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1 Corinthiens 13/1-8a
1 Si je parle dans les langues des hommes et des anges, mais que je n’aie pas l’amour, je suis comme un airain qui résonne ou comme une cymbale retentissante. 2 Et si j’ai la prophétie, et que je connaisse tous les mystères et toute connaissance, et que j’aie toute la foi de manière à transporter des montagnes, mais que je n’aie pas l’amour, je ne suis rien. 3 Et quand je distribuerais en aliments tous mes biens, et que je livrerais mon corps afin que je fusse brûlé, mais que je n’aie pas l’amour, cela ne me profite de rien. 4 L’amour est patient ; il est plein de bonté; l’amour n’est pas envieux; l’amour ne se vante pas; il ne s’enfle pas d’orgueil; 5 il n’agit pas avec inconvenance; il ne cherche pas son propre intérêt; il ne s’irrite pas; 6 il n’impute pas le mal; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais se réjouit avec la vérité; 7 il supporte tout, croit tout, espère tout, endure tout. 8 L’amour ne périt jamais.
Chers frères et sœurs, qui n’aimerait pas être en mesure de parler toutes les langues, ou de savoir tout sur tout ? Qui ne considérait pas qu’il n’y a rien de plus beau que de distribuer tous ses biens pour nourrir les affamés ? Et y aurait-il meilleur chrétien que celui dont la foi est capable de soulever les montagnes ? Le début de ce chapitre 13 de la lettre aux Corinthiens nous donne de bons exemples d’attitudes qui semblent nobles, mais qui sont particulièrement contestables et je dirais même condamnables, dans la mesure où elles ne sont pas produites par l’amour. Ce qui est condamnable, ce ne sont pas tant les actions en soi, mais ce qu’elles traduisent, à savoir la séduction du totalitarisme. Car c’est bien de totalitarisme dont il est question dans cette première partie.
En effet, parler les langues et des hommes et des anges, c’est parler toutes les langues. Ensuite, les choses sont plus claires, puisqu’il est question de la science de tous les mystères ; il est question d’avoir toute la foi, puis de distribuer tous ses biens. Dans ces différents exemples, l’accent est mis sur la totalité, sur la prétention à posséder la totalité, à détenir la totalité d’un domaine. A chaque fois, l’apôtre Paul récuse le totalitarisme qui, selon lui, mène à « rien ». La conséquence du totalitarisme, selon l’apôtre Paul, c’est l’anéantissement, c’est le non-être. On pense avoir tout et, en fait, on n’a rien, on n’est plus rien.
Toujours selon l’apôtre Paul, ce qui nous sauve de l’anéantissement produit par le totalitarisme, c’est l’amour, l’amour – agapè, c’est-à-dire l’amour qui trouve sa source en Dieu. Non pas l’amour dont nous sommes spontanément capables et qui nous fait aimer ce qui est aimable, mais l’amour divin dont l’apôtre va donner quelques caractéristiques majeures par la suite. Cette opposition entre le totalitarisme et l’amour, nous pouvons la comprendre par ce que produisent l’un et l’autre. Nous pouvons l’observer au moins par deux aspects.
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La totalité nous fige en l’état, l’amour nous porte vers l’infini
Le premier aspect concerne le rapport que le totalitarisme entretient avec la vie. Pour cela, interrogeons-nous sur ce qu’il adviendrait si nous pensions pourvoir parler toutes les langues. Commençons déjà par imaginer que nous maîtrisions totalement une langue et prenons l’exemple de Mircea Eliade. Mircea Eliade était un très grand universitaire spécialisé dans la science des religions. Voulant étudier l’Inde, il décida de se rendre sur place et, pour se préparer à ce séjour, il étudia à fond la grammaire, le vocabulaire et tout ce que les manuels pouvaient enseigner sur la langue, afin de l’apprendre et de l’utiliser sur place. Mais en arrivant, il fut incapable de communiquer avec les gens qu’il rencontra : la langue des livres n’était pas la langue parlée. Ceci pour dire qu’il est illusoire de prétendre savoir une langue car la langue, dans la mesure où elle est vivante, est en constante évolution. Savoir une langue, au sens stricte du terme, ne peut s’appliquer qu’à une langue morte, qui n’évoluerait plus, parce qu’elle ne serait plus utilisée.
C’est là que l’amour fait la différence, car l’amour nous porte vers notre interlocuteur ; l’amour nous permet de le rejoindre dans sa propre langue, dans sa propre culture, dans son propre univers. L’amour nous permet de rejoindre notre interlocuteur et de le prendre au sérieux en nous mettant à son écoute, en découvrant ce qu’il a à nous dire, ce qui n’appartient qu’à lui, au lieu de se contenter d’essayer de reconnaître chez l’autre ce que nous savons déjà.
Cet exemple de la langue nous rend attentifs au fait que la totalité n’existe qu’à la condition de considérer que la vie est figée, qu’elle est arrêtée, qu’il n’y a plus rien à découvrir, que tout a déjà été exploré, inventé. L’amour est ce qui brise l’idée de totalité en nous faisant découvrir le caractère non fini de la vie ou, pour le dire positivement, le caractère infini de la vie. Oui, l’amour nous permet d’intuitionner l’infini. L’amour nous permet de prendre conscience du caractère non achevé des personnes, des projets. L’amour est une action infinie. J’insiste sur le terme action, car les qualificatifs appliqués à l’amour, dans ce texte, sont tous des verbes, contrairement à ce que nos traductions françaises laissent parfois entendre. Ainsi, l’amour n’est pas patient, il patiente, ce qui est bien différent. Le fait que l’amour soit qualifié par des verbes souligne que l’amour est dynamique. L’amour n’est pas un état (il n’est pas question d’un sentiment amoureux qui nous plongerait dans un océan de bonheur), mais une dynamique faite d’actes. Nous le comprenons bien lorsque nous méditons le commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même » : aimer n’est jamais réalisé une fois pour toutes. C’est jour après jour qu’on aime en prenant soin de quelqu’un, en ayant de nouvelles attentions, en prodiguant les soins qui lui sont utiles. L’amour nous oriente vers l’infini.
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La totalité nous rend dépendant, l’amour libère
Donner sa fortune aux affamés peut sembler une excellente chose. Toutefois, en donnant tous ses biens à une personne en situation de nécessité, on peut la rendre totalement dépendante de nous. Or aider quelqu’un, c’est l’aider à devenir libre, c’est-à-dire majeur. Plutôt que nourrir quelqu’un, il est bien plus précieux de lui enseigner à se nourrir sans dépendre exclusivement de nous. De manière générale, il est bien plus précieux d’enseigner l’art de vivre librement. C’est cela que l’amour accomplit dans la mesure où l’amour relève de la grâce. L’amour agapè, dont il est question dans la Bible, c’est l’amour qui est offert, gratuitement, sans chercher son propre intérêt, sans vouloir obtenir quelque chose en échange. L’agapè, c’est ce qui évite que ce que nous faisons devienne une manière de se justifier : « regardez comme je suis quelqu’un de bien… je nourris vingt personnes. » Dans un tel cas, ceux que nous aidons deviennent des faire-valoir. Nous les utilisons pour en retirer une satisfaction personnelle. Voilà pourquoi le droit des femmes à pouvoir travailler, à ne pas dépendre de leur conjoint, est un acte d’amour éminemment important.
Sans amour, ce que nous faisons peut devenir cruel. Par exemple, nous pouvons avoir une foi à soulever les montagnes, mais sans amour, il se pourrait bien que nous fassions retomber ces montagnes sur le coin de la figure du premier venu. L’amour, qui rend service, qui ne s’enfle pas d’orgueil, respecte celui ou celle à qui il est destiné. Il ne va pas l’écraser. Il ne va pas réduire son identité à rien, comme le fait le totalitarisme. L’amour s’intéresse à chacun en particulier et respecte chacun en lui donnant les moyens de s’épanouir individuellement. Que de crimes commis au nom du bonheur du plus grand nombre ! Or l’amour n’impose rien, il propose, il rend disponible, il offre et, en ce sens, il rend libre. Il ne porte pas préjudice à notre prochain parce qu’il est un acte d’humilité qui nous évite de penser que nous savons mieux que l’autre ce qui est bon pour lui.
Dans la mesure où l’amour ne cherche pas son propre intérêt, il nous évite de nous replier sur nous-mêmes ; il nous sort de l’égoïsme qui réduirait notre vie à n’être que ce qu’elle est déjà – ce qui serait très insatisfaisant. L’amour, en nous mettant en relation les uns avec les autres, élargit notre horizon, il nous rend plus grand que ce que nous pensions être, il nous rend plus adulte, il nous rend disponible à ce que la vie a de meilleur à nous offrir. L’amour peut concerner aussi bien les personnes que les différents aspects de notre vie. Prenons l’exemple des mathématiques. Aimer les mathématiques, c’est s’intéresser aux mathématiques autrement qu’en cherchant son propre intérêt, c’est-à-dire pour avoir de bonnes notes. Aimer les mathématiques, c’est les découvrir avec patience, humilité et non orgueil en pensant que ça ne sert à rien, que nous sommes au-dessus de tout ça. C’est, bien entendu, s’y intéresser sans rien faire de malhonnête, sans antisèche, sans copier sur le voisin. Aimer les mathématiques, c’est ne pas se contenter de faire les devoirs que le professeur nous a donnés, mais s’intéresser à ce qu’elles signifient, c’est se tenir au courant des découvertes, des nouveaux théorèmes, qui nous seront utiles pour mieux comprendre la vie, pour mieux vivre. Il en va de même avec la théologie qui nous permet de mieux comprendre ce que Dieu désigne et ce que nous sommes appelés à vivre grâce à Dieu. Sans amour, tout cela ne serait qu’une liste de choses que nous saurions plus ou moins bien, une liste de théorèmes, de lois qui nous embarrasseraient plus qu’autre chose. Avec amour, l’agapè qui nous relie à la vie, tout devient occasion de nous approcher de la vie authentique, de ne plus voir la vie comme à travers des lunettes sales, mais de poursuivre notre route sur les chemins de la connaissance, de mieux savoir ce qui nous rend plus vivants, d’exercer notre curiosité pour découvrir de nouveaux aspects de l’existence et, ainsi, ne pas laisser la vie nous filer entre les doigts.
Si l’amour est la plus grande des vertus chrétiennes (autrement appelées théologales parce qu’elles nous permettent d’ajuster notre rapport à Dieu), c’est parce que l’amour a ce secret de nous rendre infiniment plus libres que nous ne pouvions le penser de prime abord.