Éléphantine, une étonnante communauté juive

Présentation de la communauté juive de la période perse à Éléphantine par le professeur Dany Nocquet, faculté de théologie protestante de Montpellier.

Nous avons souvent une image homogène du yahvisme : un Dieu unique, la torah. Or cette homogénéité est relative. Elle ne devient réelle qu’à l’époque hellénistique (333-164 avant notre ère). En observant localement se qui s’est passé aux différentes époques historiques, nous constatons un écart important avec ce que la Bible hébraïque présente et qui constitue plutôt un idéal, qui sera élaboré après l’époque perse (539-333 avant notre ère).

C’est ce que nous constatons en nous intéressant à la communauté d’Éléphantine. Localisé en Haute Égypte, près d’Assouan, ce site a fait l’objet de nombreuses recherches archéologiques menées par les Français et les Allemands. C’est dans le cadre de ces travaux archéologiques que des documents ont été mis à jour parmi lesquels le papyrus Amherst 63 (du nom de son inventeur). C’est un papyrus long de 3,5m et haut de 30cm constitué d’une série de louanges, de prières adressées à différentes divinités (babyloniennes, syriennes, samariennes qui rendent un culte à Yahô).

  1. La communauté d’Éléphantine, son origine, son héritage

Les fouilles germaniques ont mis à jour une correspondance, notamment avec la Samarie et la Judée, ainsi que des questions juridiques et administratives à l’époque perse.

Ainsi, AP 6 n°33 (P. Grelot, 172) aborde une question d’héritage qui montre la diversité des personnes qui constituent le milieu. Dargâmana est d’origine iranienne, Macheseya est juif de Samarie, fils de Yedamyah, araméen de Syène, juif à la forteresse d’Éléphantine. Cette double identité est significative de la communauté d’Éléphantine dont la langue est totalement araméenne (personne ne parle hébreu). À Éléphantine aucun texte du corpus biblique n’a été retrouvé.

La lettre 10 indique un serment de Menahem par le sanctuaire et para ‘Anat-Yahô.

Tout cela nous aide à y voir plus clair sur l’origine de cette communauté : tout commence dans l’Israël ancien, un royaume conquis par l’Assyrie fin VIIIè. 2 Rois 17/29s. indique l’importation d’une population araméenne (Hamath et la divinité Ashima). Jérémie 48/12s. mentionne le Dieu de Béthel qui fait rougir Israël. Il y a là un mélange de populations imposé par les Assyriens.

Cette population migra vers Jérusalem en 721. Vingt ans plus tard les Assyriens menacent Juda (c’est le règne d’Ézéchias). Cette population fuit alors vers l’Est en direction de Palmyre ou Tadmur. A lieu alors une coexistence dans un contexte araméen avec une population babylonienne. Vers 600, ces populations quittent Palmyre pour aller en Égypte en raison de la menace babylonienne. D’autres populations trouvent refuge en Égypte. Les araméens de Samarie se rendent sur Éléphantine. La cohabitation en Égypte explique les différentes sections par origine dans le papyrus Amherts.

Jérémie 44/15s. met en scène l’exil de Jérémie emmené de force en Égypte. Avec son groupe de judéens il s’installe à Patros, en Haute Égypte. Ce passage biblique atteste un culte à la reine du ciel, une pratique contraire à ce que prône le code deutéronomique dont Jérémie est proche.

  1. Le yahvisme d’Éléphantine

Yahô est la divinité principale. Un memorandum de Bagôhi (gouverneur de Judée) et Dalayah (gouverneur de Samarie) mentionne la maison à autel du dieu du ciel à Éléphantine la forteresse autrefois, avant Cambysse qui fut roi. Cela indique qu’il y avait deux temples, l’un à Samarie et l’autre à Jérusalem au Vè. Cela indique également qu’il y avait un temple plus ancien que le deuxième temple de Jérusalem. Nous avons donc trois temple au service de Yahvé ce qui est très éloigné de la perspective deutéronomiste.

À la fin du Vè le temple de Yahô est détruit. Est-ce un acte d’antijudaïsme ? En fait, il s’agit plus vraisemblablement d’un soulèvement nationaliste égyptien contre le pouvoir perse. Or les Juifs d’Éléphantine forment une communauté militaire au service de l’Empire perse.

Le temple yahviste devait être important à l’image du temple de Khnoum qui était le principal et qui le jouxtait, ce qui signifie qu’une coexistence pacifique régnait.

On ne parle pas de Jérusalem à Éléphantine : on pratique un yahvisme autonome, sans nostalgie de Jérusalem, contrairement aux judéens exilés à Babylone. Cela s’explique par le fait que cette communauté ne vient pas de Jérusalem : elle est constituée d’Araméens.

Un papyrus d’Amherst indique des liens littéraires avec le psaume 20. Les deux textes sont comparables. Dans l’hymne d’Amherst, il n’est pas indiqué le Dieu de Jacob, maias on ajoute la grotte d’Arash, Beth El, et Baal Shanim. C’est le psaume d’Éléphantine qui inspire le psaume 20 qui reprend la thématique égyptienne en soulignant l’unicité de Yahvé.

Yahô est le centre du culte éléphantin. Un autre hymne fait penser au deutero-Ésaïe. Il y est question de l’universalité de Yahô, et d’autres divinités qui participent à la gloire de Yahô.

Yahô est célibataire avec une partenaire ‘Anat-Yahô. Le vécu est très différent de ce qu’il est en Judée, en Samarie ou à Babylone. La représentation religieuse de la Bible ne correspond pas à ce qui était vécu localement. Cela interroge sur l’identité juive de l’époque perse.

  1. La construction de l’identité juive à l’étranger

Comment cette communauté mélangée a-t-elle adopté une identité juive ?

Les réfugiés sont des Samariens avec une culture araméenne. L’identité juive singulière se développe une fois qu’ils sont arrivés.

La lettre d’Éléphantine 89, col 7 fait état de la répartition d’une collecte de 31 karsh et 8 sicles.
12 karsh et 8 sicles sont pour Yahô, 7 kaarsh sont pour Ashmin-Bet’el et 12 karsh sont pour ‘Anat-Bet’el. Cela indique bien la prédominance de Yahô.

Nous pouvons distinguer trois époques :

  1. Le terme juif est utilisé au pluriel dans les ostraca (morceaux de poterie sur lesquels ont écrit) d’Éléphantine. Cela désigne le groupe de Samarie et de Judée.

Une lettre familiale entre Migdol du Nord et Éléphantine, au Vè montre un échange entre ces communautés plus qu’avec la Judée et la Samarie. On bénit par Yahô.

  1. Les Perses reconnaissent aux Juifs la possibilité de vivre selon leurs coutumes en tant qu’adorateurs de Yahô. Le critère pour désigner les communautés est le culte célébré. Cela vaut aussi bien en Judée, qu’en Samarie ou à Éléphantine.
  2. La communauté met en évidence son identité pour faire reconstruire le temple. Elle demande le soutien de la Judée et de Samarie. Survient alors une tentative de régulation judéenne dans le but de renforcer la centralité de Jérusalem. Il est par exemple demandé de ne plus faire d’holocauste, mais de brûler de l’encens et de pratiquer des oblations. Cela revient à chercher à harmoniser les pratiques yahvistes du monde juif de l’époque.

À Éléphantine on pouvait être yahviste, juif, universaliste, polythéiste, avoir son propre temple, épouser une non juive, ne pas avoir lu la torah qui n’était pas encore disponible.

C’est pendant la période hellénistique que se constitue le texte de la torah.

Éléments de conclusion

Ce sont différents milieux qui ont contribué à la formation de la Bible hébraïque. Jérusalem n’est plus l’épicentre de la formation de la torah. Au Vè, à Samarie, un temple existait en même temps que celui de Jérusalem. Les milieux de production sont donc la Judée, la Samarie et la diaspora.

Il en résulte une diversité yahviste : monothéiste aniconique et universaliste inclusif. Cette diversité se constate dans les textes bibliques, notamment le cycle de Joseph (Genèse 41 sera étudié la fois suivante). L’idéal théologique est souvent éloigné de la pratique traditionnelle. C’est la confrontation avec la culture hellénistique qui va façonner le yahvisme biblique.

Études utiles :

Karel van der Toorn, Becoming Diaspora Jews: Behind the Story of Elephantine, New Haven, Yale University Press (Anchor Bible Reference Library), 2019.

Pierre Grelot, Document araméens d’Égypte, Paris, Cerf, 1972.

Un commentaire

  1. Merci pour cette savante communication : il y a tant à découvrir à propos de la mise en forme du monothéisme et des textes qui ont accompagné son implantation. Il y a tant à gagner à connaître les racines du monothéisme.

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