Réenchanter le quotidien


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1 Corinthiens 11/17-26

17 En donnant cet avertissement, ce que je ne loue point, c’est que vous vous assemblez, non pour devenir meilleurs, mais pour devenir pires. 18 Et d’abord, j’apprends que, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, -et je le crois en partie, 19 car il faut qu’il y ait aussi des sectes parmi vous, afin que ceux qui sont approuvés soient reconnus comme tels au milieu de vous. – 20 Lors donc que vous vous réunissez, ce n’est pas pour manger le repas du Seigneur; 21 car, quand on se met à table, chacun commence par prendre son propre repas, et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre. 22 N’avez-vous pas des maisons pour y manger et boire ? Ou méprisez-vous l’Église de Dieu, et faites-vous honte à ceux qui n’ont rien ? Que vous dirai -je? Vous louerai -je? En cela je ne vous loue point. 23 Car j ‘ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné; c’est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, 24 et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit: Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous; faites ceci en mémoire de moi. 25 De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit: Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. 26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

Chers frères et sœurs, notre vie paroissiale a été particulièrement impactée par la situation sanitaire et, aujourd’hui encore, un aspect en subit tout spécialement les conséquences : la célébration de la cène. Voilà des mois que la cène n’a plus été célébrée comme nous en avions l’habitude. Pour autant, il n’est pas sûr qu’en ayant cessé de célébrer la cène nous nous soyons placés en dehors de l’espérance que nourrissait Jésus, ni en dehors de la recommandation que Paul fit à la communauté de Corinthe.

  1. Sens de la cène

Pour m’en tenir à ce que la cène peut signifier, je m’en tiendrai à ce que les textes bibliques nous donnent à penser. Tout d’abord, sans m’étendre sur ce point, j’aimerais vous rendre attentif au fait que le repas que Jésus prend avec ses disciples peu de temps avant d’être arrêté, s’il a lieu la veille de Pâques, est bien différent du repas de Pâques. Il s’apparente beaucoup plus au repas d’intronisation du grand prêtre qui consommait les aliments les plus sacrés à savoir le pain et le vin qui constituent les éléments de l’offrande la plus haute qui pouvait être offerte à Dieu. Cela nous est rapporté dans le Testament de Lévi (VIII, 5) et j’ai eu l’occasion de m’exprimer longuement à ce sujet[1], indiquant qu’en partageant le pain et le vin du grand prêtre Jésus établissait le principe du sacerdoce universel : nous sommes tous prêtres, tous capables de nous tenir directement face à Dieu et d’en tirer des conséquences dans notre vie personnelle.

En réunissant ses disciples, Jésus crée un acte de fraternité qui s’impose comme la réponse la plus évangélique qui soit à la violence qui est en train de se tramer et qui va s’abattre sur Jésus quelques heures plus tard. La fraternité est ici vécue pratiquement et va permettre de fonder la manière d’être chrétienne en situation d’hostilité Comme l’écrira Paul, un chrétien ne répond pas à la violence par la violence, mais par un bien supérieur. Mais Jésus a-t-il institué la cène ? A-t-il voulu en faire un sacrement ? Comme le rappelle fort justement Ralph Emerson[2] alors qu’il était encore pasteur, ni Marc, ni Matthieu, ni Jean – bien évidemment puisqu’il n’écrit rien au sujet de la cène proprement dite – ne rapportent que Jésus a demandé qu’on fasse à nouveau ce repas dans l’avenir. Si Luc en parle, c’est parce qu’il reproduit le texte de l’apôtre Paul que nous avons lu, texte qui est plus ancien que les évangiles. Or Paul ne parle pas de l’institution de la cène au sens où Jésus aurait demandé que les chrétiens célèbrent la cène pour respecter la volonté de leur maître. Paul s’exprime au sujet des repas paroissiaux qui se déroulent dans la plus grande confusion, chacun mangeant sans se préoccuper des autres le moins du monde. Paul écrit aux Corinthiens pour remettre un peu d’ordre dans une manière de vivre qui n’est guère fraternelle. Et pour rendre la vie paroissiale plus fraternelle, il se réfère à Jésus et au repas qu’il prit avec ses disciples afin d’en faire un modèle du genre.

Le verset 25 qui apparaît comme celui qui institue la cène en tant que rite appelle deux remarques. La traduction de Louis Segond à laquelle nous sommes habitués stipule : « De même, après avoir soupé (il prit) la coupe et dit : cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. »

Une traduction plus proche du texte grec serait : « de même, (il prit) la coupe après avoir dîné en disant : « ceci est la coupe de la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci, toutes les fois que vous boirez, dans le souvenir de moi ».

La première remarque concerne le fait de boire : c’est toutes les fois que l’on boit que cette phrase est vraie, et pas seulement quand on célèbre la cène selon un rite mis en forme par l’Église. Quand l’apôtre Paul parle de boire, ce n’est pas limité à la coupe en argent que le pasteur a élevé devant les yeux de tous. C’est à chaque fois que nous buvons que nous serions bien inspirés de nous référer au repas prit par Jésus avec ses disciples.

La deuxième remarque concerne la mention du souvenir de Jésus. La préposition grecque eis et non en, indique le mouvement plutôt que l’état stationnaire. C’est en allant dans le souvenir de Jésus et non en étant dans le souvenir de Jésus que nous devons manger. Jésus est une direction vers laquelle il faut tendre. Le repas de Jésus est un idéal que nous sommes invités à viser pour ajuster notre vie quotidienne à l’exigence de l’Évangile. Il ne s’agit donc pas de s’installer dans une forme particulière de la cène, mais d’orienter nos repas dans la direction de ce qu’a vécu Jésus : le sens de la fraternité, le sens du sacerdoce universel.

  1. Spiritualiser le quotidien

Sans vouloir donner trop d’importance au choix de cette préposition, nous pouvons néanmoins en conclure que l’apôtre Paul n’a pas voulu enfermer ses lecteurs dans le souvenir du passé, mais orienter l’avenir de chacun vers l’intention qui était celle de Jésus. C’est heureux, parce qu’il est évident que la forme que la cène peut prendre dans nos Églises, au XXIème, est sans rapport avec la façon dont cela avait été vécu dans la chambre haute à Jérusalem, il y a deux mille ans. Il ne s’agit pas d’être arc-bouté sur une forme religieuse, mais de donner à notre vie quotidienne le sens de l’Évangile.

Par ce courrier pastoral, l’apôtre Paul nous donne une indication précieuse sur ce qu’est, à ses yeux, la vie chrétienne – et cela pourrait nous inspirer utilement non seulement pour ce qui est de la célébration de la cène, mais pour toute chose. D’une part l’apôtre Paul nous permet de considérer le repas paroissial qui va suivre comme une bonne occasion de vivre la cène, plutôt que la célébrer. Nous allons manger et boire, et nous aurons l’occasion de le faire non d’une manière égoïste, mais à la manière des frères et des sœurs qui ne commencent pas à manger tant que tout le monde n’est pas installé et n’a pas l’assurance de pouvoir prendre part au repas. Cette morale qui fonde le savoir vivre est le degré zéro de l’interprétation de la lettre de Paul.

Un degré supérieur me semble être l’appel à réenchanter la vie quotidienne, à la rendre spirituelle, qu’il s’agisse de nos repas ou du reste de notre vie. Faire jusque dans le souvenir de Jésus, c’est orienter notre façon de vivre dans une direction analogue à celle que Jésus a révélée durant sa vie. Spiritualiser notre vie quotidienne, c’est s’intéresser à ce que la théologie peut dire de notre réalité, de notre vie quotidienne. La spiritualité, c’est le quotidien, dans le moindre de ses aspect, revisité par la théologie. C’est ce que faisait Jésus lorsqu’il priait, se retirant parfois de la foule et des disciples, pour ne pas être happé par le tourbillon de la vie. Il se replaçait face à Dieu pour retrouver le sens de sa journée, de sa vie personnelle. En vertu du sacerdoce universel auquel la cène nous donne accès, nous sommes nous-mêmes rendus capables de penser le moindre aspect de notre vie quotidienne du point de vue de Dieu – c’est cela faire de la théologie : penser l’existence du point de vue de Dieu.

Le judaïsme fait cela en donnant l’occasion de prononcer une bénédiction pour les différents moments de la journée, même le plus banal ou ce qui paraît apparaître comme le moins digne car, justement, il s’agit de conférer de la dignité, du sens, à tout ce que nous faisons. C’est en agissant ainsi, en pensant notre vie d’un point de vue théologique, que nous pouvons réinjecter la grâce divine dans notre vie, la réenchanter et, par la même occasion, cela permet d’éviter que la religion chrétienne devienne le folklore du dimanche matin.

Spiritualiser notre vie quotidienne, c’est ce qu’était sensé faire le sacrement en mettant à jour la grâce présente dans notre réalité – souvenons-nous de la formule d’Augustin : le sacrement est le signe visible d’une grâce invisible. Il ne faudrait pas faire l’inverse en réduisant notre vie à ce que sont les sacrements, ce qui serait une manière de désenchanter notre monde. Le sacrement n’est pas un geste à part dans notre vie. Ce n’est pas une porte d’entrée dans un monde merveilleux qui serait à côté de notre monde. Ce n’est pas un rituel pour nous sortir du monde et nous faire vivre heureux dans une enceinte hermétique à l’abri de l’extérieur. Le sacrement nous aide à réinvestir la vie quotidienne en intégrant la théologie dans le moindre aspect de notre vie ordinaire afin de la rendre proprement extraordinaire.

C’est ce que met en évidence l’évangéliste Jean lorsqu’il écrit que Dieu a tellement aimé le monde – ce monde dans lequel nous sommes – qu’il lui a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (Jean 3/16). Dieu a injecté de la grâce dans le monde pour réenchanter le monde. Par Jésus, Dieu a ouvert des perspectives pour que nous puissions mettre notre vie en perspective, que nous puissions lui donner du sens – il appartient à chacun d’entre nous de choisir le sens le plus adapté à chaque situation.

De même que le repas paroissial que nous partagerons après le culte pourra être bien plus fidèle à l’esprit de la cène en forgeant une fraternité véritable entre nous et en nous donnant l’occasion de hisser nos conversations à hauteur de Dieu, que ne le sont la plupart des célébrations de la cène que nos Églises organisent, chaque heure de notre semaine peut être bien plus spirituelle que bien des activités d’Église marquée par un formalisme religieux qui n’aide pas à vivre au jour le jour parce qu’il n’a rien de commun avec le réel.

C’est précisément parce que Jésus n’a pas été embaumé par l’apôtre Paul que nous ne sommes pas des adorateurs de sa dépouille et que nous ne sommes pas enfermés dans la reproduction stérile de ce qu’il aurait fait. Jésus a été donné au monde pour ouvrir une nouvelle compréhension de la religion qui consiste à tout vivre devant Dieu, en intégrant les autres dans notre horizon personnel de manière à en faire des frères et des sœurs. Pas plus que l’homme n’est fait pour la loi, l’homme n’est fait pour la religion. C’est la religion qui est faite pour l’homme afin de lui révéler sa capacité à savourer la vie qui est pleine de grâce.

Amen

[1] https://www.franceculture.fr/emissions/service-protestant/la-cene

[2] R. W. Emerson, Le dernier repas, p. 111.

2 commentaires

  1. Merci James Woody pour cette excellente prédication ! La grâce n’a pas attendu la Sainte Cène !
    Vous avez mille fois raisons : retrouver dans nos vies ordinaires la joie de savoir que Dieu est avec nous ! Je note votre interprétation de la Sainte Cène en le reliant au rôle du Grand Prêtre. Toutefois, je pense qu’on ne peut pas pour autant évacuer l’interprétation qu’elle est à voir avec la célébration de la pâque juive : Jésus étant notre Pâque ?
    Quant à convoquer les sacrements, je vous suis moins. Rendre visible l’invisible ? « Il ne leur sera donné que le signe de Jonas » ( Math 12). Comme le disait si bien Calvin : le sacrements ne sont que des béquilles pour apprendre à marcher. Et comme tout le monde le sait, quand on veut vraiment marcher, il faut laisser tomber les béquilles !

    1. Je vous suis parfaitement, en ajoutant la dimension de la solidarité : une fois que nous n’avons plus besoin de béquilles, il nous appartient de penser aux autres, à ceux qui ne savent pas encore marcher. Autrement dit, dans l’hypothèse où les sacrements soient inutiles pour nous, n’oublions pas ceux pour qui cela peut être une aide précieuse.

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