Parcours de la reconnaissance

Lévitique 14/8-13

8 Celui qui se purifie lavera ses vêtements, rasera tout son poil, et se baignera dans l’eau; et il sera pur. Ensuite il pourra entrer dans le camp, mais il restera sept jours hors de sa tente. 9 Le septième jour, il rasera tout son poil, sa tête, sa barbe, ses sourcils, il rasera tout son poil; il lavera ses vêtements, et baignera son corps dans l’eau, et il sera pur. 10 Le huitième jour, il prendra deux agneaux sans défaut et une brebis d’un an sans défaut, trois dixièmes d’un épha de fleur de farine en offrande pétrie à l’huile, et un log d’huile. 11 Le sacrificateur qui fait la purification présentera l’homme qui se purifie et toutes ces choses devant l’Eternel, à l’entrée de la tente d’assignation. 12 Le sacrificateur prendra l’un des agneaux, et il l’offrira en sacrifice de culpabilité, avec le log d’huile; il les agitera de côté et d’autre devant l’Eternel. 13 Il égorgera l’agneau dans le lieu où l’on égorge les victimes expiatoires et les holocaustes, dans le lieu saint; car, dans le sacrifice de culpabilité, comme dans le sacrifice d’expiation, la victime est pour le sacrificateur; c’est une chose très sainte.

Luc 17/11-19

11 Jésus, se rendant à Jérusalem, passait entre la Samarie et la Galilée. 12 Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, 13 ils élevèrent la voix, et dirent : Jésus, maître, aie pitié de nous ! 14 Dès qu’il les eut vus, il leur dit : Allez vous montrer aux sacrificateurs. Et, pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent purifiés. 15 L’un d’eux, se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. 16 Il tomba sur sa face aux pieds de Jésus, et lui rendit grâces. C’était un Samaritain. 17 Jésus, prenant la parole, dit : Les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils? 18 Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? 19 Puis il lui dit : Lève-toi, va; ta foi t’a sauvé.

  1. Reconnaissance = identification

Chers frères et sœurs, Jésus voit dix hommes qui implorent sa pitié. Ces hommes sont connus comme étant lépreux. La grande majorité des lecteurs et commentateurs de ce passage biblique sont d’accord pour dire que Jésus les a guéris de leur lèpre. En fait, le texte biblique dit bien autre chose. Jésus ne les touche pas, il ne leur dit pas de boire ou de manger quoi que ce soit ; il leur dit juste d’aller se montrer aux prêtres Le texte biblique dit que Jésus, en voyant ces hommes leur suggère d’aller voir les prêtres et que, chemin faisant, ils furent purifiés.

 

Le texte biblique ne dit pas que Jésus les guérit ; le texte biblique dit que Jésus, en les voyant, suggère à ces hommes d’aller faire constater leur guérison par les prêtres, comme cela devait se faire dans la loi de Moïse. Au verset 14, le texte nous apprend que les dix individus sont « purifiés ». Ils ne sont pas seulement guéris : ils sont purifiés. Dans la perspective biblique, ainsi que cela est expliqué dans le livre du Lévitique, quand on était guéri de la lèpre, encore fallait-il être purifié. Pour cela, il fallait accomplir des rites auprès des prêtres. Ces rites permettaient à l’ancien malade de retrouver sa place au sein du peuple dont il avait été exclu pour éviter la propagation. Selon le livre du Lévitique, au chapitre 14, ces rites permettaient de libérer l’ancien lépreux de la culpabilité (parce que, lorsqu’on est malade, souvent un tel sentiment vient se mêler ; un sentiment qui nous fait penser que, si on est malade, c’est qu’on y est pour quelque chose).

 

Cela signifie que Jésus, lui, voit des hommes guéris, des hommes qui ne souffrent plus de lèpre, des hommes qui, mis au ban de la société, doivent être ré-intégrés au sein de la communauté. Jusqu’à la rencontre de Jésus, aucun de ces dix hommes ne s’était rendu compte qu’ils étaient guéris. Jusqu’à la rencontre de Jésus, personne d’autre ne leur avait dit qu’ils n’étaient plus lépreux. Ces dix hommes étaient guéris, mais ils l’ignoraient. Ces dix hommes n’étaient plus lépreux mais personne ne leur avait dit. Ils s’étaient habitués à leur état ; tout le monde s’était habitué à ce que ce soient des lépreux, rien que des lépreux, des lépreux à jamais. En leur disant d’aller se montrer aux prêtres, Jésus les met sur la piste de leur guérison. Il les fait sortir de la case, du stéréotype dans lequel ils étaient enfermés et les envoie auprès du sacrificateur pour que l’ensemble de la société reconnaisse leur nouvel état.

 

Souvent les commentateurs de ce passage biblique parlent de Jésus comme d’un thaumaturge, d’un magicien qui guérit miraculeusement. S’il est une guérison que Jésus accomplit ici, c’est la guérison de l’identité de l’homme blessé, c’est la guérison d’une entaille profonde faite entre lui et le reste du peuple. En recommandant de se montrer au prêtre puis, plus tard en relevant, c’est-à-dire en ressuscitant l’homme qui s’est jeté à ses pieds en glorifiant Dieu et en lui disant d’aller sa route, Jésus ramène cet homme à la vie ; c’est difficile à considérer pour nous qui ne savons plus très bien ce qu’est être lépreux dans le contexte de la Palestine du 1er siècle. Cela reviendrait, pour nous, à entendre quelque chose comme : tu es le bienvenu parmi nous, toi qui est considéré comme un exclu ou, pire, comme un être susceptible de porter atteinte à ma vie en me contaminant. Oui, tu as ta place, tu es l’un des nôtres, nous sommes frères toi et moi, toi qui te tiens là-bas, au loin et qui fais appel à moi : pas de mépris dans le regard du Christ, mais la reconnaissance d’une égale dignité. Ce regard du Christ est un regard plein d’humilité qui tranche avec le sentiment de supériorité dont nous sommes parfois empreints. Le regard du Christ ne s’arrête pas à la surface des choses, aux idées reçues, aux stéréotypes qui collent à la peau. L’attitude du Christ nous invite à découvrir la véritable identité des personnes que nous croisons et à reconnaître en elle cette dignité inaltérable qui s’en enracine en Dieu. Ce regard pénétrant abolit les distances que certains estiment trop rapidement infranchissables et nous permet de dire à celui qui se tient face à nous : je te reconnais comme un autre semblable, comme un frère, comme une sœur. Ici, la reconnaissance signifie identification : il s’agit de rendre à quelqu’un l’identité qu’il avait perdu jusque là.

 

  1. Reconnaissance = action de grâce

C’est en chemin, comme bien souvent dans la Bible, que se joue le deuxième acte de la scène. Dans le cas présent, un des dix ouvre suffisamment les yeux pour découvrir qu’il n’est plus le même : il est guéri. Dans les faits il a été purifié mais ce qu’il voit, lui, c’est qu’il a été guéri.

 

Parmi les dix, un Samaritain, homme de mauvaise réputation pour les religieux de l’époque, un homme mis au ban de la société israélite, réfléchit un peu plus que les autres et réalise que s’il faut se montrer aux prêtres c’est donc que leur lèpre a disparu et c’est effectivement ce qu’il constate en ouvrant les yeux : il voit qu’il est guéri.

 

Quelle joie pour lui à ce moment précis ! et voilà pourquoi il accourt auprès de Jésus : pour le remercier de lui avoir dit la vérité (le mot grec est le mot qui donnera « eucharistie »). Cet homme accourt pour remercier Jésus de lui avoir révélé qu’il n’était plus un pestiféré, qu’il avait à nouveau sa place parmi les hommes, qu’il n’avait plus à se tenir à distance de tout le monde mais qu’il pouvait reprendre sa route. Les neuf autres, eux, n’ont pas compris l’aide que Jésus leur avait apportée : ils ne se sont pas aperçu que Jésus les avait effectivement aidés. Probablement parce que l’aide apportée par Jésus n’est pas d’ordre matériel, qu’il ne fait rien d’autre que leur parler, ce qui semble bien insignifiant : comme si une parole pouvait aider, comme si une parole pouvait soigner voire guérir. Mais oui, bien sûr, une parole peut soigner et guérir et purifier, aussi.

 

Chers frères et sœurs, qui ne s’est jamais retrouvé dans la situation de rendre service et de n’être pas remercié pour le service rendu. A contrario, qui ne s’est jamais retrouvé dans la situation d’être aidé et d’oublier de remercier celui qui a donné le coup de main ? C’est à croire que, tant que le monde sera monde, il y aura toujours une forme de négligence à ce sujet. Pour certains, c’est dire merci qui est dur parce qu’on accepte difficilement d’être aidé. On accepte difficilement d’avoir besoin de quelqu’un d’autre. On accepte difficilement de reconnaître qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire tout seul. Pour d’autres, dire merci ne va pas de soi car on ne se rend même pas compte qu’on a été aidé. On ne voit même pas qu’on a reçu de l’aide, que quelqu’un est intervenu pour nous assister ou nous soutenir. L’autre, le collaborateur, est comme invisible et ce qu’il fait n’est pas repéré, n’est pas reconnu.

 

Ceux dont la profession a un rapport avec la relation d’aide, avec l’entraide, savent à quel point il y a du déchet en matière de remerciement. Et même quand on a été directement sollicité, il n’est pas rare que la personne qui a été aidée ne prenne pas la peine de remercier. Aidez dix personnes et, dans la réalité, vous pourrez vous estimer heureux si l’une d’elle vous remercie. L’action de grâce du samaritain, sa reconnaissance est proprement surnaturelle.

 

Pour autant faut-il arrêter de rendre service au prétexte qu’il y a beaucoup d’ingratitude parmi les hommes ? Faut-il s’abstenir d’aider au prétexte qu’on reçoit peu de reconnaissance en retour ? Tout dépend de vous. Si les coups de mains que vous donnez sont destinés à recevoir de la reconnaissance en échange, à améliorer votre image de marque ou votre réputation ; si vous vous rendez utile pour qu’on vous soit redevable alors autant arrêter tout de suite. Lancez-vous dans le commerce et vendez votre savoir-faire, louez vos services et, alors, vous serez payés en retour pour ce que vous faites. Maintenant, si vous voulez agir juste pour aider, juste pour servir, alors n’attendez rien en retour, n’espérez pas quoi que ce soit en échange : agissez juste parce que c’est une manière de faire le bien absolu. Faites ce qu’il faut faire et ne vous souciez pas du reste : le reste se souciera bien de lui tout seul.

 

Pas plus que Jésus n’a cessé de rendre service après cet épisode fâcheux, pas plus qu’il n’a cessé d’aller secourir ceux qui avaient besoin d’aide après la goujaterie de ces anciens lépreux désormais purifiés, ne cessez pas de faire ce que votre conscience vous recommande de faire, tant bien même vous ne seriez pas remerciés pour cela. Nous n’avons pas à agir pour obtenir de la reconnaissance mais pour accomplir le bien absolu, en toute circonstance.

 

Nous l’avons dit, nous pouvons ne pas remercier parce que le fait même d’être aidé est désagréable, parce que ça nous fait mal aux dents de reconnaître qu’à un moment donné nous n’avons pas pu faire quelque chose tout seul ou alors parce que nous ne nous sommes même pas rendus compte que nous avions été aidés. Qu’en est-il pour ces dix personnes ?

 

Dans ce passage de l’Evangile selon Luc, les dix individus font appel à Jésus. Ils reconnaissent avoir besoin d’une main tendue ; ils se rendent compte qu’ils ne vont pas pouvoir s’en sortir tout seul. S’ils ne sont pas reconnaissants à la fin de l’épisode, ce ne sera pas faute d’avoir eu conscience qu’ils avaient besoin d’aide.

 

Le Samaritain, lui, a ouvert les yeux et il voit dans son nouvel état la trace de l’action de Dieu. Oui, sa foi l’a sauvé, la foi, ce qui nous rend sensibles au monde présent ; la foi, ce qui aiguise notre regard et nous connecte au dynamisme créateur de Dieu. C’est en raison de sa foi que le samaritain fait demi-tour, une techouvah, une conversion, et retourne auprès du Christ, pour rendre à Dieu ce qui lui appartient : le fait de l’avoir rendu à la vie. Cela, le samaritain l’a bien perçu, il l’a reconnu, par sa foi. Il nous invite à ouvrir les yeux sur notre propre existence afin de reconnaître la qualité de vie à laquelle Dieu nous appelle et à conduire ceux dont il nous rend proches sur le chemin de la reconnaissance. Il nous glisse dans le creux de l’oreille une reformulation du commandement d’amour de Jésus : « reconnaissons-nous les uns les autres comme le Christ nous reconnaît ».

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