« Réjouissez-vous, parce que vos noms sont inscrits dans les cieux ». Intervention lors de la cérémonie d’hommage aux morts pour la France

Chers frères et sœurs, comme chaque année, nous voici réunis dans ce carré du souvenir du cimetière protestant. Ce lieu impose tout à la fois le respect et l’humilité.

Sur ce mur, sur ces tombes, notre regard croise des noms. Il y a là le nom de personnes singulières, avec leur caractère propre, avec leur histoire personnelle. Ces noms inscrits dans la pierre font écho à un verset de l’évangile de Luc (10/20) dans lequel Jésus déclare :

« Réjouissez-vous, parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »

crédit Pascale Soula

En effet, leur nom n’est pas seulement inscrit dans la pierre. Notre présence, ce matin, indique que leur nom est inscrit dans notre propre mémoire, dans notre propre existence. Notre présence ce matin, atteste que leur nom sont inscrits là, dans ce carré, et là, en nous, dans notre mémoire. Cela veut dire dire que leur nom est bel et bien inscrit dans les cieux puisque les cieux, en hébreu, cela se dit Shamaïm, la forme duelle du Sham qui signifie « là ». Les cieux, c’est là et là, et Dieu fait le lien. Dieu se tient entre ceux qui sont là et ceux qui sont là. En nous rassemblant, ce matin, nous affirmons que leur nom est inscrit dans les cieux, ce qui constitue une réponse au président général du Souvenir français qui déplore la disparition progressive des tombes des soldats. En vertu du fait que leur nom est inscrit dans les cieux, leur mémoire ne s’efface pas.

De cette affirmation biblique, j’aimerais tirer deux enseignements : un enseignement sur la condition humaine et un enseignement sur la perspective de l’histoire humaine.

  1. Fraternité universelle

Dans la Bible, les cieux sont le lieu symbolique de Dieu. Quand Jésus dit que nos noms sont inscrits dans les cieux, cela signifie que nos noms sont inscrits en Dieu. Tous nos noms. Les noms de tous. Les noms de ceux qui sont là, et les noms de ceux qui sont là, et les noms de ceux qui sont là-bas, au loin, au-delà notre horizon. C’est une manière de dire que notre identité profonde est en Dieu, en compagnie d’autres qui sont aussi nos frères et sœurs.

Nous ne savons rien de Paul Alméras et de ses 18 ans. Nous ne savons rien de David Goure, l’aîné de tous ceux-là, du haut de ses 42 ans. Nous ignorons ce qu’ils ont fait. Nous ne savons pas ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont enduré, ce qu’ils ont bravé, ce qu’ils ont accompli. Nous ignorons ce qui les animait, ce qu’étaient leurs débats intérieurs.

Mais notre présence, ce matin, exprime cette conviction que leur nom est inscrit dans les cieux, avec d’autres noms, ailleurs, le nom de tous ceux qui, avec nous, forment l’humanité. Il y a dans cette affirmation que leur nom est inscrit dans les cieux l’affirmation que nous participons tous d’une fraternité universelle ; une fraternité qui nous dépasse tous largement. Parler des cieux, parler de Dieu, c’est parler d’une humanité unique, rassemblant tous les êtres de toutes les origines, de toutes les générations, et qui sont rassemblés alors qu’ils ne se connaissent pas nécessairement, qu’ils ont des idées différentes, des choix de vie différents. Tous ces morts nous disent que nous faisons partie d’une fraternité universelle qui transcende largement tous nos sentiments d’appartenance particulière, toutes nos affiliations.

  1. Portée universelle

Le deuxième enseignement que je retire du fait que leur nom soit inscrit dans les cieux, c’est que leur trajectoire a une portée universelle.

Albert Cournan, Pierre Fage, Joseph Taboni, nous disent, par delà leur destinée, par delà le caractère tragique de leur histoire, un message à caractère universel. Ce verset biblique nous dit que le combat de l’homme, c’est la lutte pour l’universel et nous pour un intérêt particulier. Ce verset biblique, le message de Jésus, consiste à proposer une alternative à la pax romana qui s’élabore sur le droit du plus fort, du plus barbare, celui qui impose la paix par la violence et la terreur. La paix du Christ se fonde sur le constat de la fraternité universelle pour construire la paix par la recherche d’une justice universelle, ce qui, de nos jours, est souvent appelé le droit international.

crédit Pascale Soula

La mémoire de leur nom inscrit dans les cieux nous rappelle l’impérieuse nécessité de lutter contre les désirs fous d’impérialisme. Lutter contre le désir de vouloir faire l’unité d’une nation en construisant un ennemi commun, de vouloir forger l’identité d’un peuple en niant à ceux qui sont de l’autre côté de la frontière la qualité d’être humain, quand il ne s’agit pas, tout simplement, de déplacer les frontières pour se faire empire.

Que le nom de l’autre, celui dont je ne sais rien, soit inscrit dans les cieux, avec le mien, a des conséquences pratiques sur notre manière de vivre, sur notre éthique, sur nos options politiques, sur nos projets. Cela nous enjoint à penser ce que nous faisons non pas seulement en fonction de notre principe de plaisir, non pas seulement en fonction de notre intérêt personnel ou de l’intérêt de notre famille, de notre groupe, de notre clan, mais en fonction de l’intérêt général. Parce que nos noms sont inscrits dans les cieux, nous sommes appelés à donner à notre vie une portée universelle.

Oui, frères et sœurs, réjouissons-nous que nos noms soient inscrits dans les cieux, il y a là l’affirmation d’une fraternité universelle et la promesse d’une paix universelle qu’il nous appartient de réaliser.

Amen

Cimetière protestant de Montpellier. 2 novembre 2022. Version écrite – seul le prononcé fait foi.

3 commentaires

  1. Dans les cieux , un bon à propos.
    Nous ignorions ce qui les animaient, nous ignorions quel était leur débat intérieur…Au moment où Saint Exupéry envisage sa mort comme quelque chose de plus que probable*, il écrit: « on meurt toujours pour ce quoi l’on a vécut… » (pilote de guerre).Alors choisissons avec attention ce pourquoi l’on vit, là est l’essentiel.Sylvain Tesson dans l’incipit de son dernier livre, blanc, cite Jésus, citation présente dans les quatre évangile: »alors vient et suis moi… »
    *Cette angoisse des pilotes, dont on a le témoignage dans certains documentaires, vient de leur connaissance des réalités statistiques, plus ils survivaient aux missions, plus la mort se rapprochait d’eux.

  2. Laissez les morts enterrer les morts ! Cela ne veut pas dire qu’il faille ignorer ceux-ci, mais bien plus de se poser la question sur la légitimité des guerres souvent faites au Nom de Dieu. Tant d’hommes envoyés à l’abatage ! Dans une Europe chrétienne ??? Où étaient les chefs religieux de tous ces peuples ??? Vraiment, c’est à se le demander !! Et cela continue avec l’exemple de l’Eglise orthodoxe russe !! Décidément, vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ces singes !

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