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Esaïe 11/1-10
1 Puis un rameau sortira du tronc d’Isaï, Et le rejeton de ses racines fructifiera.
2 L’Esprit de l’Éternel reposera sur lui : Esprit de sagesse et d’intelligence Esprit de conseil et de vaillance, Esprit de connaissance et de crainte de l’Éternel.
3 Il respirera dans la crainte de l’Éternel ; Il ne jugera pas sur l’apparence, Il n’arbitrera pas sur un ouï-dire.
4 Mais il jugera les pauvres avec justice, Avec droiture il sera l’arbitre Des malheureux de la terre ; Il frappera la terre du sceptre de sa parole, Et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant.
5 La justice sera la ceinture de ses reins, Et la fidélité la ceinture de ses hanches.
6 Le loup séjournera avec l’agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau ; Le veau, le lionceau et le bétail qu’on engraisse seront ensemble, Et un petit garçon les conduira.
7 La vache et l’ourse auront un même pâturage, Leurs petits une même couche ; Et le lion, comme le bœuf, mangera de la paille.
8 Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, Et l’enfant sevré mettra sa main dans le trou de l’aspic.
9 Il ne se fera ni tort, ni dommage Sur toute ma montagne sainte ; Car la connaissance de l’Éternel remplira la terre, Comme les eaux recouvrent (le fond de) la mer.
10 Alors, en ce jour, la Racine d’Isaï Qui se dressera comme une bannière pour les peuples Sera recherchée par les nations, Et son emplacement sera glorieux.
Chers frères et sœurs, ce passage du livre d’Esaïe nourrit largement notre imaginaire de Noël. Il contient ces belles paroles qui nous font rêver et qui donnent à cette fête ce caractère féérique, légèrement enfantin, qui nous font voir la vie en rose.
Toutefois, nous ne pouvons pas lire ce texte sans avoir en tête ce qu’il y a autour : notre monde. Un monde qui est loin d’être rose. Lire ce passage biblique au regard de l’histoire aussi bien qu’au regard de notre actualité, ne peut que nous conduire à exprimer notre déception, une déception à l’égard de Jésus qui est censé avoir accompli les prophéties de la Bible hébraïque. Or, ce passage d’Esaïe, bien plus qu’un texte de nature à nous émerveiller, est un texte qui montre à quel point Jésus a déçu nos espoirs.
Sans même tenir compte de notre actualité terrible, force est de constater qu’avec Jésus, le loup n’a pas séjourné avec l’agneau. La panthère ne s’est pas couchée avec le chevreau. La vache et l’ourse n’ont pas cohabité paisiblement et l’enfant n’a pas pu plonger sa main dans l’antre du serpent sans se faire mordre mortellement. Rien de ce qui est écrit dans ce passage biblique ne s’est réalisé avec Jésus. Et, si nous regardons maintenant notre histoire, nous pouvons constater que les choses ne se sont nullement améliorées. Nous pourrions même dire que le loup et l’ourse s’entendent pour broyer l’agneau.
Jésus n’a pas appliqué le programme d’Esaïe 11. J’ajoute que Jésus a déçu les grands espoirs qui reposaient sur le messie : espoir d’un salut politique : Jésus a rétorqué que son royaume n’était pas de ce monde. Espoir d’un salut universel ; on sait toujours ce qu’est la guerre, alors que certains ne savent toujours pas ce qu’est la paix. Espoir d’un salut des personnes ; Jésus lui-même a dit que des pauvres, nous en aurions encore. Jésus n’a pas tout guéri, ni tout réparé, ni tout arrangé, ni tout accompli. Quant à ce passage d’Esaïe 11, il pourrait être une bonne raison pour engager une procédure d’empêchement à l’endroit de Jésus, lui qui a déçu nos espoirs.
Espoir et espérance
Avant d’aller plus loin dans cette méditation, il convient certainement que je précise ce que j’entends par « espoir ». L’espoir qu’une chose arrive correspond à une sorte de pari sur une probabilité qu’un événement ait lieu. Nous pouvons formuler des dizaines d’espoirs dans des domaines très variés. Nous pouvons avoir l’espoir que le budget de notre Eglise sera équilibré à la fin de l’année. Nous pouvons avoir l’espoir qu’il y aura de la neige à Noël. Nous pouvons avoir l’espoir que le martyr des habitants des Proche et Moyen Orients prendra fin rapidement. Nous pouvons avoir l’espoir que tel candidat sera élu président de la République française l’an prochain.
Ces espoirs correspondent à des souhaits. Ces espoirs expriment ce que nous voudrions voir, éprouver, vivre. Ces espoirs disent que nous aimerions que la roulette de la vie s’arrête sur la case de notre choix. L’espoir est un vœu pieux qui attend une réalisation en bonne et due forme, peut-être par un acte surnaturel au sens de : voilà ce qui doit arriver.
L’espoir n’est pas à proprement parler un élément constitutif de la foi chrétienne car il est passablement absent des réflexions bibliques. L’espoir, qui consiste à s’accrocher à une probabilité ou à une intervention surnaturelle, n’est pas ce que les auteurs bibliques ont placé dans l’équipement du croyant. Ce dont ils ont parlé, c’est de l’espérance, qui est bien autre chose. L’espérance est une visée en direction d’un mode de vie dont on se sait capable. L’espérance n’est pas un pari sur l’avenir, mais un projet qui est accessible dans la mesure où nous y adhérons.
L’espérance, pour reprendre les images du texte d’Esaïe, c’est ce que l’esprit de sagesse et d’intelligence nous révèle ; c’est ce que l’esprit de conseil et de vaillance nous fait désirer ; c’est ce que l’esprit de connaissance et de crainte nous fait respecter. Certes, l’espérance nous relie à ce qui n’est pas encore, à ce qui est en devenir, mais pas au sens de l’espoir qui attend que ce qui est souhaité se réalise sans nous. L’espérance, c’est ce que nous visons et c’est ce qui arrivera parce que nous nous serons investis pour que cela advienne. Quand Esaïe écrit que le rejeton à venir ne jugera pas sur les seules apparences, il indique bien qu’il ne regardera pas seulement ce qui est, mais aussi ce qui peut advenir – advenir ayant donné le mot Avent qui indique l’advenue du Messie.
Jésus forge notre espérance
Aussi, décevoir nos espoirs, de la part de Jésus, c’est briser l’illusion que les choses s’arrangent d’elles-mêmes, naturellement. Au contraire, l’espérance désigne notre engagement personnel dans une cause, dans un mouvement, en faveur de personnes. Certes, il se peut que nous ne parvenions pas à réaliser tel projet, à permettre telle réconciliation, à instaurer telle paix, à régler telle injustice – l’espérance n’est pas une garantie de succès automatique. L’espérance exprime la mise en œuvre de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif, d’une part parce que nous savons que cet objectif existe et, d’autre part, qu’il est atteignable. C’est dans cette perspective que nous pouvons comprendre le texte d’Esaïe et le prendre au sérieux.
Si nous pensons à la situation d’Alep qui occupe tellement nos esprits, nous pouvons nous dire que nous avons encore raté quelque chose. Nous pouvons nourrir un sentiment de honte. Ce sentiment de honte traduit alors notre intuition que cela aurait pu être autrement, qu’un autre ordre du monde est possible, qu’il était possible d’agir autrement voire d’agir, tout simplement. L’espoir que les personnes ne meurent pas sous les bombes est une forme de superstition. L’espoir que les peuples ne soient pas écrasés par la soif de pouvoir des forts est une forme de superstition. L’espérance, quant à elle, est la révélation qu’il y a des alternatives, qu’i y a d’autres résolutions aux conflits et que nous sommes capables de faire valoir ces alternatives. « Nous » ? Nous comme l’Europe, par exemple. Nous qui, avec d’autres peuples, partageons la même horreur devant la dévastation. La suite relève de la réponse politique et ne m’appartient pas ce matin.
Sur le plan spirituel, il y a le regard qui s’ouvre sur une autre réalité que l’apparence. L’espérance est ce qui nous sauve de la saturation de notre imaginaire par le spectacle sauvage des scènes de guerre. L’espérance, c’est ce qui nous fait voir encore ce qu’il y a à sauver. L’espérance, c’est ce qui nous stimule pour chercher et sauver ce qui semble perdu. C’est ce qui nous révèle encore ce qu’il y a à changer, ce qu’il y a à aimer. L’espérance est ce qui nous sauve de la fascination morbide, lorsque nous sommes comme happés par la violence qui coule de nos postes de télévision. L’espérance est une forme de résistance à cela. Ne pas adhérer à ce spectacle. Ne pas devenir complice de façon passive. . L’espérance est alors ce qui fait de notre prière une véritable prière, contrairement à l’espoir qui fait de notre prière une énumération des situations problématiques après quoi nous retournons à nos occupations comme si de rien était.
Si nous reprenons les images d’Esaïe 11, nous pouvons prendre conscience que ce texte dit vrai et que Jésus a ouvert une voie d’accomplissement à cette espérance. Oui, le loup que nous sommes peut effectivement séjourner avec l’agneau que nous sommes aussi, sans dévoration mutuelle. Le loup peut cesser d’être un loup pour l’agneau : il peut ne plus être la caricature de lui-même. Il peut être autre chose qu’un dévoreur d’agneau. Après tout, dans le livre de la jungle, Rudyard Kipling a fait des loups le peuple libre qui est encore une source d’inspiration pour nos jeunes scouts. C’est une question d’éducation qui se réalise par le sceptre de la parole, par le souffle des lèvres qui met à mal la méchanceté résiduelle en nous. L’espérance c’est que nous sommes effectivement de changer, de même que ceux que nous rencontrons sont capables de changer. Pour autant que nous ne jugions pas l’autre sur les apparences, pour autant que nous ne nous contentions pas des ouïe dire, une pédagogie du dialogue peut être engagée, une véritable rencontre peut avoir lieu, qui ne laissera personne indemne, qui humanisera chacun. Jésus y est parvenu bien des fois, selon les récits évangéliques. Même le centurion romain a été évangélisé.
Nous savons que nous pouvons changer nous aussi, c’est la notre foi : nous sommes capables de nous humaniser les uns les autres. Commencer à le vouloir, c’est espérer. C’est tendre vers ce changement salutaire. C’est donner de la consistance à Noël, c’est de cette manière que nous pouvons remplir la crèche de Noël.