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Exode 20/22-26
22 L’Éternel dit à Moïse: Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël: Vous avez vu que je vous ai parlé depuis les cieux. 23 Vous ne ferez point des dieux d’argent et des dieux d’or, pour me les associer; vous ne vous en ferez point. 24 Tu m’élèveras un autel de terre, sur lequel tu offriras tes holocaustes et tes sacrifices d’actions de grâces, tes brebis et tes bœufs. Partout où je rappellerai mon nom, je viendrai à toi, et je te bénirai. 25 Si tu m’élèves un autel de pierre, tu ne le bâtiras point en pierres taillées; car en passant ton ciseau sur la pierre, tu la profanerais. 26 Tu ne monteras point à mon autel par des degrés, afin que ta nudité ne soit pas découverte.
Chers frères et sœurs, il est probable que ce texte ne soit pas votre texte biblique de référence. Il est fort probable que ce soit la première fois que vous l’entendiez, alors qu’il se trouve juste après le décalogue qui est pourtant l’un des textes les plus connus de la Bible. Ce texte n’est pas seulement exotique, ou archaïque, il sonne surtout comme un texte parfaitement inutile. En effet, en quoi ce texte peut-il nous dire quelque chose d’utile, aujourd’hui, ne serait-ce que pour notre foi ? En quoi ce texte peut-il nous enseigner quelque chose alors que nous ne pratiquons plus les sacrifices ?
- La nature des sacrifices
Tout d’abord, il ne serait pas inutile de faire le point sur ce que sont les sacrifices dans la Bible. Dans notre texte, il est question d’holocauste et de sacrifice de communion. Dans les deux cas, il s’agit de sacrifier du petit ou du gros bétail. S’agissant de l’holocauste, c’est simple, tout est expliqué dès les premiers versets du livre du Lévitique. Vous prenez un animal, vous lui posez la main sur la tête puis vous l’égorgez. Ensuite vous coupez l’animal en morceau et vous réservez les entrailles et les pattes. Vous mettez le reste sur un feu que vous aurez allumé sur l’autel – le lieu du sacrifice. Puis vous lavez les entrailles et les pattes que vous brûlez aussi sur l’autel. C’est un holocauste : tout l’animal monte en fumée (le verbe monter se dit ‘alah, en hébreu).
S’agissant des sacrifices de communion, il est d’abord intéressant de constater que cela se dit shelamim en hébreu, un mot construit sur la racine shalom qui signifie « paix ». Ces sacrifices devraient plutôt être nommés « pacifiques ». La différence avec l’holocauste réside dans le fait que c’est la graisse de l’animal que vous offrez en sacrifice sur l’autel, ainsi que les rognons et la membrane qui couvre le foie. Cela signifie que vous pourrez manger le reste. Seul l’holocauste est un sacrifice entièrement consacré à Dieu. Les autres sacrifices sont partagés entre Dieu, les prêtres et les personnes qui offrent les sacrifices.
Notez qu’il existe aussi des sacrifices à base d’offrandes végétales qui sont les plus estimables selon le Lévitique. Dans tous les cas, le sacrifice est à comprendre comme un repas offert à Dieu. Soit un repas partagé, soit un repas entièrement offert à Dieu dans le cas de l’holocauste. C’est un repas préparé à partir de ce qui constitue l’alimentation du peuple. Et tout ce qui est sacrifié a été préparé. On ne brûle rien qui n’ait été préparé par la main de l’homme. On ne brûle pas un animal tel quel. On ne brûlera pas des céréales telles quelles. Tout ce qui est sacrifié est manufacturé. Ce n’est pas le règne de la violence sauvage. C’est le règne de la culture. D’autant qu’il ne s’agit pas de nourrir Dieu qui ne dépend pas de nos invitations pour survivre, mais de lui offrir un repas pour se placer dans le registre de la convivialité, de la communion. Le sacrifice est une manière d’exprimer ou de rendre manifeste, la relation entre Dieu et l’être humain.
Cela conduit d’ailleurs à une remarque : nous ne devrions jamais parler du massacre des juifs dans les camps d’extermination comme de l’holocauste, sinon ce serait une manière de dire que cela fut agréable à Dieu et que ce fut une manière de vivre la communion entre Dieu et l’humanité. Même chose pour la mort de Jésus. Quel plaisir Dieu aurait-il eu par la mort de Jésus ?
Ces considérations restent très éloignées de notre vie contemporaine. Pourtant, la pratique du sacrifice nous renseigne utilement sur un aspect que je vais maintenant aborder en revenant au texte qui nous occupe.
- C’est Dieu qui a l’initiative : la grâce
Quand on pense aux sacrifices bibliques, on pense au fait que les sacrifices étaient nécessaires pour se réconcilier avec Dieu. Ce que nous venons d’observer au sujet du sens du sacrifice dément cette vision des choses. Si le sacrifice est un repas de convivialité, alors il ne saurait être un moyen de réconciliation. Le repas est ce qui vient sceller la réconciliation, pas ce qui la provoque. Les sacrifices, dans le livre du Lévitique, ne sont pas la cause d’une bonne relation entre Dieu et son peuple ; ils attestent de la relation intime. Même quand il y aura des fautes commises par le peuple, ce n’est pas le sacrifice qui rattrapera la faute du peuple : le sacrifice viendra attester que la faute commise n’empêche pas la suite de l’histoire.
Le sacrifice n’est donc pas un moyen de peser sur Dieu. Le sacrifice n’est pas un moyen pour mettre Dieu dans ses petits papiers. Nous le voyons bien par ce verset tout à fait significatif qui fait dire à Dieu : « Partout où je rappellerai mon nom, je viendrai vers toi ». Autrement dit, ce n’est pas le sacrifice qui fait venir Dieu, c’est Dieu qui décide de venir, comme bon lui semble, là où il le souhaite.
C’est Dieu qui a l’initiative, pas nous. Nous pouvons faire un autel en bonne et due forme. Nous pouvons faire les bonnes prières. Nous pouvons avoir les bons gestes. Nous pouvons être le bon nombre. C’est Dieu qui décide de venir vers nous, indépendamment de ce que nous faisons, disons ou pensons. C’est Dieu qui a l’initiative de sa présence dans l’histoire des Hommes, ce ne sont pas les Hommes qui maîtrisent la présence de Dieu dans leur histoire.
Voilà qui vaut pour nous aujourd’hui, quand nous pensons que notre ritualisme peut quelque chose pour obtenir les bonnes grâces de Dieu. Cela vaut pour nous quand nous pensons qu’une bonne attitude morale nous permettra d’attirer la bienveillance sur nous. Et, dans la mesure où nous avons observé qu’il pouvait y avoir des sacrifices où seule une partie était offerte à Dieu, mais aussi des sacrifices où tout était offert à Dieu, ce texte nous est utile quand nous imaginons que c’est en nous consacrant totalement à Dieu, quand nous nous sacrifions totalement à Dieu, que nous sommes assurés de sa miséricorde.
Le sacrifice ne saurait être un moyen de marchandage de la grâce divine. Ce texte nous le rappelle explicitement : C’est Dieu qui vient, indépendamment de nos prières, de nos rituels, de nos postures, de nos relations, de nos diplômes, de notre montant d’épargne, de notre morale. Cela signifie que la grâce de Dieu est inconditionnelle. Cela signifie que la grâce de Dieu est disponible de manière absolue, indépendamment de notre foi. C’est notre foi qui est dépendante de la grâce.
Cela signifie que la vie recèle de ce qui est favorable pour que nous ayons une vie bonne, une vie réjouissante, une vie satisfaisante, une vie positive. En disant que Dieu vient vers nous partout où il rappelle son nom, le rédacteur indique que le bonheur ne dépend pas de notre volonté parce que le bonheur est déjà disponible avant que nous y pensions. La foi est le résultat de cet état de fait à savoir que la vie est riche de ce qui nous permettra d’avoir une vie réjouissante. La foi est ce regard positif sur la vie qui repère ce qu’il y a à saisir pour que la vie ne soit pas un long chemin de croix, mais un cheminement vers la terre où coulent le lait et le miel.
Souvenons-nous que le sacrifice était au cœur de la religion du peuple hébreu. Jusqu’à la destruction du temple de Jérusalem en 70 CE, c’est le sacrifice qui était la chose la plus importante pour les croyants. Eh ! bien la loi sur l’autel qui rendait le sacrifice possible, nous enseigne qu’il n’y a pas de moment de notre vie où nous devrions nous déconsidérer ; il n’y a pas de moment de notre vie où nous devrions imaginer que nous n’avons plus à notre disposition ce qui est fondamental pour affermir notre identité, notre personnalité, ce que la Bible nomme Dieu. Nous n’avons pas à quémander un peu de sens pour notre vie car il y a toujours du sens disponible dans la vie ; Dieu, créateur de sens pour notre monde, ne dépend pas de notre excellence.
- Le but de la vie religieuse est la bénédiction
Pour étayer mon propos, je reviens sur le constat que le sacrifice était le centre de la vie religieuse. Nous avons compris que le sacrifice n’était pas un moyen de nous réconcilier avec Dieu, avec la vie, parce que la grâce divine précède nos besoins humains fondamentaux. Mais nous avons peut-être encore en tête que le sacrifice, c’est quand même de l’abattage rituel, que le sacrifice, c’est le résultat d’une violence codifiée, certes, mais d’une violence quand même. Et nous voyons mal en quoi cela ne serait pas archaïque, d’un autre temps que nous espérons définitivement révolu.
Nous avons donc ce texte biblique qui explique comment construire l’autel qui va permettre d’organiser le centre de la religion. Observons ce texte pour examiner quel en est son centre et, ainsi, repérer quel est le centre du centre de la religion.
Le texte concernant la construction de l’autel est composé de 57 mots. 57 est la valeur numérique du mot mizbah qui signifie « autel pour le sacrifice ». Le rédacteur montre ainsi qu’il a organisé son texte de telle manière que la forme participe au fond. Nous pouvons en effet dégager une structure concentrique dans ce texte, ce qui va nous permettre d’aller au centre pour y voir le message essentiel délivré par le rédacteur.
Nous constatons que le centre est entouré par deux parties comportant un nombre identique de mots, ce qui confirme que le centre est bien le cœur du message. C’est le verset 24b qui est donc l’objet de ce passage, à savoir : « Partout où je rappellerai mon nom, je viendrai vers toi, et je te bénirai ».
Dans le texte hébreu, nous voyons que ce bout de verset pointe vers la fin par la progression 3 mots, 2 mots, 1 mot que nous pouvons observer dans le texte hébreu.
Le bout du bout, c’est la bénédiction. Le but de l’autel, c’est le sacrifice, et le but du sacrifice, c’est la bénédiction. Le but de la religion, ce n’est pas la religion, ce n’est pas d’accomplir les rituels religieux selon les formes canoniques, ce n’est même lire la Bible – qui n’existait pas l’époque. Le but de la religion, c’est la bénédiction, le fait « bien dire » (bene-dicere). Pas forcément dire du bien, mais bien dire, bien parler, bien exprimer ce qui est. La bénédiction, c’est d’exprimer ce qui est d’une bonne manière. La bénédiction, c’est l’art de dire le réel au lieu de vivre dans nos illusions qui n’ont rien de commun avec le réel. C’est cela la religion, telle que nous en parle ce passage biblique. Avec la langue hébraïque, le but de la religion, c’est la berakha – ce qui va dans le sens de la reconnaissance, de la louange, de l’action de grâce : reconnaître la grâce disponible dans notre vie. Quand un Juif prononce une bénédiction, c’est pour remercier Dieu de lui prodiguer ce qui lui est nécessaire pour son existence. Exprimer que ce qui est nécessaire est bel et bien à notre disposition, quelle que soit notre sentiment de dignité ou d’indignité. C’est cela le sens de la religion.
Ce passage biblique qui semble tout entier orienté vers un passé particulièrement archaïque, très à cheval sur des formes religieuses aussi exotiques que périmées, révélait déjà que le but de la religion n’est pas de maintenir les formes religieuses ni de se conformer à des rituels, mais de faire de la bénédiction le centre de notre existence. La loi sur l’autel vise à nous faire abandonner les illusions de la pensée magique qui envisage que la religion est là pour manipuler le divin. La loi sur l’autel vise à nous connecter au réel de la vie. La foi cesse alors d’être un catalogue de choses incroyables qu’il faudrait tenir pour vraies. La foi devient notre attachement viscéral à cette vérité fondamentale que la Bible révèle à qui veut bien l’entendre : la vie est bonne. Elle est tov, dit Dieu en Genèse 1 : notre monde est vivable. Où que nous en soyons de notre propre histoire, Dieu fait retentir son nom pour nous faire exister.
Amen
Merci au professeur Alfred Marx d’avoir attiré mon attention sur les éléments formels de ce passage biblique.
Merci de ces commentaires sur les termes holocaustes..sacrifices ..et l’habileté à en ressortir l’idée de BENEFICE.
Bien à vous.
Lila depuis mon cher MAC!!!