Pique-nique au jardin d’Eden : bienvenue dans le réel


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Genèse 2/9, 25-3/13
9 L’Éternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
25 L’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point honte.
3:1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l’Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme: Dieu a-t-il réellement dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? 2 La femme répondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. 3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez. 4 Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point; 5 mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. 6 La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence; elle prit de son fruit, et en mangea; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea. 7 Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures. 8 Alors ils entendirent la voix de l’Éternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l’homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l’Éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin. 9 Mais l’Éternel Dieu appela l’homme, et lui dit: Où es-tu ? 10 Il répondit: J’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché. 11 Et l’Éternel Dieu dit: Qui t’a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? 12 L’homme répondit: La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé. 13 Et l’Éternel Dieu dit à la femme: Pourquoi as-tu fait cela? La femme répondit: Le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé.

Chers frères et sœurs, il est possible de faire des dizaines de prédications sur ce passage biblique si connu – que l’on soit croyant ou non – et vous en avez probablement entendu suffisamment pour être en mesure de prêcher vous-même à partir de ce texte. J’aimerais, toutefois, essayer de faire entendre quelques aspects qui n’épuiseront pas les sens de ce texte, mais qui nous permettront d’entendre ce que ce texte peut dire de Dieu, de nous, à partir de la question de la nudité. J’aimerais que nous portions notre attention sur le fait qu’au départ la nudité ne fait pas honte, puis qu’elle fait honte, pour essayer de comprendre ce que ce texte théologique nous révèle.

  1. Une nudité qui ne pose pas de problème

Il y a dans ce récit un moment de l’histoire qui constitue une situation que nous avons tous jugée idéale au moins à un moment de notre vie : lorsque le personnage Adam se trouve nu et qu’il n’en a pas honte. S’il existe quelques communautés d’hommes et de femmes qui ont décidé de vivre nus en toute tranquillité, il convient de remarquer que cela est une attitude très minoritaire et, surtout, que cela n’a rien d’une manière de vivre qui serait possible de manière universelle. Ne serait-ce que le climat rend impossible en tous lieux un idéal de naturisme. D’un point de vue pragmatique, venir nu au culte, ce serait courir le risque de se retrouver avec quelques échardes dans la chair.

Ce dont il est question dans ce texte biblique n’est donc pas la nudité physique, qui n’a pas de caractère universel. La nudité qui ne fait pas honte à ce moment de l’histoire est la nudité existentielle, c’est-à-dire le fait d’être soi, de manière authentique, sans masque, sans maquillage, sans avoir besoin de dissimuler quoi que ce soit. Ce moment de l’histoire peut nous faire rêver quand nous en avons assez de jouer notre rôle social, lorsque nous en avons assez de jouer au garçon de café, pour reprendre l’image de Jean-Paul Sartre. Ce moment de l’histoire peut nous faire rêver lorsque nous en avons assez d’être gentil, d’être bon, sous-entendu trop bon, avec un b comme dans cacahuète. Ce moment de l’histoire peut faire rêver lorsque nous n’en pouvons plus de ce monde et de sa complexité, des problèmes à gérer, des conflits humains à pacifier. Ce moment de l’histoire peut nous faire rêver lorsque nous sommes en quête d’une vie simple et que nous nous verrions bien comme ceux qui s’appellent les adamites et qui vivent dans le dénuement le plus grand, et la simplicité de vie la plus extrême en s’abstenant de se couper les cheveux et la barbe, en s’abstenant de se laver.

Faut-il regretter ce moment de l’histoire qui constitue pour beaucoup de chrétiens l’âge d’or qui devrait attirer notre attention, que nous devrions tous espérer du plus fort de notre foi ? Ce moment de l’histoire ne me fait pas du tout rêver. Á titre personnel je n’ai aucune envie de la vie incarnée par le personnage du film de Sean Penn Into the wild qui, voulant retourner à la nature, retourne à l’état sauvage, et meurt du manque de soin.

  1. Une nudité qui fait honte

J’aimerais que nous nous penchions sur ce moment de l’histoire où la nudité fait honte. Ce revirement de l’histoire est souvent compris comme la chute de l’histoire au sens où cela montre que la vie est désormais sur le déclin. Soyons bien clairs : le texte biblique n’utilise pas le mot « chute », il n’utilise pas non plus le mot « péché » et, pour ce qui me concerne, je ne parlerais certainement pas de ce texte en termes de récit de la chute de l’homme ou du péché originel, si ce n’est par la force des baïonnettes. Mais l’opinion populaire considère que ce récit, à ce moment de l’histoire, décrit la chute de l’homme suite à ce qu’elle pense être un péché originel dont la honte est le signe, le symptôme.

Mais la honte doit-elle être considérée de manière absolument négative ? Faut-il se scandaliser d’avoir honte quand on a commis des actes qu’on regrette, quand on a proféré des paroles malheureuses ? La honte ne pourrait-elle pas avoir cette vertu de nous faire prendre conscience d’une situation qui n’est pas satisfaisante et qui mérite notre intervention pour apporter les changements nécessaires ? Faut-il avoir honte de la honte ?

Je constate que, bien au contraire, la honte est salutaire car elle participe de notre prise de conscience quand une situation exige que nous réagissions pour ne pas laisser les choses en l’état. La honte est ce qui participe à la prise de conscience qu’il y a des conversions à opérer dans notre vie. Qu’en est-il d’Adam et de la femme ?

Ils ont donc mangé de l’arbre de la connaissance du tov et du ra’ah, traditionnellement traduire par « du bien et du mal », ce qui conduit à une compréhension morale. Mais ces termes seraient plus compréhensibles s’ils étaient traduits par « vivable » d’une part, et « malheureux » d’autre part. C’est une fois que ce fruit a été symboliquement consommé qu’ils se rendent compte qu’ils sont nus. Jusque là, ils ne s’en étaient pas rendu compte. C’est comme s’ils ne se voyaient pas, comme s’ils étaient transparents. Jusqu’à ce moment de l’histoire, Adam et la femme étaient comme invisibles. Et ils se rendent compte que ce n’est pas le cas. Ils ont honte et ils se cachent. Ils se cachent derrière des feuilles de figuier et ils se cachent au milieu d’un arbre du jardin (et non au milieu des arbres puisque le terme est au singulier, aussi bien dans l’hébreu que dans la traduction grecque). Soit dit en passant, il y a un arbre qui est au milieu du jardin et qui est à la fois l’arbre de vie (2/9) et l’arbre dont il ne faut pas manger selon ce que dit la femme (3/3). Soit ces deux arbres ne font qu’un, soit la femme a confondu et, dans ce cas, l’arbre dont elle va manger, est l’arbre de vie. Dans les deux cas, où est le problème ? il n’y a donc aucune transgression de l’ordre divin puisque c’est forcément l’arbre de vie qui a été consommé.

Qu’on arrête donc avec cette histoire de péché originel et de péché qui se transmettrait charnellement de génération en génération. Même si nous faisons une lecture littérale du texte, il n’y a aucune substance qui pose problème.

Mais revenons à la honte des personnages. Que traduit-elle, indépendamment du fait d’avoir croqué un fruit ?

  1. La construction de l’être moral

J’en viens à ma troisième partie : après avoir constaté qu’il y a un temps où la nudité ne fait pas honte puis qu’il y a un temps où la nudité fait honte, j’aimerais vous montrer que le temps est venu pour l’être humain de devenir un être moral. J’aimerais tout d’abord reprendre la réflexion du philosophe Platon. Dans son deuxième livre sur La République, Platon raconte une histoire où il est question d’un anneau décoré d’un chaton, qui a la propriété de rendre invisible celui qui le porte s’il positionne le chaton vers l’intérieur. C’est l’anneau de Gygès. Ce qui pourrait faire rêver est pourtant le pire cauchemar qui soit car le fait de devenir invisible permet de commettre délits et crimes sans être jamais inquiété. L’invisibilité permet d’être un être amoral sans avoir à en subir les conséquences. L’invisibilité conduit à devenir irresponsable. N’importe qui utilisant les réseaux sociaux sait à quel point les personnes qui communiquent cachés derrière un pseudonyme peuvent tenir des propos qu’ils ne tiendraient pas en utilisant leur véritable identité. A contrario, nous savons à quel point la présence d’une personne, d’une caméra, d’un micro, influence le comportement et conduit chacun à faire attention à ce qu’il dit, à ce qu’il fait, autrement dit à penser sa vie.

Quand Adam et la femme ont-ils honte ? Quand ils ouvrent les yeux, et qu’ils voient la présence de l’autre. Cela se fait après que la femme a tendu un fruit à Adam. Cela se fait après qu’ils ont eu une relation interpersonnelle. C’est la présence de l’autre qui est ici décisive. C’est la présence de l’autre qui me ramène à moi-même, à ce que je suis, à ce que je donne à voir.

Il n’y a pas de jugement réciproque qui soit explicité chez Adam ou chez la femme. La seule présence de l’autre suffit à ouvrir les yeux, enfin, et à porter son regard sur soi et à s’interroger sur soi-même, sur notre relation à l’autre. Cela fait de nous un être moral. Ouvrir les yeux, vraiment, et prendre en compte notre environnement, cela fait de nous un être moral. Nous devenons un être moral à partir du moment où nous prenons conscience que nous ne sommes pas invisibles et que nous aurons à répondre à la question qui se pose désormais : « Adam, où es-tu » ? « Où es-tu ? Toi, là. Et toi ? » Ou, pour le dire avec Martin Buber, dans Le chemin de l’homme, « où en es-tu ?  (…) « Comme toute parole de la Bible, la question est adressée à tout homme. En tout temps, Dieu interpelle chaque homme : Où es-tu dans ton monde ? »

Cette question n’est pas un jugement, encore moins une condamnation. Elle est le moyen par lequel  nous accédons à un degré supérieur d’humanité en intégrant notre environnement dans notre équation personnelle en n’étant plus le point de référence. Il ne s’agit plus de se considérer comme le centre à partir duquel le reste de l’univers est pensé. Le centre du jardin, je peux toujours y trouver ce qui me nourrira, je peux même essayer de m’y réfugier, ce n’est pas moi ? Je ne suis pas le centre du jardin, je ne suis pas le centre du monde. Je ne suis pas le point de référence.

Nous devenons un être moral à partir de ce moment où nous nous savons intégrés dans un vaste réseau de relations dont nous ne sommes pas le centre de gravité. La question de Dieu n’est pas à prendre sous l’angle du reproche parce que Dieu serait l’instance qui nous reprocherait de ne pas être là où nous devons être. Dieu désigne ce qui nous rend capables de nous décentrer de nous-mêmes pour ouvrir les yeux sur notre situation réelle au sein du monde réel, de manière à ce que nous puissions ensuite nous orienter et trouver notre chemin pour la suite des événements.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre les paroles de Dieu au moment où Adam et la femme vont entrer dans l’histoire de leur propre vie : ce sont des paroles qui disent ce qui se passe dans la vie réelle, dans la vie avec les autres pour préparer chacun à ce qui peut arriver. Ainsi, il faut dire aux plus jeunes d’entre nous que la vie est difficile, sinon ils seront désemparés quand ils rencontreront des difficultés. Et cela doit s’accompagner de la promesse d’un bonheur possible, d’une grâce toujours permise, mais pas sans quelques difficultés à affronter, pas sans quelques responsabilités à assumer, pas sans quelques moments où nous aurons honte, effectivement, parce que nous ne sommes pas toujours à la hauteur des enjeux – et cela n’est pas reproché par Dieu dans le texte, cela est assumé pour que la femme et Adam puissent faire quelque chose de leur situation et reprendre la route de leur existence. Dieu ne punit pas. Dieu prépare l’humain à emprunter son propre chemin en toute connaissance de cause. Dieu sort Adam et la femme des ténèbres de l’inconnaissance pour qu’ils puissent trouver un peu de lumière et ne pas buter contre tous les obstacles de la vie. Dieu est ce qui nous incite à ouvrir les yeux pour ne pas vivre dans un monde rêvé, mais pour vivre nos rêves dans le monde réel.

Amen

2 commentaires

  1. Bref Dieu s’est débarrassé de ses Tanguy. 😋
    Mais il n’est pas content ce Dieu-là. Il maudit dans la suite le serpent, maudit la femme qui enfantera dans la douleur et maudit l’homme qui devra travailler (du latin trepalium qui est un instrument de torture) et de peur qu’il devienne éternel, lui interdit l’entrée de l’Eden. Mais je ne vois pas non plus dans ce récit une faute qui demande le sacrifice (répété) d’un homme par la torture sur un autre instrument dont les romains rafollaient : la croix.

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