A chaque jour suffit sa peine

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Matthieu 6/25-34
25 C’est pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n’est -elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? 26 Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n ‘amassent rien dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez -vous pas beaucoup plus qu’eux ? 27 Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie? 28 Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement ? Considérez comment croissent les lis des champs: ils ne travaillent ni ne filent; 29 cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. 30 Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs, qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, ne vous vêtira-t-il pas à plus forte raison, gens de peu de foi ? 31 Ne vous inquiétez donc point, et ne dites pas: Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? 32 Car toutes ces choses, ce sont les païens qui les recherchent. Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. 33 Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. 34 Ne vous inquiétez donc pas du lendemain; car le lendemain aura soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine.

Chers frères et sœurs, la Bonne Nouvelle du jour, annoncé dans ce passage biblique, c’est que nous allons pouvoir résorber une partie du déficit de l’Assurance maladie et mettre fin à la consommation de produits stupéfiants, ce qui permettra de réinjecter l’argent dans une économie au service des projets qui rendent la vie plus belle et plus juste. En effet, avec ce passage biblique est promise la fin des inquiétudes qui provoquent des angoisses existentielles insupportables sans l’aide de stupéfiants légaux ou non. Car, nous allons le constater, l’Évangile nous enseigne deux choses essentielles sur la question des inquiétudes ingérables : la première est que nous pouvons nous débarrasser des inquiétudes problématiques si nous nous acceptons tels que sommes ; la seconde est que l’inquiétude du lendemain s’atténue à mesure que nous agissons pour la justice d’aujourd’hui.

  1. S’accepter

La tentation est forte, quand ça ne va pas, de vouloir en finir avec la vie telle qu’elle est. Albert Camus, dans Le mythe de Sisyphe disait que la grande question qui occupe l’humanité est celle du suicide. Il y a bien des moments de la vie où nous ne voyons pas bien comment nous allons nous sortir des difficultés, des ennuis qui, en général, volent en escadrilles. Le suicide peut apparaître comme une solution car nous nous disons qu’une fois mort, nous serons libre, enfin, de tous les problèmes. La vie peut être tellement insupportable que toute porte de sortie, même définitive, peut sembler meilleure que de continuer à se coltiner les soucis.

Avant d’en arriver à ces extrémités, il peut nous arriver de vouloir changer de vie, tout simplement. Être quelqu’un d’autre. Qui n’a pas rêvé, par exemple, de se transformer en chat, ce chat qui semble avoir une vie si paisible, si douce. Ce chat qui n’a plus d’autre responsabilité que celle de savoir s’il va boire ou manger en premier dans cette gamelle qui est toujours remplie par ses maîtres, ou alors faire un petit bond pour se lover au creux du maître, justement, pour ronronner quelques instants avant de ne plus bouger pendant une temps qui s’étirera à l’infini. Qui n’a pas rêvé d’en finir avec les problèmes en changeant sa vie pour une vie sans décision à prendre, sans problème à régler, sans frigo à remplir, sans fuite d’eau à réparer, sans facture à régler, et même sans prédication à préparer ?

Il semble que Jésus aille dans ce sens quand il dit à ses interlocuteurs de regardez les oiseaux du ciel et les lis des champs. Jésus semble encourager les personnes à privilégier une forme d’insouciance analogue à celle des fleurs et des oiseaux qui ne se préoccupent guère du lendemain. Le risque serait d’interpréter cette analogie dans le sens d’une religion qui prétendrait que Dieu donne tout ce dont nous avons besoin et qu’il n’y a plus rien à faire ; il n’y aurait plus qu’à se laisser porter. Ce serait une interprétation qui irait dans le sens du quiétisme : pourquoi s’inquiéter puisque Dieu peut tout ; allons, allons… Dieu ne permettra pas que vous mouriez de faim ou que vous souffriez de froid. Sauf que Dieu n’a pas pu empêcher Jésus de mourir, comme il n’empêche par les accidents de voiture, ni le chômage, ni les overdoses. Asséner de but en blanc à quelqu’un qui ne va pas bien : « quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve » (Mt 7/7) reste un bon moyen de culpabiliser ceux qui manquent de l’essentiel et qui ont beau chercher un sens à leur vie ou chercher un travail et qui n’en trouvent pas.

Il y a derrière les phrases de Jésus une autre réalité à laquelle ce passage biblique essaie de nous rendre attentifs, et c’est le réformateur Martin Luther qui a trouvé une excellente formule pour nous l’expliquer. Reprenant l’image des oiseaux du ciel, Martin Luther écrit : « comme l’oiseau est fait pour voler, l’homme est fait pour travailler[1] ». Sans vouloir faire du travail le point central de la vie humaine, ce qui est intéressant c’est de prendre conscience que ce passage biblique pourrait nous dire, assez simplement, que l’oiseau fait son travail d’oiseau, le lis fait son travail de lis, et, par conséquent, à l’homme de faire son travail d’homme. Assez simplement, ce passage biblique pourrait nous dire que la première chose à faire, c’est d’être soi au lieu de se prendre pour quelqu’un d’autre ou de vouloir être quelqu’un d’autre. Quand l’oiseau se prend pour un oiseau, il ne lui manque rien. Quand la fleur des champs ne cherche pas à se faire aussi grande qu’un chêne, il ne lui manque rien. Encore qu’elle soit bien incapable de pouvoir lutter contre la sécheresse.

Par conséquent, le premier enseignement de l’Évangile consiste à s’accepter et, pour le dire avec le théologien Paul Tillich : accepter d’être accepté en dépit du fait que l’on se sente inacceptable[2]. C’est le grand bénéfice de la foi qui nous permet d’accueillir le fait que Dieu nous accueille de manière inconditionnelle, à l’image du jeune enfant baptisé auquel on dit qu’il est le bienvenu, alors qu’il n’a rien fait pour cela. Comme le dit Tillich, l’affirmation de l’Evangile ne dépend d’aucune condition préalable, morale, intellectuelle ou religieuse. Ce n’est pas le bon, le sage, le pieux qui sont habilités à accepter d’être acceptés, mais ceux qui manquent de toutes ces qualités et qui sont conscients d’être inacceptables. L’Évangile consiste à découvrir que Dieu est plus grand que notre inquiétude parce que Dieu est plus grand que notre refus de nous-mêmes[3].

  1. Avoir la justice de Dieu pour mesure de toute chose

Cela nous conduit au deuxième point. L’inquiétude s’atténue lorsque nous pratiquons la justice. Et il n’est pas question de la justice des hommes ; il n’est pas question d’être un champion de la morale chrétienne qu’il faudrait suivre à la lettre pour se débarrasser du mal être intérieur. C’est la recherche de la justice de Dieu qui est proposée, c’est-à-dire une visée juste en direction de Dieu.

Je reviens à la remarque de départ sur la consommation de toutes sortes de produits qui altèrent la perception du réel. Comme nous n’avons pas vraiment le pouvoir de nous transformer en chat ou en animal qui pourrait vivre sa quiétude au long cours, il arrive qu’on en vienne à se jeter sur des produits qui nous permettront d’accéder à d’autres types de royaumes qui pourraient nous donner le sentiment, artificiel, d’être le paradis. Cette consommation est une réponse au mal être ; c’est une manière d’essayer de rendre la vie plus supportable. Car la vie est parfois insupportable et, le plus souvent, la vie est insupportable parce que nous ressentons que la justice n’est pas mise en œuvre. Prenons le cas d’un phénomène grandissant dans le monde du travail : le burn out, qui désigne ces personnes qui explosent en plein vol. On constate une augmentation des absences longues durée au travail chez les moins de 40 ans (+23% en 2018) et, pour prendre l’exemple de notre Église protestante, je constate que, dans notre région, pas un seul nouveau pasteur n’a échappé à un arrêt maladie, alors qu’en en discutant avec mes « vieux » collègues nous avons constaté qu’aucun de nous n’avait encore pris le moindre arrêt depuis le début de son ministère.

Le burn out intervient quand il y a un conflit de valeurs, quand on n’est plus en mesure de pratiquer la justice, c’est-à-dire lorsqu’on est empêché de faire ce qui est juste, ce que nous jugeons le plus approprié, le plus adapté à une situation. Pour répondre à ce problème, Jésus renverse la situation. Au lieu de dire que l’absence de justice aujourd’hui crée un malaise demain, il dit que la recherche de la justice, aujourd’hui, nous débarrasse de l’angoisse pour demain – ce qui limite les risques de burn out, ce qui réduit la consommation de psychotropes, et ce qui est, d’une manière générale bon pour la santé, qu’il s’agisse du corps ou de l’âme, comme le dit le texte grec (psuchè). Faites aujourd’hui ce qui est juste et l’intendance suivra, dit Jésus.

Et c’est là que réside l’importance de la foi, qui est l’adhésion personnelle au Royaume de Dieu, à la justice de Dieu, c’est-à-dire à ce qui est juste de manière inconditionnelle. La foi, qui est cet attachement viscéral à ce que nous nommons Dieu, nous donne le courage d’être, comme le disait Tillich. La foi nous donne ce courage d’être en dépit des oppositions, en dépit des hostilités. C’est la foi qui a forgé le courage d’être que Martin Luther a manifesté. Et c’est parce que ni les papes, ni les conciles ne pouvaient prodiguer ce courage d’être qu’il les a rejetés. Ce qu’il convenait de viser, c’était Dieu, et Dieu seulement, qui permet de surmonter l’angoisse. Viser Dieu aujourd’hui, ajuster notre justice à l’exigence de vie formulée dans les textes bibliques, c’est ce qui nous permet de tenir bon face aux difficultés, c’est ce qui nous permet de garder le cap quand nous sommes en plein brouillard, c’est ce qui met de la lumière dans notre nuit pour continuer à distinguer l’essentiel de l’accessoire.

Viser la justice aujourd’hui, c’est poser des bases solides pour demain. Viser la justice aujourd’hui, c’est ce qui nous évitera de chercher demain des moyens de maquiller le réel qui deviendra insupportable. C’est parce qu’il fait ce qui est juste, à savoir son travail d’enfant, que l’enfant grandit en glanant ce qui lui sera nécessaire pour sa vie d’adulte, alors qu’un enfant qui devient précocement adulte comme c’est le cas des enfants d’adultes désemparés qui demande à l’enfant d’assumer des responsabilités d’adultes ou comme c’est le cas des enfants soldats qui doivent faire ce qu’un enfant ne devrait jamais faire. C’est parce qu’il fait les devoirs qu’on lui a demandés qu’un collégien, qu’un lycéen, va acquérir les savoirs qui lui permettront d’obtenir ses qualifications, alors que celui qui finit ses devoirs de math pendant le cours d’anglais (le plus souvent en se contentant de copier le cahier de son camarade) va se priver d’un enseignement qui lui fera défaut par la suite. Etc. Viser la justice aujourd’hui, c’est ce qui pose les fondements solides pour demain et qui nous évite la fuite en avant qui est la condition de ceux qui bâtissent leur empire sur d’autres choses que des choses essentielles ou sur autre chose que la justice. Pensons par exemple aux fameuses affaires financières causées par des systèmes de vente pyramidales où les escrocs devaient se coucher en se demandant qui ils pourraient arnaquer le lendemain pour couvrir leur système frauduleux[4].

S’investir, au contraire, dans ce qu’il y a de juste selon la logique du Royaume de Dieu, être présent au présent, c’est être disponible pour accueillir ce que la vie nous offre au jour le jour et qui constituera un stock de ressources dans lequel il nous sera possible de puiser quand il y aura un défi à relever, un problème à résoudre, une difficulté à affronter.

Amen

[1] Cité par Marc Lienhard. Il se pourrait que la paternité de cette phrase soit à attribuer à Rabelais.

[2] Paul Tillich, Le courage d’être.

[3] « Quand ton cœur t’accuse, sache que Dieu est plus grand que ton cœur », 1 Jn 3,20

[4] Pour un exemple de telle arnaque dans la région montpelliéraine jugée en 2017 https://www.midilibre.fr/2014/05/21/les-bulles-d-argent-eclatent-encore-au-tribunal,863865.php

3 commentaires

  1. Merci, pasteur Woody, de nous avoir entraîné, par cette prédication de rentrée, sur un chemin plein de métamorphoses et de transformations.
    Pour ma part, c’est votre citation de P.Tillich  » Accepter d’être accepté bien que l’on soit inacceptable »
    Qui me permet de formuler le Oui inconditionnel, à la vie.
    Passé-présent-futur!
    Françoise Majal

  2. Pour revenir sur le texte exact de Paul Tillich dans son livre  » Le courage d’être » il fallait lire « Accepter d’être accepté en dépit du fait que l’on se sente inacceptable »…(et non que l’on soit inacceptable…..!!!!)
    Merci de votre indulgence.
    Françoise Majal

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