Pâques, un sursaut

Pâques, c’est le surgissement de la vie dans notre histoire.
Joyeuse Pâques à chacun.
Vidéo de l’ensemble du culte avec célébration de la cène

 

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Jean 2/13-22

13 La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem.
14 Il trouva établis dans le temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs.
15 Il fit un fouet de cordes et les chassa tous hors du temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa les tables
16 et dit aux vendeurs de pigeons : Ôtez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.
17 Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : Le zèle de ta maison me dévore.
18 Les Juifs prirent la parole et lui dirent : Quel miracle nous montres-tu pour agir de la sorte ?
19 Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai.
20 Les Juifs dirent : Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois jours, tu le relèveras !
21 Mais il parlait du temple de son corps.
22 Quand il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela et crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.

Chers frères et sœurs, ce dimanche de Pâques a ceci de particulier qu’il nous met dans la situation des disciples de Jésus. Cette année, Pâques ne sera pas qu’une affaire un peu intellectuelle, une sorte de réflexion métaphysique sur la vie, sur l’au-delà de la vie biologique. En ce dimanche de Pâques, nous sommes comme en ce premier jour du Seigneur : vous êtes comme les disciples, enfermés chez vous, par crainte, dans une ambiance marquée par la présence de la mort. Et le temple est vide, comme l’était le tombeau de Jésus, manière de dire que ce n’est pas là que se joue la vie, l’avenir. Aujourd’hui, ce temple ressemble étrangement à un tombeau vide. Et nous pourrions nous souvenir de ce que disait l’architecte Rudy Ricciotti lorsqu’il regardait cet intérieur du haut de la chaire : « l’architecture n’est pas fantastique ici, mais elle a une dignité. Ce qui fait sa dignité, c’est le sursaut de la délicatesse avant la disparition du signe. »

Le sursaut de la délicatesse avant la disparition du signe… Cette petite frise qui court le long des tribunes… Un sursaut avant la disparition du signe. C’est de cela que j’aimerais vous parler en ce dimanche de Pâques. Le sursaut de délicatesse avant la disparition du signe, au niveau personnel, au niveau social et au niveau de l’Eglise.

  1. Un sursaut au niveau personnel

Commençons par le plus important : vous. Chacun de vous. Chacun de nous. Chacun est éprouvé, même si sa période de confinement se passe assez bien. Comment pourrions-nous bien aller alors que tant de gens vont mal et qu’il y a déjà eu tant de morts. Le plus grand problème auquel nous sommes confrontés, n’est pas de trouver des occupations pour passer le temps. Le vrai problème, c’est cette ambiance de mort qui plane comme elle planait autour des disciples au moment de Pâques. C’est une période de deuil pour beaucoup, c’est la peur d’être touché par le virus dont nous avons tant de mal à enrayer la propagation, c’est l’incertitude pour la suite, aussi bien sur le plan de la santé que du travail, à la fois l’emploi et les ressources financières pour tenir nos engagements ou, tout simplement, pour avoir le minimum vital. Ce que nous ressentons et dont nous ne parlons pas trop autour de nous, c’est de la peur que le monde se défasse, pour reprendre l’expression d’Albert Camus. Les personnels soignants ont été qualifiés à juste titre de héros, ce qui est juste, mais c’est lourd à porter. Terriblement lourd à porter. On pense qu’il faut être fort pour tout le monde, dur à la tâche et dur à la peine ! Alors que nous sommes tous des êtres particulièrement vulnérables.

Si les chrétiens fêtent la résurrection, c’est parce qu’il y a eu le vendredi saint, la mort de Jésus sur une croix. Même Jésus est mort. Il n’a rien pu faire pour empêcher cela. En conséquence, n’espérons pas être plus malin et pouvoir échapper aux risques de cette situation sanitaire, comme il est illusoire de penser qu’il ne nous arrivera rien au prétexte que nous sommes de bons croyants. Le vendredi saint, c’est la révélation que Dieu n’est pas tout-puissant, et que nous ne le sommes pas non plus, en conséquence. Cela implique que nous soyons particulièrement responsables, pour nous-mêmes et pour les autres.

Mais c’est de sursaut que je veux vous parler ce matin. Car l’histoire ne s’arrête pas au vendredi saint, de même qu’elle ne s’arrête pas au confinement des disciples qui ont peur, eux aussi, de mourir. Pâques est un sursaut de délicatesse qui fait la dignité humaine. Alors vous me direz que Jésus ne fait pas vraiment dans la délicatesse quand il va au temple pour faire le ménage. Mais ce n’est pas là qu’est le sursaut. Le fouet, les tables renversées disent la violence de la mort. Le sursaut vient du fait que le temple est désormais libéré de toutes ces personnes qui servaient d’intermédiaires entre les individus et Dieu. Fini le temps de la vie spirituelle par procuration. Désormais, chacun se tiendra face à Dieu, directement. Concrètement, en considérant que Dieu désigne ce qui a un caractère absolument vivable, cela signifie que nul ne doit s’en remettre à un autre pour décider de ce qui est le plus important dans sa vie. Quel que soit votre âge, quel que soit votre statut social, quelles que soient vos origines, quelle que soit votre activité… Vous êtes dignes de vous tenir directement face à Dieu, c’est-à-dire de donner à votre vie l’orientation qui a le plus de sens pour vous. Vous êtes des êtres libres de faire vos choix, ce qui implique de s’éduquer, de s’informer, de faire preuve d’esprit critique. Je le répète, cela vaut quel que soit votre âge et quelle que soit votre condition. Il est là le sursaut de dignité offert par Jésus qui est tout entier traversé par le processus de mort et de résurrection. Même si nous sommes terrassés, même les circonstances ont tendance à nous réduire à pas grand-chose, la puissance de résurrection nous est permise pour relever notre dignité.

  1. Un sursaut au niveau social

C’est le changement de perspective au niveau personnel qui pourra permettre un sursaut au niveau social, au niveau de nos sociétés humaines. L’heure semble venue de proposer les nouveaux modèles économiques, les nouveaux modèles de vie que nous devons mettre en place, sous-entendu pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Certainement il est précieux de saisir les temps de crise pour changer ce qui ne fonctionnait pas. Mais est-ce que Jésus a remplacé les marchands du temple par d’autres marchands du temple ? Est-ce que Jésus a remplacé les biens de consommation religieuse par d’autres biens de consommation religieuse ? Non. Car cela aurait consisté à remplacer des idoles par d’autres idoles.

Et c’est là un risque que nous courrons : les modèles économiques peuvent être les idoles modernes qui font passer les personnes, les relations entre les êtres vivants, après les organisations, les structures. Dans la mesure où nous devrions nous conformer à un modèle donné, nous perdrions notre dignité d’Hommes libres. N’oublions pas que c’est le shabbat, la loi, les structures, les organisations, qui sont faites pour l’Homme, et non l’inverse. Alors, d’un point de vue théologique, remplacer un modèle basé sur la croissance par un modèle basé sur la décroissance, cela reste toujours une idolâtrie. Remplacer un modèle néolibéral par un modèle socialiste, cela reste toujours une idolâtrie.

Faire du processus mort et résurrection un modèle reviendrait à la même faute. Cela consisterait à imposer de casser des secteurs d’activités, de mettre fin autoritairement à des entreprises, de fermer des sites de travail, au prétexte qu’il faut qu’il y ait de la mort pour qu’il y ait résurrection. En constatant qu’il y a toujours de la destruction dans le monde du travail, qu’il y a des métiers qui meurent, il n’est pas question d’imposer aveuglément des cessations de travail pour créer de l’emploi. Il s’agit de prendre conscience que la mort d’un secteur d’activité, maréchal ferrant par exemple, est suivie de la création de métiers qui n’existaient pas jusque-là. Et cela ne se détermine pas à l’avance. Cela ne se planifie pas. Ce sont les individus ressuscités dans leur dignité qui sont capables d’inventer des nouveaux métiers, de nouvelles organisations, de nouvelles façons de vivre, ce qui permettra des sursauts au niveau d’une société.

Quant à ceux qui rêvent d’un État providence, qu’ils fassent un peu de théologie, puisque la providence est un thème théologique. S’ils pensent qu’un État providence est capable d’éviter les pandémies, les catastrophes climatiques, le chômage de masse, les dépressions collectives, le malheur et le deuil, qu’ils relisent les récits de la Passion : même Dieu ne peut empêcher tout cela. Se fier à un État providence serait aussi une idolâtrie et un retour à cette situation où le temple n’est plus le lieu de Dieu, le lieu de la confrontation avec ce qui a un caractère ultime dans l’existence, mais un lieu de commerce où l’on négocie les modèles économiques, les modèles politiques, et les places qui vont avec. Le sursaut de dignité d’une société, la Pâques d’une société, passe par la mort des modèles en tous genres et par la résurrection des initiatives individuelles qui engendreront des communions, des coopérations.

  1. Un sursaut au niveau de l’Église

J’en viens au troisième sursaut : le sursaut de l’Église. Qu’il n’y ait pas de malentendu, comme il peut y en avoir dans le récit de l’Évangile, quand je pense Église, je ne pense pas Église particulière. Et encore moins bâtiment. J’espère bien que ce temple qui a 150 ans cette année sera encore en fonction dans 150 ans, mais pas en raison d’un fétichisme qui n’a rien à faire en christianisme. Cet espoir tient au fait qu’un temple est là pour offrir au monde le signe qu’il est toujours possible de transcender notre condition. Nous avons besoin de temples qui affirment publiquement cela, mais ce n’est pas notre sujet. L’Église, dans la perspective chrétienne, c’est le corps du Christ Jésus, le corps spirituel, ce corps qui surgit à partir de Pâques.

L’Église c’est nous tous, par delà nos particularismes religieux, par delà les singularités de nos rites et de nos expressions religieuses. L’Église, c’est nous tous par delà la question de l’appartenance à une institution. C’est nous tous directement face à Dieu, directement face à ce qui a un caractère sacré dans notre histoire – voyez comme cela transcende largement nos affiliations particulières. Nous sommes l’Église invisible, l’Église spirituelle, l’Église véritable, alors même que nous ne sommes pas rassemblés dans le même lieu, dans cet édifice qui n’a rien de particulièrement sacré, mais qui nous rappelle ce sursaut de la délicatesse avant la disparition du signe.

Dans quelques instants nous serons invités à célébrer la cène d’une manière inhabituelle. Alors que nous subissons tous ce qui nous arrive depuis quelques semaines, nous aurons, là, l’occasion d’une communion qui, elle, ne sera pas subie, car nous choisissons librement de nous associer à cette célébration. Mais cette communion est bien insuffisante. Comme notre façon de faire Église à travers ces moyens de communications utiles mais très insuffisants. Car l’Église, la véritable Église, le corps abattu et ressuscité de Jésus, ce n’est pas cette gentille communion avec le pasteur que j’aime bien, et la consultation des sites qui me plaisent parce qu’ils distribuent des contenus avec lesquels je suis d’accord.

La véritable Église c’est le corps du Christ Jésus, c’est la famille spirituelle de Dieu, pour le dire clairement, ce sont les personnes que je n’ai pas choisies, mais qui sont là, habituellement, et qui injectent de l’altérité dans ma vie. L’Église, c’est tout à la fois les gens qui me plaisent et ceux que je ne supporte pas. L’Église, c’est l’humanité véritable et non la communauté fantasmée des gens avec lesquels je me sens bien, avec lesquels tout est positif, ou alors ces gentilles institutions qui font du divertissement en utilisant des mots du vocabulaire théologique.

En faisant le ménage dans le temple de Jérusalem, Jésus chasse tous les intermédiaires, tous les médias, qui font écran à la proximité des uns avec les autres, et notamment de ceux que je n’ai pas choisis, mais qui sont pourtant bel et bien mes frères et mes sœurs, mon prochain. Ainsi, le sursaut au niveau de l’Église nous permet de prendre conscience que, non seulement ce confinement sanitaire prendra fin, c’est une évidence, mais que nous aurons l’occasion d’éprouver notre humanité d’une manière encore plus intense que jamais. Notre Pâques consiste à laisser quelques modèles de vie et d’organisation mourir de leur propre mort pour que ressuscite cette responsabilité individuelle qui permettra de relever tous ceux que cette situation a détruits.

Avec d’autres, nous répondrons comme répondent les personnages bibliques auxquels l’appel de la vie est lancé. Nous dirons nous aussi : « me voici ! »

Amen

6 commentaires

  1. Merci pour ce beau culte de Pâques et pour cette communion possible pendant cette heure passée avec toutes les personnes devant leur écran qui se sont unies à la Parole, au corps et au sang de Jésus le Christ Ressuscité.
    Mais une question : à propos de la « disparition du signe ». Je comprends « le sursaut de délicatesse » mais je n’ai pas bien compris la suite. De quel signe parlez vous ? La mort ? L’idole ? L’intermédiaire clérical ? Les fausses images de Dieu ? Le non-sens ? Eclairez-moi, avant que je ne transmette ce lien à mes amis… Bien fraternellement

    1. Chère Joëlle, le signe est un signifiant et un signifiant, une forme et un contenu. La disparition du signe, ce serait donc la disparition du sens, du sens de notre vie personnelle, de notre vie collective, par exemple. La disparition du signe, ce serait donc une vie qui devient absurde, sans espérance, une sorte de chaos. Le sursaut de délicatesse avant la disparition du signe, c’est une parole qui vient ressusciter cette possibilité du sens, qui vient ressusciter la dignité personnelle, la vitalité d’une communauté, la responsabilité de l’Eglise d’annoncer qu’il est toujours possible de créer au sein du tohu-bohu.
      Cordialement.

  2. merci beaucoup de m’avoir fait parvenir cette célébration de Pâques dans le Temple vide de sa communauté mais tellement plein de ce qui fait son union et sa communion.
    Je suppose que ce message est parvenu à mon adresse mail par l’intermédiaire du réseau internet lié à l’institut de théologie protestant où( dans ces temps qui me semblent maintenant bien anciens mais c’était il y a seulement deux mois…) je suivais les cours de Céline Rohmer en auditeur libre.
    Retraitée de l’éducation nationale et nouvellement arrivée à Montpellier je retrouve dans l’institut protestant une nourriture spirituelle et exégétique dont une formation à la faculté catholique de Lille m’avait déjà donné le goût…
    Mais le contenu de votre commentaire du texte évangélique des marchands chassés du temple m’a beaucoup parlé et suscite mille questions en ce temps de confinement que je passe loin de Montpellier…
    Merci encore pour ce lien qui nous réunit , merci tout particulièrement pour ce que vous dites de l’Eglise corps du Christ.
    Cordialement
    Annie Foulon..

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