« L’homme devient athée lorsqu’il se sent meilleur que son Dieu »


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Romains 8/18-27

18 J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. 19 Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. 20 Car la création a été soumise à la vanité, -non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, avec l’espérance 21 qu ‘elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. 22 Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. 23 Et ce n’est pas elle seulement; mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. 24 Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance: ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? 25 Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance. 26 De même aussi l’Esprit nous aide dans notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il nous convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables; 27 et celui qui sonde les cœurs connaît quelle est la pensée de l’Esprit, parce que c’est selon Dieu qu’il intercède en faveur des saints.

Chers frères et sœurs, nous confondons souvent « athée » et « non affilié à une religion ». Or Il est possible d’être croyant sans être affilié à une religion particulière parce que Dieu est infiniment supérieur à n’importe quelle religion, comme il est tout à fait possible d’adhérer à une communauté religieuse et de participer à ses activités tout en étant véritablement athée car la religion est d’abord un espace de socialisation. Être athée, ce n’est pas être hors de l’Église, de même qu’être croyant ce n’est pas être membre d’Église. C’est cela que j’aimerais examiner à partir de la réflexion de l’apôtre Paul et en explorant trois aspects de notre vie : l’identité personnelle, la sainteté et la prière.

  1. Identité athée vs identité christique

Notre identité est le premier aspect sur lequel nous pouvons distinguer une perspective athée de ce que j’appellerai une perspective christique, c’est-à-dire Dieu concrètement incarné dans l’histoire humaine. L’identité athée récuse que Dieu ait une part dans notre identité puisque Dieu n’entre dans aucune équation humaine. De ce fait, l’identité athée ne se fonde pas dans l’altérité, mais dans la similarité. Nous sommes la suite logique de nos parents, sans le travail besogneux du Saint Esprit qui, par exemple, avait couvert Marie (Luc 1/35), ce qui est une manière de dire que la grossesse de Marie n’était pas un auto-engendrement, que, justement, Marie n’avait pas fait un bébé toute seule et que son fils, Jésus, ne pourrait pas considérer qu’il était auto-fondé. Le Saint Esprit, c’est l’interaction entre Dieu et les hommes, c’est tout ce qui dans notre vie est une relation interpersonnelle entre des êtres différents qui s’engagent de tout leur être dans la relation qui se tisse.

C’est ce que rappelle l’apôtre Paul quand il dit que l’Esprit vient au secours de notre faiblesse (v. 26) car nous ne sommes pas suffisants, nous ne nous suffisons pas pour être bien vivants ni pour savoir ce qu’il y a de meilleur pour nous – raison pour laquelle l’apôtre Paul continue en disant que nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières : seuls, nous sommes ignares et bien inférieurs en humanité à ce que nous pouvons être lorsque nous sommes ouvert à ce que Dieu désigne.

Se priver de Dieu, être sans Dieu, être « a-thée », c’est se satisfaire de ce qu’on est. C’est considérer que l’homme est la mesure de l’homme. L’identité christique, elle, nous fait passer de métamorphose en métamorphose. Elle nous accueille avec notre constitution biologique (nous sommes un être biologique, bios), puis elle donne du mouvement à notre vie (nous sommes un être ayant une vie animée zoè), puis elle nous fait découvrir une autre dimension, celle de fils et filles de Dieu (v. 21) qui donne accès à la véritable liberté, celle d’adhérer à ce qui va donner du sens à notre vie et faire de nous une âme tendue (psuchè) vers un idéal. L’homme n’est plus la mesure de l’homme, dans cette perspective. Et voyez combien il y a de gens, hors des religions, qui ont bien conscience que notre identité est plus grande que notre corps physique.

  1. Sainteté athée vs sainteté christique

Cela nous conduit au deuxième point, celui de la sainteté, la gloire dont il est question dans ce passage biblique.

La sainteté, c’est ce que vise la vie chrétienne. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est la sainteté et la gloire. Car il y a une sainteté et une gloire qui n’ont rien de christique, mais tout d’athée. C’est la sainteté qui se mesure par la quantité et par l’extériorité. Il y a une sainteté qu’on essaie d’obtenir à grand renfort d’actions méritoires, des œuvres par lesquelles on espère bien attirer l’attention sur soi. L’attention de Dieu, peut-être, plus sûrement l’attention des autres. C’est le cas de ces hypocrites dont parle Jésus (Mt 6/5), qui prient debout dans les synagogues et aux coins des rues pour se faire voir des hommes. L’admiration des autres est la récompense qu’ils obtiennent. Mais est-ce la sainteté ? Est-ce la sainteté que Jésus a incarnée en se dépouillant de lui-même et en prenant la condition de serviteur (Ph 2/7) ?

La sainteté qui est recherchée sans en passer par Dieu ; la recherche de sainteté sans Dieu a-thée, c’est la recherche de la gloriole, le scintillement aux yeux de nos contemporains, qui n’a rien des caractéristiques divines que sont la gratuité et le caractère universel. C’est la recherche de sainteté intéressée par la gloire qu’on en tirera et dont le bénéfice sera pour notre seule pomme. Un calcul narcissique, une logique du donnant-donnant, au lieu de la logique christique qui est celle du don, de la grâce.

La gloire à venir dont parle l’apôtre Paul, ne doit rien à nos gesticulations, mais tout à notre ouverture d’esprit, à notre humilité, à notre disponibilité à ce qui vient et qui ne dépend pas de nous seulement. Le fait même que ce soit l’espérance qui nous guide vers cette gloire à venir, l’espérance dont Paul précise qu’elle ne concerne jamais des choses que nous voyons sans quoi ce n’est plus l’espérance, montre bien que la gloire à venir n’est pas celle que nous avons essayé de produire par nos propres forces et nos stratégies personnelles – sans quoi nous l’aurions sous les yeux. La gloire à venir nous est étrangère. Elle n’est pas notre production. Nous ne pouvons pas nous en vanter. Nous ne pouvons pas nous en orgueillir, car nous n’y sommes pour rien. La gloire qui vient, c’est Dieu lui-même présent dans notre vie, à l’œuvre dans notre histoire, en mesure d’opérer la rédemption de notre vie, c’est-à-dire la remise sur pied de notre existence chancelante, pas souvent très glorieuse, justement, au sens de pas très ouverte à Dieu.

La sainteté christique consiste justement à abandonner toute quête de gloire. La sainteté christique consiste à abandonner le projet de vouloir sauver sa vie car, selon la prédication de Jésus, qui voudra sauver sa vie la perdra (Mt 16/25) –mais qui la perdra à cause de Jésus la trouvera. Par conséquent, ce n’est pas à un activisme que nous conduit la vie chrétienne, ni à une éthique, encore moins une morale, mais à une attente (v. 23) persévérante (v. 25), autrement dit une attente faite d’endurance. Une attente qui repère les signes de la venue au monde du Royaume et qui encourage tout ce qui va dans le sens de ces contractions qui permettront l’accouchement du ciel nouveau et de la terre nouvelle qui nous sont promis. L’attente est active car nous sommes pressés par l’Esprit de Dieu de nous ouvrir à toutes les occasions de grâce qui se présentent pour les saisir et en faire des ouvres qui concourent au dynamisme créateur de Dieu.

Non pas agir pour être bien vu et pour obtenir la première place, mais bien voir et faire en soi la première place à Dieu pour agir selon son espérance. Voilà la distinction majeure entre la sainteté athée et la sainteté christique.

  1. Prière athée et prière christique

En dépit des quelques mots introductifs que j’ai prononcés pour montrer que la ligne de partage entre athéisme et, disons, fidéisme (ce qui relève de la foi) n’est pas aussi nette qu’on peut l’imaginer, ces deux premiers point pourraient laisser penser que la différence se joue bien entre ceux qui sont affiliés à une religion et ceux qui ne le sont pas. Pour lever ce malentendu, la question de la prière va nous permettre de bien considérer que l’athéisme est une attitude bien présente dans les Églises, par exemple, et par contrecoup, nous pourrons en déduire que le fidéisme n’est pas absent en dehors des institutions ecclésiales, y compris chez ceux qui revendiquent ostensiblement un athéisme militant et qui sont finalement athée des mêmes divinités que nous, c’est-à-dire des idoles que certains vénèrent et qui sont pour nous des épouvantails.

Pour dire cela d’une manière un peu trop tranchée pour être juste, la prière athée demande, la prière christique écoute. La prière athée demande à Dieu de faire ce que les hommes devraient faire. La prière athée demande des miracles pour la paix au Moyen Orient ce qui laisse entendre que Dieu pourrait faire et qu’il ne fait pas, qu’il est le vrai coupable des massacres, des injustices puisqu’on lui demande d’intervenir, enfin, pour que le malheur cesse. Quand on y pense, les prières de demandes qui adressent à Dieu la liste de nos envies, aussi justes soient ces envies, renvoient à Dieu la responsabilité du malheur des hommes alors que les véritables coupables, c’est nous qui ne vivons pas selon la liberté des enfants de Dieu, c’est enfants de Dieu qui développent leur existence avec un sens aigu des responsabilités car c’est la vie de leur frère, de leur sœur, et la leur, qui est en jeu à chaque instant. Au fond, la prière athée, c’est la prière qui considère que Dieu est un obstacle au bonheur et qu’il faut le convaincre de devenir bon, enfin.

Comme le disait Pierre-Joseph Proudhon, « l’homme devient athée quand il se sent meilleur que son Dieu ». Bien des prières sont athées par lesquelles nous disons à Dieu qu’il serait temps d’être juste, d’être miséricordieux, d’être généreux.

La prière christique, quant à elle, ne récuse pas la demande – dans le Jardin des Oliviers, juste avant d’être arrêté, Jésus lui-même demande à Dieu d’éloigner la coupe (Mc 14/36) c’est-à-dire l’horreur à venir. Mais la prière christique inclut aussi l’écoute et c’est d’ailleurs vers cette écoute que conduit la prière christique, Jésus continuant sa prière en disant : « Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. »

La prière athée sait ce qui est bon, ce qui est juste, ce qui doit arriver. Et on se demande bien pourquoi elle est formulée, sinon parce qu’elle se réfère à une vision superstitieuse de l’histoire qui ne peut avancer que par des coups de baguette magique. À rebours de cette conception, on pourrait penser à la réplique du regretté comédien Jean-Pierre Bacri qui, entendant l’animateur du Burger Quiz Alain Chabat annoncer « si vous aussi vous voulez gagner mille euros » l’interrompt avec un « allez travaillez ».

La prière christique, elle, ne sait pas ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire, ce qu’il faut penser. Et elle s’en remet donc à l’Esprit qui vient au secours de notre faiblesse, de notre non-savoir, notre agnosticisme, en intercédant par des soupirs, des souffles qui nous portent un peu plus loin que nos actuels centres d’intérêts, un peu plus loin que notre actuel centre de gravité, un peu plus loin que nos vaines certitudes, un peu plus loin que notre zone de confort, un peu plus loin que ce que nous connaissons par cœur. C’est ainsi que l’Esprit intercède en faveur des saints (v. 27) termine Paul. La prière christique consiste à se mettre à l’écoute de l’appel divin, elle consiste à se lancer dans la vie d’une manière humble et enthousiaste, c’est-à-dire non pas en campant sur ses positions, en étant imbu de soi-même, mais en étant attentif à l’espérance que Dieu forme et qui est toujours au-delà de ce que nous pensons et croyons.

Amen

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