Tjeerd Alkema quitte les Pays-Bas à l’âge de 20 ans et s’installe à Montpellier où il y étudie la théologie protestante. Sept ans plus tard on le retrouve aux côtés d’Azémard, de Bioulès et Clément pour organiser la manifestation « 100 artistes dans la ville ». C’est le temps d’ABC Productions. Quarante-neuf ans plus tard, Le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) d’Occitanie Montpellier, dirigé par Emmanuel Latreille, lui rend hommage par une exposition visible au FRAC.
C’est l’occasion de se laisser interroger sur les notions d’espace et de perspective à travers des films Super 8, des dessins aux crayons, des sculptures en bois, en plâtre, en tiges métalliques, des travaux préparatoires à la craie.
l’infinité des points de vue
Pour Emmanuel Latreille, directeur du FRAC et commissaire de l’exposition, « dans le processus créateur comme dans le processus interprétatif des œuvres d’Alkema, le sujet se trouve confronté à un objet qui offre autant l’illusion d’une représentation spatiale unique que le sentiment d’une infinité de points de vue changeants, dans un éclatement vertigineux de la forme. »
Le travail d’Alkema trouble la vue. Il trouble l’esprit. Il trouble comme pouvaient troubler autrefois les paraboles de Jésus, destinées à bouger les représentations du monde, bouger l’idée qu’on se fait de la place de chacun dans la société. À la manière des paraboles de Jésus qui ont un caractère familier qui nous permet de nous identifier à ce qui est raconté ou, du moins, en pénétrer volontiers dans l’univers qu’il déploie, nous nous retrouvons soudainement pris dans une perspective qu’on ne soupçonnait pas, voire qu’on refusait.
Changer la profondeur de son regard
Alkema, à sa manière, offre des paraboles en trois dimensions qui nous permettent de découvrir des formes familières et rassurantes dans des volumes que l’on qualifierait volontiers d’extravagants, d’hérétiques, hors normes. Le cube parfait se donne à voir dans une figure hirsute dont on ne voudrait pas chez soi. S’agit-il d’illusions d’optiques ? Pour une part c’est le cas. Il sera d’ailleurs étonnant de constater que ce que l’œil ne parvient pas à voir immédiatement, l’appareil photo d’un téléphone mobile le rendra évident. Le média technologique accomplit ici sa fonction : mettre l’humain sur le chemin d’un plus grand degré de vérité, après quoi il s’efface parce que l’œil et l’esprit se savent autorisés à chercher et trouver un nouveau sens à une situation qui semblait n’en avoir aucune.
Alkema est théologien, prédicateur – titre qu’il refuserait peut-être – qui bouscule les certitudes et donne à penser, à envisager et se projeter d’une nouvelle manière dans notre quotidien. N’y aurait-il pas lieu d’ouvrir un nouveau regard sur les situations que nous rencontrons, sur les personnes que nous croisons et qui peuvent être bien différentes que ce que la première impression nous fait sentir ?
Anamorphoses
« Un cube de Necker simple de 2012 apparaîtra aisément avec sa forme noire dessinée sur fond blanc (la distance de perception facilite la construction visuelle. Par contre, un Cube de Necker double (d’une grande complexité, sur le mur central de droite) exigera une attention et une patience plus importantes, tout comme le Cube de Necker orange positionné à proximité du Disque blanc », nous explique Emmanuel Latreille.
Le principe de l’anamorphose n’est pas absent du travail de cet artiste. C’est d’ailleurs un terme qu’il emploie au sujet de cubes qu’il réalise et qui nous permettent de prendre conscience qu’il est indispensable de varier les points de vue pour tendre vers une connaissance véritable du réel. Voir cette exposition, c’est éprouver le vertige du lecteur des évangiles qui découvre du relief dans la lecture des quatre évangiles et non d’un seul évangile qui aurait le statut de récit fidèle à la lettre de la vie et de l’enseignement de Jésus. De même que nous pourrions remplir le monde ne pourrait contenir les livres qu’il faudrait écrire au sujet de Jésus (Jean 21/25), le monde ne pourrait contenir ce que nous avons à dire de la vie, de notre expérience de la vie qui foisonne de variations, de déplacements, de renouvellement, de nouveauté. Selon le mot de Gustave Flaubert qui est mis en exergue pour cette exposition, « ANTIQUITÉS [Les] Sont toujours de fabrication moderne ».
