Prédication de Luc-Olivier Bosset
Luc 17, 11ss
Au cours de son voyage vers Jérusalem, il passait entre la Samarie et la Galilée.
12 Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, 13 ils élevèrent la voix et dirent : Jésus, maître, aie compassion de nous ! 14 Quand il les vit, il leur dit : Allez vous montrer aux prêtres. Pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés.
15 L’un d’eux, se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à pleine voix. 16 Il tomba face contre terre aux pieds de Jésus et lui rendit grâce. C’était un Samaritain. 17 Jésus demanda : N’ont-ils pas été purifiés tous les dix ? Et les neuf autres, où sont-ils ? 18 Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir donner gloire à Dieu ? 19 Puis il lui dit : Lève-toi et va ; ta foi t’a sauvé.
D’un côté, il y a le groupe. Et de l’autre, il est tout seul !
D’un côté, il y a un groupe solidaire ! Quand on traverse une épreuve aussi redoutable que la lèpre, il faut être unis comme les 10 doigts des mains. La lèpre est une maladie qui fait que le corps se transforme sans qu’on comprenne bien ce qui arrive. Cette métamorphose incontrôlée inquiète. Que va-t-il en ressortir ? Que va-t-on devenir ?
Dans ces cas-là, c’est bon de ne pas être isolé, mais d’appartenir à un groupe de personne qui vivent exactement les mêmes choses que soi. On se sent compris. On peut s’échanger des trucs pour se soigner.
Le groupe donne ainsi la force de faire des choses qu’on aurait jamais osé, jamais pu faire tout seul. Par exemple, dans cette histoire, les dix lépreux ont ensemble donné de la voix pour se faire entendre de Jésus. Sûr que seul, personne ne les aurait entendu ou qu’ils n’auraient pas osé. Quand on appartient à un groupe, on est plus fort !
Et, bien leur en a pris de s’adresser ensemble à Jésus, car non seulement, ils sont entendus, mais en plus ils se retrouvent tous guéris ! Sur ce chemin de guérison, la bande des 10 a été déterminante !
Comme sur nos différents chemins où nous avons franchi un cap, où nous avons été au bout d’une aventure, où nous avons pu réaliser un beau projet, là aussi, l’équipe dans laquelle nous étions, n’a-t-elle pas été déterminante ? Si nous avons pu réussir, n’est-ce pas parce que nous avons été porté par la solidarité qui s’y vivait ?
Et puis, dans notre récit évangélique, il y a cette unique personne qui revient sur ses pas.
Rendez-vous compte ! Il quitte le groupe. Sans que personne ne lui ait demandé de le faire, sans que personne ne l’en ait chassé. Il revient sur ses pas tout seul. Quelle mouche l’a piqué ? Il sort du rang, pourquoi se met-il ainsi en avant ? Quelle ambition ? Quelle motivation l’anime ? En se montrant ainsi à découvert, il prend des risques, car tout le monde à présent le regarde et même ne voit que lui. Tout le monde : ses camarades de la bande des dix, puis Jésus et plein d’autres inconnus.
Soit il réussit son coup et en chantant à pleine voix comme il le fait, il va susciter le respect et l’admiration de tout le monde, alors il sera désigné comme populaire ; soit il échoue et ce sera le grand silence gêné de la part de toute la foule. Alors là, il risque de se retrouver seul, complètement seul, puisque même ce qui reste de la bande des 10, peut-être vexé qu’il ait joué ainsi solo, détournera les yeux et lui demandera de montrer patte blanche avant d’être réintégré dans le groupe.
…
Heureusement, nous ne sommes pas lépreux ! Cependant nous vivons tous en tant qu’homme ou femmes, des périodes où notre corps change à grande vitesse, lorsque notre taille (grandit ou diminue), notre peau (fleuri ou se craquelle), notre voix, notre énergie, notre équilibre changent. Tous ces changements nous bousculent, voir nous inquiètent. En nous regardant dans le miroir, en voyant ces nouvelles formes, ces nouvelles rides ou ces nouveaux cheveux blancs, nous réalisons que changeons. Qu’allons-nous devenir ?
Dans ces moments là, nous avons besoin du groupe de personnes qui vivent la même chose que nous pour nous aider à apprivoiser nos inquiétudes face au changement de notre corps et dépasser notre manque de confiance.
Mais, dans ces moments là également, le groupe ne suffit pas. Les autres peuvent bien me dire plein de belles choses sur ce qui m’arrive. Par rapport aux questions que je me pose, ce n’est que quand j’aurais tenté et réussis des choses par moi-même que j’aurai une réponse solide, qui me donnera vraiment confiance.
Face à ces personnes qui osent s’extraire du groupe pour tenter quelque chose, nous sommes à la fois effrayés… et en même temps attirés. Effrayés au vu des risques qu’ils prennent ; mais attirés parce qu’au moins eux, ils ne restent pas cachés au fond des bois. Ils vivent leur vie, mieux : ils vivent LA vie. Au moins eux, ils ne restent pas transparents. Ils osent s’exposer au grand jour et à partir de ce qu’ils tentent, ils construisent quelque chose.
Regardons de plus près cette personne qui revient sur ses pas, qui ose s’extraire du groupe. Oui laissons son geste nous interroger, car il se joue là quelque chose de très important qui peut nous aider à vivre la Vie, ne pas traverser les années de notre existence en restant caché bien au chaud, au fond d’un groupe.
Donc, grâce à l’appui du groupe, les dix lépreux ont osé s’approcher de Jésus. Et de cette rencontre, ils en sont sortis guéri. Ce qu’ils désiraient, ils l’ont obtenu. Alléluia !
On pourrait les imaginer heureux, bondissant de joie. Maintenant qu’ils sont enfin guéri, on va enfin pouvoir faire connaissance avec chacun d’eux, ne plus simplement les percevoir comme des numéros, car, grâce à la santé retrouvée, ils vont enfin pouvoir entreprendre plein de choses, toute plus originale les uns que les autres qui mettent en valeur leur personnalité.
Or, il n’en est rien.
Ils sont tous guéris et pourtant, nous en perdons 9 en chemin. Comme si ce qui leur arrivait, au lieu de les mettre en route vers leur destinée, les avait rendu transparents.
A tous les coups, être guéri pour les dix lépreux a dû être une expérience très forte qui leur a ouvert plein de possibilités. Cependant, cette guérison ne leur a donné aucune direction.
Une fois sortis de cette fichue prison qu’est la maladie et qu’ils se retrouvent à l’air libre, voilà qu’ils sont tous confrontés à une question que tous nous nous posons un jour : et maintenant que faire ?
C’est très important de réfléchir à ce qui se passe dans ce passage de l’évangile. Car tous, nous tous, nous nous battons pour obtenir quelque chose. Certains travaillent pour passer un examen et obtenir un diplôme ; d’autres redoublent d’efforts pour faire aboutir un chantier ou obtenir un nouveau poste ; d’autres encore vivent un tournant, s’élancent dans un engagement associatif, endossent de nouvelles responsabilités où ils sont prêts à se dépasser pour atteindre de nouveaux objectifs. Et ainsi de suite…
Parfois, quand nous sommes au cœur de la lutte pour faire aboutir ce à quoi nous nous sommes engagés, nous nous mettons à rêver à tout ce que nous ferons, une fois que nous l’aurons notre diplôme, lorsque nous serons au bout de ce chantier. Et là, nous nous imaginons plein d’énergie et entreprenant.
Cependant, si nous ne nous demandons pas ce que nous ferons après le diplôme, après le chantier, eh bien, nous nous mettrons à flotter, nous deviendrons comme les 9 lépreux guéris. Ils sont guéris, mais ils deviennent transparents, ils disparaissent des écrans radars.
J’aime à penser que si nous perdons 9 lépreux en chemin, c’est parce qu’une fois guéri, ils ne savaient pas quoi construire à partir de leur guérison. Ils avaient lutté, lutté pour pouvoir être guéri. Leur énergie avait été complètement absorbée par ce combat et à aucun moment, ils n’avaient pris le temps de s’imaginer quoi faire d’autre une fois guéri. C’est pour cela qu’au sortir de la rencontre avec Jésus, ils se sont mis à flotter, à tourner en rond dans le désert et qu’on les a perdu de vue…
Autant, nous pouvons nous appuyer sur le groupe pour, comme la bande des 10, obtenir la guérison, la promotion, le diplôme ou je ne sais quel autre objectif… Autant, nous pouvons nous perdre dans le désert, devenir transparents, si nous ne nous posons pas dès aujourd’hui la question : au fond que ferai-je après ?
- A quel besoin répond ?
Or pour trouver une réponse à cette question, je crois que le groupe ne suffit pas. Que construire à partir de la guérison ? Ici, personne ne peut répondre à notre place. C’est un travail personnel qui nous attend.
Parce que pour répondre à cette question, il nous faut sortir du groupe, nous pouvons être impressionnés, timides et craintifs. Craintifs, parce que nous avons peur de nous planter et d’être la risée de tout le monde. Impressionnés, parce que nous nous disons que nous sommes encore trop petits, que nous n’avons pas encore assez de force.
Cette peur, cette sensation d’être impressionné sont tout à fait normales. Elles sont le signe que nous avons besoin de méditer des histoires qui dégonflent nos peurs et notre timidité et consolident notre audace ; nous avons besoin de méditer cette histoire de l’évangile.
Car que nous raconte notre histoire qui puisse nous redonne confiance ? Notre homme qui s’extrait du groupe, que lui arrive-t-il ? Le ciel lui tombe-t-il sur la tête ? Tout le monde se moque-t-il de lui ? Non, il a beau chanter à tue-tête, se prosterner aux pieds du Christ, des attitudes ô combien excentriques et bizarres, personne ne glousse. Au contraire, Jésus lui dit une parole de grand respect : « va, ta foi t’a sauvé ».
En réagissant comme il le fait, Jésus n’est pas en train de dire à cet homme tout joyeux ce qu’il pourrait faire maintenant, vu qu’il est désormais guéri. Non, Jésus lui dit simplement : fais confiance à ce qui t’a poussé à sortir du groupe, à rebrousser chemin en chantant à tue-tête et à revenir vers moi, oui, fais confiance à cet élan, car cela a de la valeur. La reconnaissance que tu exprimes est une valeur solide, fiable sur laquelle tu peux t’appuyer pour construire la suite de ta vie.
- Quelles convictions sous-tendent cette thématique ?
La reconnaissance ! Mais qu’est-ce la reconnaissance ?
Le seul lépreux qui sort du groupe n’est pas meilleur que les autres. Comme les autres, guéri, il ne sait pas quoi faire, où aller. Mais sa différence vient du fait que pour trouver une direction, il ne tourne pas en rond. Le texte nous dit que voyant ce qu’il est devenu, il revient sur ses pas. Ce qui lui arrive, il prend le temps de le voir, de le reconnaître, de le réaliser. Il ne fonce pas, il ne passe pas tout de suite à autre chose, non, il revient sur ses pas, il prend le temps d’intérioriser le changement. En retournant vers Jésus qu’il ne connaissait que de loin et avec qui, il n’avait eu jusque là aucune conversation en tête à tête, il prend le temps d’approfondir la relation avec celui qui lui a permis de changer.
En re-connaissant ce qui lui est arrivé, cet homme s’appuie sur une valeur solide lui permettant de construire la suite de sa vie.
Le fait qu’il chante à tue-tête nous dit aussi que la reconnaissance, c’est quelque chose de joyeux. Notre homme ne s’extrait pas du groupe par devoir, parce qu’on lui a dit qu’il fallait le faire. Non, notre homme le fait joyeusement, librement, spontanément, peu importe ce que vont penser les autres. Il le fait parce qu’il est plein de confiance envers Jésus qui les a guéri. Si notre homme est libre et joyeux, c’est parce qu’il se sent être regardé avec beaucoup d’amour et de bienveillance par Jésus.
Si dimanche après dimanche, nous méditons durant le culte un passage de l’évangile, c’est pour retrouver ce regard bienveillant de Jésus sur chacune de nos vies. Si nous chantons durant nos cultes, c’est justement pour exprimer notre reconnaissance d’être ainsi regardé et aimé par Dieu. Alors osons tous chanter, de tout cœur, à pleine voix. Et si notre voisin qui chante à tue tête chante faux, qu’importe, ne nous moquons pas ! La reconnaissance qu’il exprime a de la valeur, car en chantant ainsi, lui aussi et peut-être en train de revenir sur ses pas, d’approfondir sa relation avec le Christ, et en chantant ainsi de cultiver une valeur qui lui permet de construire la suite de sa vie.
- Ce que j’attends de mon auditoire ?
Auprès de Jésus et de sa parole, encourageons-nous les uns les autres à développer sur ce qui nous arrive un regard qui voit, qui réalise, qui reconnait les cadeaux qui nous sont fait. Car c’est ainsi, rempli de reconnaissance que nous ne tournerons pas en rond et ne deviendrons pas transparent, mais que nous trouverons l’audace de construire de manière très personnelle la suite de notre vie.