’efforcent d’exposer le réel : ils repèrent les mécanismes à l’œuvre dans l’histoire, ils mettent en évidence les conséquences des choix de vie, des décisions du peuple ou du roi. Non pas seulement ils exposent les faits, mais ils établissent le lien avec les conséquences possibles.

Un grand reporter se sent-il une vocation de prophète, au sens de mettre en lumière les enjeux des situations, de mettre les événements en perspective, de voir dans quel sens cela va ou s’agit-il juste de rendre compte des faits. Les faits, rien que, les faits ?

Conflit herméneutique

Il y a des débats entre prophètes qui sont en désaccord. Qui a raison ? cf Jérémie 28 : Jérémie contre le faux prophète Hanania. Débat contradictoire, conflit des interprétations : tout n’est-il pas interprétation ? Comment se règlent les désaccords au sein d’une rédaction ?

Sensationnalisme / Les limites de l’info/ Interdit de la nudité

On sait assez peu de choses sur les personnages dans la Bible, notamment sur Jésus. On s’intéresse assez peu au caractère des personnages (qui sont fictifs pour la plupart). N’y a-t-il pas un voyeurisme des médias qui favorise la superficialité, le sensationnalisme, plutôt que la recherche du sens de l’événement ?

Quelle limite à la vie privée ? Comment préserver les libertés de l’individu ?

La recherche de la vérité / fake news

Après l’ordonnance du 14 juin 1643 du Parlement anglais pour établir la censure, John Milton rédigea « Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure », le 23 novembre 1644. Il écrivait : « Le bien et le mal ne croissent pas séparément dans le champ fécond de la vie ; ils germent l’un à côté de l’autre, et entrelacent leurs branches d’une manière inextricable. La connaissance de l’un est donc nécessairement liée à celle de l’autre, comme tissée avec elle, et sous tant de ressemblances subtiles ils se distinguent si peu. »

Il allait encore plus loin que la parabole biblique en déclarant que vérité et mensonges sont mêlés d’une manière inextricable. Pour autant, il ne s’agit nullement de renoncer à dénouer le tissage serré des fausses nouvelles et des informations exactes. C’est l’usage d’un arsenal législatif et des moyens juridiques qui étaient récusés par Milton, de la même manière que le seigneur de la parabole (Matthieu 13/24-30) rejetait l’idée de procéder à l’arrachage brutal de l’ivraie. Cette brutalité reviendrait à arracher une part de la vérité et, par conséquent, à faire reculer une part de notre humanité. En laissant croître jusqu’à maturité, le seigneur avait une manière d’agir qui a pu inspirer Milton qui continuait son écrit de la manière suivante : « Puisqu’il faut démêler l’erreur pour arriver à la vérité, est-il méthode moins dangereuse de parvenir à ce but, que celle d’écouter et de lire toute sorte de traités et de raisonnements ? Avantage qu’on ne peut se procurer qu’en lisant indistinctement toutes sortes de livres. »

Un organisme de censure, un appareil d’État chargé de rejeter les mauvaises informations, serait une réduction de notre liberté.

 

[1] E. KANT, S’orienter dans la pensée, p. 69.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.