Un amendement qui nous voulait du bien

L’Assemblée Nationale, notre parlement, est actuellement en train d’élaborer la loi de finances 2021. C’est l’occasion d’ajuster nos lois et de faire les évolutions nécessaires pour que notre société puisse organiser son économie de la manière la plus favorable par rapport à notre contexte. C’est un travail qui est fait chaque année. Dans le cadre de ce débat parlementaire, les députés déposent des amendements pour améliorer nos lois. C’est par exemple le cas d’un amendement porté par le député Dominique Potier au sujet des OPCVM. Rien que ce sigle nous fait comprendre que cet amendement est technique, mais j’aimerais aussi vous faire entendre qu’un amendement technique a une dimension politique et spirituelle. Je vous propose donc un écho protestant sur le cadre légal des OPCVM.

Écouter l’émission Échos protestants (RCF) – lundi 16 novembre à 11h30 sur RCF Maguelone Hérault.

Ce qui suit vient en complément à l’émission

Un peu de vocabulaire

OPCVM : organisme de placement collectif en valeurs mobilières

SICAV : Société d’investissement à capital variable

FCP : Fonds commun de placement

AMF : Autorité des marchés financiers

PIB : Produit intérieur brut

ISR : Investissement social responsable

RSE : Responsabilité sociale des entreprise

Les enjeux de l’amendement Potier

Dominique Potier, député PS de Meurthe et Moselle, membre de la commission des finances, a porté l’amendement II-3458 au sujet de l’article L214-9 du code monétaire et financier, modifié par Ordonnance n°2016-312 du 17 mars 2016 – art. 3. Cet amendement a été jugé irrecevable au titre  de l’article 40 de la Constitution en application de l’article 89 du règlement de l’Assemblée nationale [ce qui me semble un motif d’irrecevabilité inapproprié, mais là n’est pas l’enjeu de ma réflexion]. Il n’en demeure pas moins intéressant pour un sujet qui mériterait que nous nous en préoccupions tous : comment reprendre la main sur l’économie et plus particulièrement sur la finance ?

Le sens de l’amendement Potier est de restituer une dimension humaine dans les investissements financiers réalisés par les épargnants, selon le principe « 1 homme, 1 voix« .  Cet amendement est donc porteur d’une anthropologie spécifique qui rejoint ce que la théologie chrétienne essaie de promouvoir : ne pas sacrifier l’humain, ici sur l’autel de la finance. pour le dire d’une manière positive, la théologie chrétienne s’efforce d’édifier chacun dans sa pleine liberté et donc sa totale responsabilité.

Nous le constatons, cet amendement est porteur d’une vision de l’homme responsable qui s’oppose à une vision de l’homme irresponsable ou, plus exactement, privé de sa responsabilité – un homme qui n’a plus voix au chapitre. Cela nous indique que les choix politiques sont toujours porteurs d’une vision de l’homme spécifique et, par conséquent, que toute politique contient une théologie sous-jacente. Ne pas faire de théologie, c’est se priver d’une réflexion qui met à jour les implications de nos choix politiques et économiques sur l’humanité des membres de la société concernée.

Est-ce que nous pouvons encore dire « Tu as du prix à mes yeux » (Esaïe 43/4) à quelqu’un qui n’est pas autorisé à s’exprimer sur les choix stratégiques de ses investissements financiers ?

Notre rapport à l’argent

La théologie interroge notre rapport à l’argent car là où est notre trésor, là est notre cœur. Il importe donc de savoir ce qui fait le cœur de notre existence, ce qui a un caractère sacré, pour vérifier que nous ne vouons pas notre vie à des réalités secondes.

Les textes bibliques oscillent entre une condamnation sans appel de l’argent et une valorisation de l’argent. En examinant de plus près ces deux pôles, nous constatons que les rédacteurs bibliques ont eu des approches différentes pour dire de manière paradoxales des vérités communes.

La critique de l’argent est, en fait, la critique de l’argent roi. Jésus déclare qu’on ne peut pas servir Dieu et Mamon (le dieu-argent) selon Matthieu 6/24. On ne peut pas avoir deux maîtres en même temps. Et, qui plus est, que signifierait avec l’argent comme maître, sinon que nous en serions l’esclave. l’argent provoque de la rivalité et de la haine car la soif de l’argent est inextinguible. Il en résulte que ce que l’autre possède est ce que je ne possède pas, ce qui rend l’autre insupportable. Classiquement, les valeurs de type argent en liquidité ou l’or, sont ce qui est utilisé pour faire des idoles (le veau d’or en Exode 32) : on sacrifie au Dieu argent.  Mais l’or est aussi utilisé pour mettre en valeur des objets du culte, ce qui indique que l’or est mis au service d’autre chose que l’accumulation de richesses matérielles : l’or, l’argent, peuvent être au service d’une cause tout à fait étrangère à la croissance financière.

La valorisation de l’argent, telle qu’elle est apparaît notamment dans la parabole des talents en Matthieu 25/14 et versets suivants, montre que l’argent peut être un indicateur de la vitalité et de la liberté d’esprit d’une personne. Là où un homme est terrassé par la peur que suscite son maître au point qu’il enterre son talent de peur de le perdre, deux autres ont suffisamment confiance pour faire valoir leurs talents, c’est-à-dire les investir dans des projets, dans des actions, ce qui augmentera la richesse. Là encore, l’argent n’a un caractère positif que dans la mesure où il est mis au service de la vie. Ce n’est pas la recherche de l’argent qui est suggérée, mais l’utilisation intensive de l’argent : ne rien faire de ce que nous possédons, voilà la faute spirituelle, car cela signifie que nous vivons comme vivent les morts.

Pour revenir à l’amendement Potier, « 1 homme, 1 voix », c’est se donner les moyens de vérifier que rien, jamais, ne vient transformer notre épargne en machine à devenir les esclaves de l’argent et que nous faisons bien un usage de notre argent, que nous le mettons à profit pour servir notre humanité. L’amendement Potier est une manière pratique de ne pas laisser le système financier devenir une machine qui fonctionne de manière autonome des personnes, ni à leurs dépens. L’amendement Potier, c’est une manière de mettre des noms et des visages sur la finance qui est tout à fait utile pour notre monde, plutôt que de rejeter la finance ce qui serait une manière de se priver d’un moyen de faire prospérer la vie dans toutes ses dimensions.

Intervenir de manière évangélique dans notre monde

Tout le monde n’est pas député et ne peut donc pas défendre des amendements. Toutefois, nous sommes tous citoyens et nous pouvons, chacun, faire valoir notre expertise sur les aspects où nous avons des compétences en incitant notre député à ajuster la loi si c’est la solution.

Une autre manière d’intervenir dans le monde des affaires, dans notre économie, d’une manière toute évangélique, c’est de « donner une âme à notre argent« , pour reprendre la formule du Réseau CEP, un groupement de personnes qui souhaitent que les questions sociales et environnementales soient intégrées dans la gestion de l’épargne collective – dont les OPCVM sont un élément de premier ordre puisque le volume d’argent géré par les OPCVM est entre 800 et 1.000 milliards d’euros, soit un tiers du PIB de la France.

La démarche est pragmatique : on ne peut intervenir que dans le monde réel, en tenant compte des lois à l’œuvre dans le réel. La loi du marché étant bien réel, il faut composer avec elle sans quoi aucune démarche de portera le moindre fruit. N’ignorons donc pas le goût immodéré de bien des personnes pour l’argent, tenons compte de la concurrence qui n’est pas un mal de notre temps, mais une chose heureuse à savoir qu’il n’y a pas de monopole détenu par une poignée de personnes qui feraient la pluie et le beau temps. Une démarche évangélique, semblable à celle de Jésus qui se confrontait à la vie quotidienne plutôt que d’en rester aux discussions dans l’enceinte du temple, consiste donc à s’investir dans les lieux où les choses se passent, par exemple dans les OPCVM, en faisant valoir ce que l’Évangile nous inspire.

Se réunir (c’est le sens de l’épargne collective) pour pouvoir peser sur les choix stratégiques d’un gestionnaire de fonds, c’est injecter de l’Évangile dans le système. Sans mettre de côté la rentabilité, c’est tenir, aussi, à la qualité environnementale des choix stratégiques ; c’est opter pour des entreprises qui s’engage sur le plan social ; c’est choisir de soutenir ce qui est fidèle à nos convictions. S’assembler au sein d’un OPCVM c’est une manière d’intervenir efficacement en faveur d’une plus grande justice sociale.

Pour ne prendre qu’un exemple de l’intérêt d’une telle démarche, le principe « 1 homme 1 voix » permet d’accroître l’intelligence mise à contribution des projets, ce qui réduit les biais cognitifs et les freins idéologiques  : l’intelligence collective, ce que les théologiens nomment le travail de l’Esprit, permet de réduire les mauvaises analyses par l’augmentation des points de vue et elle permet aussi de réduit les appréhensions dues et des habitudes qui reproduisent les schémas d’autrefois qui ne sont plus forcément adéquats aux situations actuelles.

Que l’amendement de Dominique Potier ait été jugé irrecevable, même pour des raisons discutables, n’est pas une catastrophe. Rien n’empêche d’agir en faisant mieux que ce que le cadre légal impose. De même que nous pouvons verser à nos salariés un salaire supérieur au SMIC, rien n’empêche les gestionnaires de fonds de consulter les épargnants pour faire les choix stratégiques les plus efficaces. La démocratie n’est pas un système auquel il faut se plier parce que c’est le système auquel nous sommes contraints : la démocratie le cadre le plus efficace que nous ayons trouvé, pour le moment, afin de développer une vie harmonieuse entre les citoyens tout en permettant à chacun de réaliser ses objectifs personnels, pourvu qu’ils ne troublent pas l’ordre public. La démocratie, qui est un choix anthropologique qui  considère que nous avons tous une dignité de même valeur, une dignité irréductible qui fonde l’égalité entre tous les êtres humains, est un cadre efficace parce que cette égalité qui donne à chacun la voix au chapitre, permet d’augmenter notre connaissance du réel et, par conséquent, d’avoir de meilleurs résultats dans les entreprises que nous menons, y compris dans notre entreprise d’humanisation.

Il reste encore à convertir ceux qui sont réticents à ce cadre démocratique car ils ont fait l’expérience qu’on va plus vite en étant seul à diriger : aidons-les à découvrir qu’on va plus loin en faisant appel à l’intelligence collective, en faisant valoir les talents de chacun.

 

A titre informatif, Réseau CEP a préparé un autodiagnostic pour les entreprises, mais cela peut aussi être utilisé dans le milieu associatif, pour aider les dirigeants à mettre leur gouvernance en cohérence avec une visée éthique.  Réseau CEP.

 

 

 

 

 

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