Se sentir vivant


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Cant. des cantiques 3/1-5
1 Sur ma couche, pendant les nuits, J’ai cherché celui que mon cœur aime; Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé… 2 Je me lèverai, et je ferai le tour de la ville, Dans les rues et sur les places; Je chercherai celui que mon cœur aime… Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé. 3 Les gardes qui font la ronde dans la ville m’ont rencontrée: Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? 4 À peine les avais-je passés, Que j’ai trouvé celui que mon cœur aime; Je l’ai saisi, et je ne l’ai point lâché Jusqu’à ce que je l’aie amené dans la maison de ma mère, Dans la chambre de celle qui m’a conçue. – 5 Je vous en conjure, filles de Jérusalem, Par les gazelles et les biches des champs, Ne réveillez pas, ne réveillez pas l’amour, Avant qu’elle le veuille. –

Chers frères et sœurs, nous sommes à un moment de notre vie sociale où ce dont nous avons le plus besoin est de nous sentir vivants. Nous avons besoin de nous sentir vivants alors que la mort a non seulement rôdé, mais aussi frappé. Nous avons besoin de nous sentir vivants alors que la société s’est arrêtée de manière nette dans son élan, ce qui a provoqué quelques nécroses sociales. Nous avons besoin de nous sentir vivants alors que nous avons été comme anesthésiés par le confinement, par la menace et cette période de déconfinement faite de tant d’hésitations.

C’est donc à la vie que j’aimerais vous appeler ce matin, la vie telle qu’en parle le Cantique des cantiques qui fait retentir un appel à la vie frémissant, jaillissant, tonitruant. Le Cantique des cantiques, c’est le chant biblique de l’amour. C’est le poème du transport amoureux qui donne à la vie ses véritables lettres de noblesse. À travers ces cinq versets, j’aimerais que nous entendions cet appel à la vie qui nous arrache à l’enfouissement, à l’endormissement, à la quiétude.

J’aimerais que nous entendions ce passage du Cantique des cantiques comme l’appel au déconfinement en profondeur, un appel à sentir que nous sommes terriblement vivants et que cette vie doit être menée au grand air, non pas seulement à l’extérieur d’un bâtiment, mais au grand air des idées, des projets, des rêves, des ambitions, des allants.

  1. Sortir de l’immédiateté

La première scène se joue à domicile, dans la chambre, sur le lit, le lieu de prédilection de l’adolescent que tout effraie. C’est le lieu du refuge, de la sécurité, le havre de paix par excellence : ce lieu dont même les parents ne parviendront pas à nous déloger. C’est aussi le lieu du refuge pour l’être solitaire qui se consolera de sa solitude de manière douillette, confortable, chaleureuse. C’est surtout le lieu où ruminer. Le lieu où ressasser les échecs, les peines, des déceptions. C’est le lieu que l’on mouille de ses larmes, de sa sueur inquiète à la manière de Philippe Labro qui décrivait comment sa dépression inondait ses draps chaque nuit.

Qu’espérer trouver sur sa couche, sinon son passé, ses souvenirs qui sont toujours douloureux lorsqu’on se retrouve dans cet état de prostration. Il y a quelque chose d’un peu désespéré dans cette scène du Cantique des cantiques qui présente une personne cherchant l’être aimé dans le lieu où elle aimerait qu’il soit, nous le comprenons bien, mais qui imagine aussi que l’être aimé puisse tomber tout cuit dans le lit, comme ça. Cette vision naïve de la vie est à transposer dans tous les domaines de la vie : ce n’est pas en se terrant chez soi que les problèmes s’arrangent. Ce n’est pas en se cachant dans son lit qu’on vient à bout des difficultés. Ce n’est pas en cherchant dans nos lieux familiers qu’on trouve des solutions originales. Au pied d’un chêne, il y a peu de probabilités de trouver autre chose que des glands.

Lorsque nous regardons de plus près le texte hébreu, il est important de remarquer que ce texte ne parle pas uniquement de l’amour d’une personne pour une autre. Le texte hébreu dit, aussi littéralement que possible : « j’ai cherché ce que mon âme aime ; je l’ai cherché je ne l’ai pas trouvé. » Ce ne sont pas les sentiments qui sont convoqués dans ce texte bibliques, mais l’âme, c’est-à-dire notre être lorsqu’il est tendu vers ce qu’il y a de plus ultime, de plus sacré dans la vie. Ici, dans cette première scène, c’est l’être tendu vers sa destinée qui réduit son existence à son pré carré, à ce qu’il sait déjà, à ce qu’il connaît par cœur, à ce qui ne présente plus aucune étrangeté. C’est la version narcissique de la vie : chercher ce qu’il y a de plus sacré auprès de soi, au centre de son propre jardin c’est, nous le savons depuis Adam et Ève, une fausse bonne idée. Chercher le sens de sa vie sur sa couche, c’est s’offrir en pâture aux désillusions les plus féroces car, lorsqu’il n’y a que nous sur la couche, il n’y a rien d’autre que nous à envisager. Cela revient à confiner l’âme qui intuitionne l’infini de telle sorte qu’elle n’ait plus qu’à humer les décombres de notre vie.

  1. La socialisation

La deuxième scène se joue dans la ville, dans les rues familières, sur les places que nous aimons. Voilà une bonne manière d’augmenter les probabilités de rencontrer autre chose que nous-mêmes. Toutefois, nous le constatons à la fin de l’épisode, ce coin est sous bonne garde : pas de place à l’imprévu, pas de place à l’inconnu. Tout est en bon ordre, tout est sous contrôle, tout est bien maîtrisé. Quelle chance y a-t-il de trouver la vie dans ces conditions – la vie qui échappe toujours à nos projections, à nos définitions ? Quelle chance y a-t-il de se sentir en vie et de trouver l’éclatant objet de son désir, ce qu’aime notre âme, ce qui va nous attirer irrésistiblement vers un idéal de vie ?

Il n’est pas étonnant que, dans la version romantique du Cantique des cantiques où quelqu’un cherche l’être aimé, cette personne ne trouve pas l’être aimé ; si nous universalisons le propos, il n’est pas étonnant que cette personne ne trouve pas un sens profond à sa vie, en restant dans son milieu d’origine, en restant dans l’entre-soi qui est un déjà connu, qui est prévisible, prédictible. Cela reste une zone de confort où il n’y a que le même pour horizon. Il n’y a que soi reproduit plusieurs fois, avec quelques variations, mais bout du compte, soi, soi, et encore soi.

Les gardes qui font le tour de la ville disent bien que tout est bouclé, que les frontières sont étanches, qu’il n’y a pas d’altérité, en conséquence de quoi la situation est stérile, appelée à rester en l’état, à stagner, à moisir, à pourrir. Les gardes qui représentent la loi qui cherche à mettre une limite entre le dedans et le dehors, entre le vivable et le non-vivable, montrent les limites de la loi, justement, qui circonscrit chacun au connu, à ce qui est déjà et qui empêchent toute espérance, tout mieux être, tout supplément d’âme, toute tension vers ce qu’il y a de désirable, c’est-à-dire ce que nous n’avons pas encore, ce qui n’est pas encore, mais ce qui est contenu, pourtant, dans la promesse de l’appel à la vie à laquelle l’âme est sensible et qu’elle cherche avec avidité, avec gourmandise, pour permettre le plein accomplissement d’une vie.

  1. L’au-delà

Parce que Dieu insiste, parce que le désir insiste, et parce que l’âme est sensible à cet attrait divin, d’une vie chargée de sens, le personnage de notre histoire ne se contente pas de ce double échec qui n’en est pas un, puisque la véritable quête n’a pas encore commencé. C’est lorsque le personnage va dépasser les gardes, ce que le texte hébreu décrit avec le verbe avar, qui a donné « hébreu », ce qui signifie traverser, que son âme va trouver ce qu’elle cherche. C’est au-delà des normes, au-delà des conventions, au-delà de la loi, que se trouve la vie en plénitude. C’est cela l’au-delà dont la théologie fait la promotion. C’est aussi cet au-delà dont parle Françoise Héritier[1] dans son livre, lorsqu’elle écrit : « il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d’exister, au-delà des occupation, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements politiques et de tous ordres, et c’est uniquement de cela que j’ai voulu rendre compte. Ce de petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie. »

Certainement la première des choses à faire est de vivre cette dynamique qui consiste à franchir les frontières sociales qui nous maintiennent dans l’entre soi qui est le lieu des certitudes partagées, cette dynamique biblique qui consiste à passer outre les déterminismes biologiques qui nous cantonnent dans notre chambre, l’autre lieu des certitudes. Certainement la première des choses à faire est de faire de nos communautés des au-delà disponibles pour les personnes en recherche de ce qui fait vibrer l’âme, de ce qui excite notre intellect, de ce qui met notre corps en alerte. Mais il y a aussi cet impératif final, bizarrement rendu dans nos traductions françaises par « je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles, par les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’elle ne le souhaite », alors que la version hébraïque et la version grecque déclarent : « je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles, par les biches des champs, si vous éveillez, si vous éveillez l’amour, que ce soit jusqu’à ce qu’elle le veuille ».

Pas de pudeur de gazelle dans le Cantique des cantiques, mais un ardent appel à la résurrection du désir, du désir de vivre, du désir de se tenir hors de tout ce que nous avons connu jusque là, du désir d’exister. C’est un appel à aller au-delà du conventionnel, à dépasser le conjugal pour atteindre le nuptial, dépasser la morale pour atteindre l’éthique, dépasser la reproduction pour atteindre la création, dépasser l’institution pour atteindre le moment propice, le kairos. Ce moment qu’on a envie de saisir et de ne pas lâcher, comme c’est le cas au verset 4.

Notre vocation de lecteur de ce texte biblique, notre vocation de croyant, nous qui adhérons à cette vision de la vie, est de participer à l’organisation des situations qui favoriserons ces au-delà. L’au-delà de la consommation qui est la responsabilité. L’au-delà de la soumission qui est la liberté. L’au-delà de la fatalité qui est l’espérance. Mais de manière générale favoriser l’au-delà de la communauté pour atteindre l’universel. Ne laisser personne s’enfermer dans une identité particulière, dans une condition trop étroite, mais encourager les transgressions, favoriser la porosité entre les groupes, entre les religions, les professions, les idéologies, les politiques, les âges, les territoires, les cultures, les centres d’intérêt.

Pensons au théologien danois Kierkegaard qui, contre le philosophe Hegel, refuse de voir l’homme enfermé dans un monde clôt, dans un système, justement parce que la vie est ouverture, discontinuité, irruption, nouveauté, inattendu, grâce. Et persévérance : si nous sommes sensibles à l’appel à la vie qui retentit dans les textes bibliques, si notre âme se met à désirer ce qu’il y a d’excellent, ne gardons pas cela jalousement pour nous-mêmes ou pour nos proches ; je vous en conjure, fils et filles de Montpellier, par les gazelles, par les biches des champs, si vous éveillez, si vous éveillez l’amour, que ce soit jusqu’à ce que chacun le désire. Jusqu’à ce que chacun se sente vivant – terriblement vivant.

Amen

[1] Françoise Héritier, Le sel de la vie, Paris, Odile Jacob, 2017, p. 11.

3 commentaires

  1. Probablement l’une de vos plus intenses prédications que cet appel à la Vie. Quel apaisement, après ce confinement austère, que cette bouffée d’air chargée d’air marin, venue de Montpellier et parcourant les ondes. Merci à vous James Woody … une fois encore … de parler vrai.

  2. j’aime beaucoup moi aussi….est-ce que vous m’autorisez à la lire un dimanche à millau ? une petite faute d’orthographe à la fin, le monde clos et pas clot…..bonne journée, bel été

  3. Se sentir vivant oui ! Vous pouvez compléter cette méditation sur la joie dans Cantique des cantiques avec l’émission du 26.08 : les chemins de la philosophie: sur France culture, Olivier Abel commente Cantiques des cantiques. (La série des 4 épisodes sur le premier testament est remarquable).

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