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Matthieu 13/24-30
24 Il leur proposa une autre parabole, et il dit: Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. 25 Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla. 26 Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi. 27 Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire: Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? 28 Il leur répondit: C’est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent: Veux-tu que nous allions l ‘arracher ? 29 Non, dit-il, de peur qu ‘en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. 30 Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs: Arrachez d’abord l’ivraie, et liez -la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier.
Chers frères et sœurs, un jeune baptisé est comme un champ capable d’accueillir ce qu’on y sèmera. Dans le texte biblique, deux types de plantation sont réalisés. Il y a deux cultures qui sont faites simultanément. Et on pourrait se dire qu’il y a là une forme de multiculturalisme tout à fait intéressant. Pourtant, l’une des deux pousses n’a pas la faveur de Jésus. L’ivraie va devoir être brûlée, ce qui n’a rien d’un sort enviable. Cela signifierait-il que la foi chrétienne est une monoculture et je dirais même une culture qui exclut tout autre culture – une forme d’intégrisme qui rejette tout ce qui diffère, tout ce qui lui est étranger ?
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Ne pas céder à l’ivresse
Pour bien comprendre ce dont il est question dans ce passage biblique, il faut s’intéresser de près aux deux plantations qui sont effectuées. Il y a d’une part le bon grain, et de l’autre il y a l’ivraie. Notre traduction traditionnelle a eu un impact considérable sur la manière dont on a compris cette image. D’un côté le bon grain et donc, de l’autre, le mauvais grain. C’est simple comme bonjour. D’un côté le bien et de l’autre côté le mal. Dans le texte grec, c’est un peu plus subtile que cela. Ce que nous appelons le bon grain, c’est du kalos spermatos. Kalos, comme dans calligraphie, signifie « beau » – belle écriture. Quand à spermatos, que nous retrouvons dans spermatozoïde, c’est la semence, ce qui est fécond. « Belle semence », au sens le plus littéral qui soit, c’est-à-dire une semence qui confine au sublime, une semence idéale, une semence qui va accomplir toutes ses potentialités – une semence pleine de grâce en quelque sorte.
Quant à l’autre plante, l’ivraie, il n’est pas inintéressant d’observer que son nom grec est zizanion, ce qui donne la zizanie. Il y aurait certainement des interprétations édifiante à faire sur ce qu’il faut faire quand quelqu’un sème la zizanie, que ce soit dans l’Église, dans la famille, ou dans un pays, mais ce n’est pas à proprement parler ce que fait le texte, puisque le sens de la discorde sera bien postérieur – on en trouve des mentions à partir du XIIIè. Néanmoins, ce terme ne manquera pas de nous donner matière à penser, puisque l’ivraie est une plante bien connue dans l’antiquité, ce que sait tout lecteur des Géorgiques, un texte de Virgile sur la terre, dans laquelle il parle de l’ivraie inféconde. Tiens tiens. L’ivraie inféconde qui est semée au milieu de la belle semence, du beau sperme pour revenir à la littéralité du texte grec. Il y a là une distinction pleine d’enseignement entre ce qui est particulièrement fécond et ce qui ne l’est pas du tout.
Mais l’ivraie n’a pas que cette caractéristique. Dans le monde latin, l’ivraie est connue ; c’est d’ailleurs par le latin que nous avons reçu le terme « ivraie » qui vient du latin ebrietas, qui a donné tout à la fois ébriété, ivresse et ivraie. Ce n’est pas un hasard, mais l’expression de l’effet produit par la consommation d’ivraie : on attribuait des propriétés enivrantes à l’ivraie. En fait des études récentes ont montré que c’était probablement un champignon qui s’installait sur l’ivraie qui la rendait enivrante. Toujours est-il que lorsqu’elle est mélangée à la farine de blé (parce qu’elle a poussé au milieu d’un champ de blé et qu’elle a été récoltée avec), elle produit des maux de tête (et à l’époque, il n’y avait pas de doliprane, que ce soit en cachet ou en poudre), elle fait perdre la raison. Autant dire que la perspective que l’ivraie pousse dans un champ de blé n’avait rien de réjouissant. Et c’est ce point qu’il nous faut relever pour être au plus proche de l’intention de l’auteur et, ainsi, être fidèle au texte.
Globalement, ce texte nous met en garde contre le zizanion qu’il ne faut pas consommer comme on consomme le fruit de la belle semence. Le royaume des cieux, c’est la bonne semence sans les désagréments du zizanion. Autrement dit, plus prosaïquement, la religion n’est pas une histoire d’ivresse. Le Royaume des cieux, ce n’est pas un paradis artificiel dans lequel on se réfugierait pour échapper au réel, pour éviter les difficultés, les misères et les malheurs du monde. La religion n’est pas la pour faire perdre la raison, bien au contraire. La religion n’est pas une manière de laisser libre cours à ses émotions ou une manière de perdre le contrôle de soi.
Ce texte fait la différence entre les chrétiens et les crétins. Il considère que tout ce dont nous nous nourrissons ne se vaut pas. Pour le dire plus clairement, tous les discours ne se valent pas, toutes les doctrines, tous les enseignements religieux ne se valent pas, certains sont même toxiques ou, à tout le moins, stériles. Il faut bien être conscient de cela. Tout ce qui a l’allure d’une spiritualité n’est pas automatiquement une bonne semence ou, pour le dire avec une formule de l’antiquité, une parole spermatique, c’est-à-dire une parole féconde, une parole qui améliore notre compréhension de Dieu et donc qui renforce notre humanité.
Mais, nous rappelle ce texte, s’il y a des idées toxiques, s’il y a agissements qui s’attaquent à l’humanité ou à la vérité, il y a aussi de la belle semence disponible. Il appartient aux parents, aux parrain et marraine, à l’Église qui est témoin des baptêmes, d’offrir aux baptisés dont ils ont la responsabilité, de la belle semence. Et il nous appartient aussi de développer l’esprit d’analyse qui permettra de ne pas prendre de l’ivraie pour le froment de Dieu – c’est cela que nous prodiguerons aussi à Élyssa lorsque viendra pour elle le temps du catéchisme. Le Royaume des Cieux, c’est à la fois l’Évangile et l’esprit critique qui permet de ne pas s’alimenter de zizanion qui nous ferait perdre pied.
Ce texte n’est donc pas un pamphlet contre le multiculturalisme. C’est un texte qui excite notre esprit critique pour que nous ne soyons pas naïfs et que nous exercions notre jugement. Nous sommes vigilants sur ce que nous mettons dans notre assiette, soyons vigilant sur ce que nous mettons dans notre foi. Nous sommes vigilants sur ce que nous avalons, sur ce que nous respirons, soyons aussi vigilants sur ce que nous voyons, sur ce que nous entendons : n’hésitons pas à distinguer la belle semence de ce qui empêche notre vie d’être féconde.
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Prendre soin du bon grain plutôt que s’acharner sur l’ivraie
Ce qui est assez étonnant, c’est que Jésus recommande de ne pas arracher l’ivraie quand on la repère. Ce serait pourtant le bon sens de s’attaquer au problème à la racine et de l’éradiquer. Mais Jésus voit les choses autrement. Il explique le risque qu’il y aurait à arracher l’ivraie car cela menacerait aussi le blé. Comme il est difficile de distinguer le blé en herbe de l’ivraie naissante, il est sage de ne pas essayer d’arracher l’un au risque de se tromper et de perdre la bonne récolte. Sans oublier que les racines peuvent être enchevêtrées tant et si mal qu’en arrachant l’un on arrache l’autre aussi.
Cela nous oriente sur la conduite à tenir quand nous sommes soumis à des discours malheureux, à des discours qui n’édifient pas, à ce qu’on appelle des vérités alternatives ou à des mensonges, toutes choses qui défient l’entendement.
S’il est toujours précieux de pouvoir distinguer le vrai du faux, il importe de dépenser son énergie et de mobiliser son intelligence au profit de la bonne semence et pas du zizanion. On peut passer son temps à dénoncer les erreurs et les mensonges. On peut passer son temps à montrer l’ineptie de certains discours et le danger d’affirmations péremptoires. Mais cela présente deux inconvénients : si on se focalise sur les problèmes, on ne prend plus soin de ce qui est souhaitable, de ce qui est estimable. Par exemple, pendant une campagne électorale, si vous passez votre temps à expliquer pourquoi vos adversaires sont des incapables, vous ne donnez aucune raison aux électeurs de voter pour vous. Jésus nous enjoint à ne pas minimiser nos efforts en direction de ce dont il faut prendre soin. Il nous enjoint à ne pas nous laisser divertir par des aspects de la vie qui ne vont pas dans le sens de la mission ou du projet. Par exemple, il serait tout à fait fâcheux que nous passions notre temps à dénoncer les propos haineux, au lieu de faire la promotion de l’amour inconditionnel, au lieu de promouvoir la grâce. Si personne ne prend soin de rendre l’Évangile disponible parce qu’il faut faire la chasse à tous les discours problématiques, il n’y aura peut-être plus de zizanion, mais il n’y aura plus d’Évangile non plus. Et la campagne sera morne.
Cela se comprend mieux par l’explication que Jésus donne de sa vision des choses. Par exemple, si nous prenons le cas de la religion : il y a bien des discours toxiques qui enivrent et font perdre la raison. C’est le cas des discours qui parlent d’un amour divin qui serait conditionné au bon comportement humain, ou à leur soumission aveugle, c’est le cas des discours qui justifient des inégalités entre hommes et femmes, ou entre personnes de nations différentes etc. Il y a des discours qui favorisent l’intérêt corporatiste ou d’un pays au lieu de viser l’intérêt général, d’autres qui soutiennent les exactions etc. Mais c’est en donnant de bonnes raisons penser différemment que les mentalités peuvent évoluer. Ce n’est pas en disant que le racisme c’est mal qu’on incite les gens à ne pas être racistes, mais en révélant la valeur supérieure et le bien fondé de la fraternité universelle.
Passer son temps à déconstruire les discours religieux problématiques, c’est faire courir le risque de disqualifier l’ensemble des discours religieux. Et ce n’est pas pour rien que bien des personnes s’éloignent de la religion : des aspects religieux ont été parfois tellement dénigrés à juste titre que toutes les religions ont fini par être déconsidérées. Dénoncer ce qu’il ne faut pas faire n’enseigne pas ce qu’il faut faire et dénoncer le mensonge où l’erreur n’enseigne pas la vérité. En revanche, mettre en lumière la vérité permet de mettre en évidence ce qui n’est pas la vérité. Rendre crédibles les articles de foi permet de rendre évident ce qui ne devrait pas être un objet de foi. Et chacun sera alors en mesure de pouvoir faire le tri à pleine maturité, au moment de la récolte.
Le Royaume des cieux n’est pas une monoculture. Ce n’est pas pour autant une culture de tout ce qui peut pousser. Ce texte nous rappelle que la présence d’éléments fâcheux dans la vie n’empêche pas ce qui est infiniment désirable de se déployer, pour autant que nous ne nous focalisions pas sur ce qui est négatif. La foi chrétienne nous rend capables ne pas nous laisser distraire de ce qui est essentiel à la vie, de ce qui nous nourrit, de sorte que nous ne perdions pas de vue ce qui est extrêmement positif dans la vie. Plusieurs cultures sont possibles pourvu qu’elles contribuent à nous rendre plus libres de vivre, d’agir, de nous engager… autrement dit d’être responsables. La foi chrétienne nous permet de faire un travail de discernement pour que notre existence ne donne pas prise à ce qui est néfaste et que notre nourriture soit salutaire et favorise notre liberté.
Amen
Toujours très enrichissant, merci pour cette belle prédication