Le revenu universel, maintenant

Le monde a été contraint à un arrêt aux stands. Avant de relancer la machine, il serait astucieux de savoir quelles pièces nous voulons changer pour que la suite de l’histoire se fasse dans de meilleures conditions. C’est le bon moment pour remettre l’humain au centre dispositif et, pour cela, de mettre en place un revenu universel de base.

  1. Un moment favorable – kairos

Le covid-19 est l’occasion d’une grande leçon que nous donnons à la nature : nous ne lâchons pas les plus faibles d’entre nous.

La France n’a pas hésité à mettre en panne son économie pour sauver les plus vulnérables de sa population. Elle n’a pas hésité à provoquer un confinement qui permette d’éviter la mort des personnes âgées, notamment, celles qui coûtent plus qu’elles ne rapportent pour le dire de manière glaçante. C’est bien normal, mais cela n’a rien de naturel. La nature, elle, digère les faibles.

Cette crise sanitaire a été l’occasion de décisions rares, par exemple la libération de 5300 détenus dans les prisons françaises conduisant à une baisse totale de 11500 personnes depuis le début du confinement  soit 16% de la population carcérale (Entretien de Nicole Belloubet avec Jean-Baptiste Jacquin, Le Monde, 29 avril 2020). Cela  montre qu’il est possible de faire quelque chose contre la surpopulation carcérale et qu’il n’est pas question d’abandonner les prisonniers car, en France, il n’est pas question d’abandonner qui que ce soit.

La crise sanitaire est révélatrice de notre fonds humaniste. Profitons de l’occasion pour en faire un moment favorable – un kairos disent les théologiens pour parler d’un instant qui donne à sa vie tout son sens – qui nous permette d’aller plus loin dans l’humanisation de notre société. Profitons des circonstances exceptionnelles pour rendre l’ordinaire de chacun autrement plus humain qu’il ne l’était jusque là. Ce sera une leçon supplémentaire que nous donnerons à la nature : il est hors de question de laisser quiconque dépérir ; il est hors de question de laisser quiconque manquer du nécessaire. C’est la raison pour laquelle le moment est venu d’instaurer en France un revenu universel de base.

  1. Théologie de la grâce

Lorsque je baptise un jeune enfant, je ne manque jamais l’occasion de dire que nous affirmons par ce geste que nous sommes sauvés par grâce seule. Cela signifie que cet enfant n’a pas à faire ses preuves pour avoir sa place dans la société humaine. Il n’a aucun titre à conquérir ; il n’a pas à prendre la place d’un autre ; il n’a pas à se justifier de quoi que ce soit car il est juste et bon qu’il soit là. J’utilise volontiers la formule biblique « tu as du prix à mes yeux » – oracle de Dieu en Ésaïe 43/4 – pour signifier que sa dignité lui est offerte depuis qu’il est venu au monde et qu’elle ne lui sera jamais retirée, quoi que puissent dire plus tard des gens mal intentionnés.

Cette grâce originelle, comment la traduire dans la vie quotidienne ? Certainement par le regard que nous portons sur celles et ceux dont nous croisons la route : nous les reconnaissons comme des êtres dotés, eux aussi, d’une dignité inépuisable. Mais aussi en étant pris aux entrailles, comme ce Samaritain qui croise un homme à moitié mort entre Jéricho et Jérusalem, et qui va lui porter secours quitte à devenir impur au regard de la loi de l’époque (Luc 10/33).

Un autre moyen de faire en sorte que cette grâce inconditionnelle s’incarne dans le quotidien est que nul ne soit dans la situation de manquer de l’essentiel pour vivre. C’est ce que permettrait un revenu universel de base. Chaque personne, dès sa naissance, recevrait chaque mois une somme lui permettant de se nourrir, quel que soit son âge, quelle que soit sa situation sociale, qu’elle ait un emploi ou non. Parce qu’on ne peut pas vivre sans se nourrir correctement, nul ne peut prétendre être respecté dans sa dignité s’il n’a pas de quoi s’alimenter. Non pas être nourri, mais se nourrir. Avoir les moyens d’exercer sa liberté sur ce point fondamental de la vie : se nourrir. Non pas donner des plateaux repas aux plus démunis, mais donner à chacun les moyens d’organiser sa vie.

L’éducation est obligatoire : son coût est assumé collectivement ; l’alimentation est indispensable : mutualisons aussi son coût et versons une allocation universelle à chacun. Libre à chacun de s’organiser ensuite comme il le souhaite et de choisir le type de vie qui lui convient.

  1. Des bénéfices sociaux

Nul doute qu’il est possible d’être encore plus ambitieux et de penser à un revenu qui couvrirait les besoins pour un hébergement de base. Toutefois, l’alimentation reste une priorité, au même titre que la santé qui, elle, est couverte par la sécurité sociale que nous avons décidé de mettre en place au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Parce que nous sommes d’accord que nous ne pouvons pas laisser mourir le moindre d’entre nous, cette mesure est cohérente avec notre identité, avec notre volonté commune. Les résistances que j’entends sont de deux ordres : cela encouragerait la paresse et cela représenterait un coût exorbitant.

Soyons clairs : des gens qui profiteront du système, il y en a déjà et il y en aura ensuite. Des personnes qui s’arrangent pour éviter de travailler, ce n’est pas nouveau et il serait injuste que les personnes qui sont dans une mauvaise passe soient pénalisées à cause d’autres personnes. Quant au coût, il est déjà assumé de bien des manières différentes, aussi bien par des aides sociales que par des associations qui prodiguent la nourriture à qui n’en a pas. En fait, le revenu universel existe déjà, mais éparpillé dans de nombreux dispositifs d’aide et d’entraide qui sont connus des professionnels du système et dont les plus fragiles, les moins débrouillards, les moins instruits ne profitent pas dans les mêmes proportions, en raison même du fait que leur situation est véritablement précaire.

Un revenu universel de base permettrait une simplification des aides qui bénéficierait en premier lieu aux pauvres, aux simples, aux humbles, à ceux qui s’excusent de demander ce à quoi ils peuvent prétendre. Et, au lieu de déresponsabiliser, cela donnerait quelques degrés de liberté supplémentaire à des personnes qui sont de plus en plus assistées. Se faire à manger, c’est travailler à la restauration de sa dignité. C’est faire reculer un peu la dépendance. C’est un pas vers l’autonomie.

Mais parlons aussi des bénéfices d’un revenu universel de base pour des personnes qui n’ont pas de soucis financiers et qui, pour autant, ne passent pas leur dimanche à se demander ce qu’ils vont bien pouvoir faire de l’argent qui leur reste à la fin du mois. Ce sont ces personnes dont la situation professionnelle est incertaine parce qu’ils sont dans un secteur en perte de vitesse ou que leur formation n’est plus adaptée aux nouveaux outils. Ce sont des personnes qui ne sont pas satisfaites de leur emploi. Et toutes ont en commun d’être pieds et mains liés à leur emploi actuel, par peur de ne plus avoir de quoi se nourrir (et de payer les autres charges de la vie quotidienne), par peur de manquer. C’est cette peur là qu’il faut terrasser pour rendre chacun à une vie plus épanouie parce que plus libre. Quand on n’est pas libre de quitter son emploi pour commencer une autre vie professionnelle, on n’est pas non plus libre de rester dans son entreprise et, par conséquent, on subit une vie qui n’en est plus tout à fait une. Le retentissement de cette situation est énorme, et il coûte bien plus cher que l’assurance chômage. La crise dite des gilets jaunes est l’un des coûts de cette situation ou des personnes se sentent dépossédées de leur vie ; elles se sentent coincées dans un scénario qui n’est plus le leur, qui n’a plus rien de commun avec leurs aspirations, avec leur vocation (quoi qu’elles n’emploieraient pas ce terme théologique).

Le revenu universel de base, c’est un peu de liberté pour être moins effrayé par l’avenir (puisqu’il y aura toujours de quoi se nourrir, comme il y a de quoi être soigné) et pour envisager plus facilement de relancer sa vie quand elle est en perte de vitesse pour des raisons professionnelles, familiales, psychologiques, politiques, sanitaires, justement parce que la peur de manquer ne déchirera pas autant le ventre.

Relancer aujourd’hui l’économie, ce n’est pas élaborer un grand plan d’ensemble pour les cinq ans à venir, c’est donner à chacun les moyens de penser sa vie et, pour cela, d’imaginer ce qu’il pourrait faire demain, l’an prochain, sans craindre de se retrouver dans une file active qui lui permettra d’obtenir un ticket de rationnement.

  1. A la finance de se mettre au service de l’intérêt général

Quel serait le coût d’un tel revenu universel de base ? Je n’en ai aucune idée. D’abord parce qu’il faudrait préciser les besoins à couvrir par un tel revenu, ensuite parce que je n’ai aucune compétence en la matière. En revanche, une chose est certaine : il y a un consensus, actuellement, pour dire : l’humain ne doit pas être soumis à la finance, mais la finance est faite pour servir l’humain. Autrement dit, confions aux économistes le soin d’organiser le financement d’une telle mesure. En montrant qu’il n’y a pas de fatalité à la surpopulation carcérale, nous avons montré qu’il n’y a pas lieu de céder à la fatalité dans les autres domaines. Nous accomplirons ainsi une réforme qui remet quelques éléments de notre organisation sociale à leur juste place. Cela fait des dizaines d’années que des personnes sérieuses s’y penchent, il doit y avoir des réponses techniques adéquates.

Voilà un autre message important que nous pourrions alors adresser autour de nous : une crise majeure n’a pas fait de nous des égoïstes qui cherchent à tirer à eux le bout de couverture qui reste. Nous sommes des êtres moraux, qui avons décidé de tisser une couverture universelle pour qu’aucun de nos frères, pour qu’aucune de nos sœurs, ne soit privé de ce qui lui permettra de vivre. Nous aurons fait mieux que cela, nous aurons donné quelques degrés de libertés supplémentaires à des personnes en difficultés ou qui pourraient l’être tout en permettant à notre nation d’accomplir sa vocation de penser l’universel en toutes circonstances.

8 commentaires

  1. Merci beaucoup, cher James Woody pour votre article de ce jour sur le Revenu Universel. Ce bel article fait du bien. Fraternellement. Alain

  2. Bien évident que ce concept de Revenu universel est à répandre dans les mentalités. Et chacun d’entre nous peut le faire. Soit. Mais après ? Les idées ne sont pas des actes. Qui pour porter ce projet jusqu’au Président ?

  3. Un grand merci à vous de « ressortir » Le REVENU UNIVERSEL si cher à Benoit HAMON depuis bien des années, et qui a tant fait sourire !! Avec mon amitié.

  4. Au début des années 70 du dernier siècle (le 20ème), un ami a écrit et défendu avec succès sa thèse de doctorat en économie sur ce sujet, dans une grande école de commerce suisse (HSG, maintenant Uni St Gall). Le sujet est encore en discussion après 40 ans. Cet ami est plus tard devenu pasteur de l’église réformée en Suisse alémanique…
    J’ai aimé votre article Monsieur Woody.

  5. « Il faut toujours viser la lune car même en cas d’échec on finit toujours par atterrir dans les étoiles » Oscar Wilde.

  6. Merci pour cet excellent article. Le revenu universel est une idée intéressante et probablement réalisable. Ce revenu pourrait, comme cela est exposé, remplacer dans notre pays les nombreuses aides publiques ou associatives pouvant être accordées aux personnes en difficulté. Encore faut-il qu’elles soient au courant et en mesure de les demander ? Je note aussi que ce dispositif est tout à fait dans la ligne de ce qu’écrivait notre Président dans son livre programme « Révolution » au chapitre 10 intitulé : « Faire plus pour ceux qui ont moins ».
    La mise en place de ce revenu présente cependant un risque abordé par Yuval Noah Harari dans son livre « Homo Deus ». Ce risque est celui de voir l’humanité divisée en deux classes sociales : l’une, minoritaire, riche, aux commandes du Monde, et détenant le pouvoir, l’autre, la plus nombreuse, bénéficiant du revenu universel à qui les dirigeants tiendront ce langage : « Vous êtes soignés, l’école est gratuite, le revenu universel vous permet de vous loger, de vous nourrir et de couvrir vos besoins essentiels. Alors, allez jouer aux boules ou à la belote mais laissez nous tranquilles pour diriger le monde ».
    Énorme retour en arrière, le poème de Juvenal datant de l’Empire romain, redeviendrait d’actualité :
    « Du pain et des jeux
    Et le peuple sera content,
    Il suivra aveuglément
    Les lois des seigneurs dieux »
    Si ce revenu était instauré, il faudra que nos églises soient très attentives et combatives pour éviter cette discrimination contraire au message évangélique.

  7. Merci pour ce commentaire qui m’a ouvert les yeux et m’a convaincue qu’il serait adéquat.Il relie la foi et les actes.

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