Boris Cyrulnik, résilience et résurrection

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La Bible au service de la résilience

Par James Woody


Psaume 66/5-7

Sélah. 5 Venez, et voyez les œuvres de Dieu: il est terrible dans ses actes envers les fils des hommes. 6 Il changea la mer en terre sèche; ils passèrent le fleuve à pied: là nous nous réjouîmes en lui. 7 Il domine par sa puissance pour toujours; ses yeux observent les nations. Que les rebelles ne s’éloignent pas! Sélah.

Expériences de morts

«  – J’ai dû me taire pour survivre. Parce que je suis déjà morte, il y a longtemps – j’ai perdu la vie autrefois. Mais je m’en suis sortie, puisque je chante.

– Sortie ? Il y a donc une prison, un lieu clos d’où l’on peut s’évader – la mort n’est pas sans issue ? »

Barbara, Paris Match 21 décembre 1964

Jean Genet a sept ans. L’Assistance publique l’a confié à des paysans du Morvan : « je suis mort en bas âge. Je porte en moi le vertige de l’irrémédiable… le vertige de l’avant et l’après, l’épanouissement et la retombée. »

Jean-Paul Sartre, Saint Genet, 1952

« J’ai fini par admettre que j’étais mort à l’âge de neuf ans… Accepter de contempler mon assassinat, c’était me constituer cadavre. »

Michel del Castillo, De père français, 1998

Récits tirés de Boris Cyrulnik, Les vilains petits canards, 2001. Dans cet ouvrage, Boris Cyrulnik expose les étapes du chemin de la résilience :

  1. Acquisition de ressources internes
  2. Structure de l’agression et signification que prendra le coup reçu
  3. Possibilité de rencontrer des lieux d’affection, d’activités, de paroles, qui seront des tuteurs de résilience qui permettront de reprendre un développement infléchi par la blessure.

Ressources internes

Tout commence donc par l’acquisition de ressources internes, par des expériences positives, des réussites, accumulées pendant l’enfance.

Ainsi, dans son livre Je me souviens, Boris Cyrulnik rapporte un événement qui a été fondateur pour lui. Boris Cyrulnik est pris dans une rafle en janvier 1944, à l’âge de 6 ans. Il parvient à s’enfuir en se cachant dans les toilettes du lieu où tout le monde a été rassemblé. Il a grimpé jusqu’à trouver un moyen de se cacher sous le plafond. Et voici ce qu’il écrit : « j’ai de cette journée de janvier 1944 un sentiment de réussite, le souvenir d’avoir fait un exploit, une prouesse. Chaque fois que j’ai repensé à ce qui s’était passé, je me suis dit : « T’inquiète pas, ça va aller, il y a toujours une solution », et je repensais à cette scène des « pissotières ». C’est comme ça que je suis devenu un bon grimpeur. Par la suite, je pouvais monter partout où je voulais en me disant simplement : « Si tu grimpes, tu pourras toujours t’en sortir. La liberté est au bout de ton effort. » Et quand je repense à ces moments terribles, c’est toujours un sentiment de victoire. Car, même enfant, je pensais ainsi : « Ils ne m’auront pas. Il y aura toujours une solution. » »

Cette expérience fondatrice est un capital de réussite dans lequel il est possible de puiser pour faire preuve de résilience, pour se relever de ce qui nous accable, pour ressusciter. Mais quand l’enfance n’a été qu’un long cauchemar ? Quand la jeunesse a été vécue sans expérience franchement positive ? Quand le traumatisme est tellement fort qu’il efface toute mémoire ?

La Bible, mémoire auxiliaire

C’est là que les textes bibliques peuvent avoir une utilité de premier ordre. Prenons le cas du psaume 66. C’est un psaume de louange, une prière de reconnaissance adressée à Dieu. Les versets 5-7 rendent compte d’un regard porté sur l’action de Dieu dans l’histoire des hommes. Le temps des verbes nous permet de comprendre que c’est un regard rétrospectif : autrefois, Dieu changea la mer en terre sèche. On traversa le fleuve à pied (sec). Ce souvenir des actes de Dieu dans le passé conduisent le psalmiste à considérer que Dieu domine éternellement par sa puissance, autrement dit que Dieu continue à rendre capable de surmonter les obstacles de la vie. La mer des Joncs qui fait face au peuple hébreu sortant d’Égypte, n’a pas été la fin de l’histoire du peuple libéré de la maison de servitude. Quant à la génération suivante qui rejoint le Jourdain en pleine crue, elle a pu le traverser à pied sec sans la moindre difficulté. Et le livre de Josué recommandera aux Hébreux de raconter à leurs enfants que Dieu a mis à sec le cours du Jourdain jusqu’à ce qu’ils aient passé comme il l’avait fait devant eux à la mer des Joncs (Josué 4/22-24).

À quoi servent ces textes qui font mémoire d’un peuple dont nous ne sommes pas issus directement, dans un contexte historique, social, qui n’a plus grand-chose à voir avec ce que nous vivons – sans parler du fait que ces textes n’ont pas un caractère historique au sens de l’histoire telle que nous la comprenons de nos jours ?

Les textes bibliques sont là pour offrir une mémoire positive à ceux qui n’en ont pas. Les textes bibliques constituent une mémoire auxiliaire pour tous les lecteurs : les textes bibliques comme mémoire de ceux qui n’en ont pas. L’objectif est clairement dit en Deutéronome 11/18-21 : toutes ces paroles offertes aux enfants sont une manière de prolonger leurs jours sur la terre promise.

Offrir une mémoire à ceux qui n’en ont pas, c’est leur permettre d’acquérir le patrimoine d’expériences positives qui donnent de l’assurance pour se lancer dans la vie ou pour reprendre pied dans son histoire quand elle a été particulièrement malmenée, lorsqu’elle est devenue illisible, lorsque nous ne comprenons plus grand-chose à ce qui nous arrive, ou qu’elle nous fait mal, qu’elle nous enfonce dans la terreur, dans une forme de mort.

Les textes bibliques sont rassurants, de mon point de vue, parce qu’ils nous rappellent qu’il n’y a pas et qu’il n’y a jamais eu d’âge d’or. Il n’y a jamais eu une sorte de temps béni où le monde aurait été paisible, tranquille, harmonieux, sans problème, sans crise, sans peur et sans reproches. Tout au contraire, il y a eu bien des périodes où le chaos saturait l’histoire.

L’expérience qui forge l’espérance

Au temps de la Bible, quand on y songe, bien des situations étaient encore pires que de nos jours. En tout cas ce n’était pas mieux. Et c’est rassurant quand nous nous mettons à douter de nous-mêmes, de notre société, de notre siècle, en nous disant que nous sommes face à une crise majeure qui va tous nous emporter, qui ne laissera personne indemne. C’est rassurant parce que ce texte biblique, comme bien d’autre, nous tient lieu de mémoire auxiliaire pour nous rappeler que des moments difficiles voire impossibles, il y en a eu. Et il a été possible d’en sortir non seulement vivants, mais pas en trop mauvais état.

Ces textes qui disent que la main de Dieu est puissante et qu’il est nécessaire de craindre Dieu, c’est-à-dire de s’en remettre à lui nous révèlent que la vie recèlent de possibilité pour ne pas succomber à ce qui nous arriver, mais nous redresser, faire preuve de résilience, être ressuscités.

C’est ce que nous fait comprendre le psaume 66, qui nous explique qu’il y a des points d’appui dans la vie. Que Dieu domine éternellement par sa puissance, c’est une manière de dire que la délivrance des impasses de la vie est possible, que des ouvertures dans les obstacles vers une vie bonne sont possibles, en vertu de l’expérience de ceux qui nous ont précédés, qui ont été pris dans les pires tourments, et qui ont témoigné de leur retour à la vie.

Il est donc possible d’espérer contre toute espérance (Romains 4/18).

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