« N’allez pas là où le chemin peut mener. Allez où il n’y a pas de chemin »


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Proverbes 22/6
Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre; Et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas.

Chers frères et sœurs, le livre des Proverbes est une collection de phrases qui constituent une sorte de sagesse populaire – des phrases de bon sens. Le verset suivant, par exemple, indique que l’emprunteur est l’esclave de celui qui lui a prêté de l’argent, ce qui est un avertissement utile pour ceux qui veulent contracter un crédit. Mises bout à bout, toutes ces phrases de sagesse donnent une atmosphère de morale biblique à ce livre des Proverbes. Certainement, cela a-t-il contribué à faire de la foi une sagesse, une morale, un ensemble de préceptes à suivre à la lettre pour atteindre la félicité.

Toutefois, lues dans le détail, et en revenant à la langue hébraïque dans laquelle ces phrases sont écrites, nous sommes à même de découvrir des aspects bien plus subversifs qu’il n’y paraît. La méditation méticuleuse de ces phrases donne plus à penser que ne le ferait un ordre à appliquer de manière automatique. Ne serait-ce que le retour à la langue d’origine est une invitation à penser plus loin que ne nous y invitent les traductions auxquelles nous sommes habitués. En effet, si nous sommes habitués à : « instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre ; Et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas. » Une traduction au plus près de l’hébreu donne plutôt : « Entraîne le jeune homme sur la bouche de son chemin et quand il vieillira, il ne s’en détournera pas. »

  1. Entraîner

Plutôt que l’instruction, l’entraînement. Nous avons trop souvent la conviction que notre responsabilité d’adultes chrétiens est d’inculquer des valeurs chrétiennes dans nos enfants. Je pense qu’il en faudrait peu pour que nous disions qu’il faut inoculer le christianisme à nos enfants, dans l’idée qu’ils seront protégés de tous les dangers mortels et qu’ils ne se détourneront jamais de la voie chrétienne.

Instruire, inculquer, sont différentes manières de dire qu’il faut se conformer à un modèle de croyance, à un modèle de vie, construit sur des valeurs éternelles qui ne peuvent pas être remises en cause parce qu’elles ont un caractère sacré. Dans cet ordre d’idée, nous pourrions évoquer une valeur qui semble aussi évidente qu’indiscutable : l’amour du prochain. Là, nous sommes au cœur du christianisme. Mais quel est notre prochain ? Et qu’est-ce qu’aimer ? Voilà le véritable enjeu de l’éducation chrétienne : donner du sens à ce qu’il y a autour de nous et à ce que nous faisons. Être capables d’avoir une compréhension de celui qui s’approche de nous fidèle à l’enseignement de Jésus et être capables d’aimer non pas à la mesure de nos envies, mais à la mesure de ce que Jésus a révélé.

Pour cela, nous n’avons pas besoin de grands discours, mais de pratiques, d’entraînement. Bien entendu, il faut mettre des mots sur nos expériences ; il faut expliquer ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et pourquoi nous ne faisons pas certaines choses. Nous pouvons expliquer pourquoi nous ne nous signons pas en entrant dans un temple. Nous pouvons expliquer pourquoi nous considérons que celui qui n’est pas français ou chrétien est tout autant notre prochain qu’un membre de notre propre famille, mais cela ne peut se dispenser d’être vécu, concrètement, en chair et en os. La foi chrétienne est une affaire d’incarnation. La parole se fait chair.

Entraîner, c’est faire et faire encore le même geste, jusqu’à atteindre la perfection. C’est aller à la rencontre et encore à la rencontre de l’autre pour atteindre une perfection dans l’ordre de la relation humaine qui nous rendra, justement, plus humain. C’est fréquenter les textes bibliques avec régularité pour forger une sensibilité au Règne de Dieu qui est si souvent caché derrières les vicissitudes de la vie quotidienne.

L’éducation chrétienne n’est pas une manière d’endoctriner, mais d’entraîner à la vie selon ce que Dieu nous donne d’espérer, sachant que notre langue française autorise cette belle ambiguïté par laquelle entraîner consiste à engager quelqu’un sur un chemin.

  1. La bouche du chemin

Le chemin il en est justement question dans ce verset. Dans la Bible hébraïque, le chemin est régulièrement une métaphore de la loi de Dieu. La loi de Dieu est comprise comme un chemin vers le salut. Je dis bien la loi de Dieu et non la loi des hommes qui, elle, est destinée à organiser la vie commune. La loi de Dieu, qui ne s’identifie jamais exactement avec les paroles humaines, est ce qui nous attire vers un avenir chargé de joie, de satisfactions profondes. La loi de Dieu est de l’ordre de la promesse, elle se conjugue à l’inaccompli, au présent et au futur de l’indicatif. Le décalogue s’écrit en termes de « tu ne tueras pas »… je te le promets, tu cesseras d’être l’esclave de tes pulsions de mort.

Dans ce verset du livre des Proverbes, il convient d’entraîner les jeunes gens sur la bouche du chemin, autrement dit de les entraîner jusqu’à l’orée, de les conduire sur le seuil de la loi divine et de les exercer sur ce commencement de la loi. Autrement dit, il s’agit d’initier et de laisser faire.

Il n’est pas question de prendre par la main et de faire tout le chemin avec eux. Il n’est pas question de les porter d’un point A à un point B par tous les moyens. Il ne s’agit pas de les faire atteindre un niveau précis. La formation chrétienne n’est pas « diplômante ». Il n’y a pas une liste de critères qu’il faudrait avoir cochés à 100%, voire 90%, voire 75% pour être déclarés chrétiens. Ce qui compte, c’est de se mettre en route, c’est de s’engager sur la bouche du chemin. Adhérer à la foi chrétienne ne se mesure pas à l’intensité de l’adhésion comme on pourrait calculer le coefficient d’adhésion d’un objet collé sur une paroi – cela serait bon pour savoir si quelqu’un est une grenouille de bénitier, pas s’il est croyant. Être croyant, c’est passer la bouche du chemin, être animé par cette curiosité qui nous attire vers Dieu, c’est être chercheur de Dieu, de vérité.

La vérité de la condition chrétienne, pour reprendre l’image du naturaliste Théodore Monod, c’est d’être apprenti croyant. Nous n’en finissons jamais d’avancer sur le chemin de la loi de Dieu ; nous n’en finissons jamais d’avancer sur le chemin de la foi ; nous n’en finissons jamais de préciser notre image, nous n’en finissons jamais de réformer notre théologie, notre compréhension de Dieu ; nous n’en finissons jamais de découvrir ce qu’est une vie bonne…

  1. Son chemin

S’entraîner sur la bouche du chemin et, plus précisément comme nous y rendent attentifs toutes les traductions quoi que nous n’y fassions pas toujours très attention, sur la bouche de son chemin. Ce verset ne parle pas d’un chemin qui vaudrait pour tous. À la manière du Psaume 23 qui parle des chemins de la justice et non du chemin de la justice, ce proverbe attire notre attention sur le fait que l’éducation ne devrait jamais être une manière de conformer les jeunes gens à un modèle. Il convient plutôt de découvrir le chemin personnel des jeunes gens et de les encourager sur cette voie. À la limite, peu importe le chemin, pourvu que ce soit un chemin qui lui corresponde, c’est-à-dire un chemin qui soit adapté à ses aptitudes, à son appétit, aux compétences qu’il est en capacité de développer. Nous devrions toujours encourager les jeunes gens sur la voie qu’ils empruntent, pour autant que cette voie ne les éloigne pas de l’horizon dressé par Dieu, qui peut être lu, par exemple, dans les béatitudes de l’évangile de Matthieu 5. Peu importe le chemin, pourvu qu’il n’empêche pas d’être humble, d’être solidaire, d’être assoiffé de justice, d’être responsable etc.

Il y a dans ce proverbe quelque chose qui correspond à ce conseil étonnant que donna Ralph W. Emerson : « N’allez pas là où le chemin peut mener. Allez où il n’y a pas de chemin et laissez une trace ». C’est là que nous constatons que ce verset des Proverbes, à l’image de la Bible, n’est pas un traité de morale judéo-chrétienne destiné à consolider le monde. Ce verset est un encouragement à faire valoir ses propres aspirations, à frayer sa propre voie, à ne pas anesthésier notre conscience personnelle, à ne pas sacrifier notre âme sur l’autel d’un bien commun qui ne tiendrait pas compte de nous. Chacun de nous a sa voix à faire valoir dans le concert du groupe auquel il appartient. C’est ce que déclare le baptême qui souligne que nous avons une valeur unique aux yeux de Dieu, ce qui est une manière religieuse de dire que le monde, l’histoire humaine, ne seront pas aussi éclatants de vitalité, de beauté, de justice, si nous ne suivons pas notre propre chemin. Le monde, l’histoire, seront dégradés si nous mettons nos pas dans les pas de ceux qui nous ont précédés en veillant scrupuleusement à ce que nous ne nous écartions pas d’un centimètre de la voie qu’ils ont tracée.

C’est de notre propre voie qu’il convient de ne pas se détourner. C’est notre cap qu’il faut tenir jusqu’au bout, quitte à ce que nous nous réorientions de temps à autres quand nous le jugeons nécessaire. Mais ce n’est pas la voie des autres qu’il faut suivre.

Entraîne (c’est un impératif) le jeune homme sur la bouche de son chemin, et il ne s’en détournera pas (c’est un futur). Entraîne-le maintenant à vivre, et il poursuivra sa quête de vie à jamais.

Amen

11 commentaires

  1. Bonsoir, merveilleuse prédication comme toujours … pour l avoir partagé un retour toutefois d un très proche que j aimerai vous soumettre : « je n aime pas la notion de loi de Dieu….qui dans ce contexte est celle prescriptive de l’ancien testament. Woody en la reprenant sans critique aboutit à nier ce qu’il veut démontrer… » … c est vrai qu à la relecture, pourquoi avoir repris ce terme de « loi de dieu » au nom de laquelle on a pu et on continue a inculquer le pire ?

    1. Merci pour ce retour qui permet d’expliquer la partie sur la « loi de Dieu ». Comme je l’ai précisé, le « chemin » est une image possible pour la « loi » comprise non pas au sens des décrets que nous pouvons codifier, mais au sens de ce qui deviendra la Torah, et que j’exprime en termes de « promesse » avec le philosophe Paul Ricoeur. On peut toujours inculquer des choses au nom d’une promesse, mais dans ce cas on peut tout simplement inculquer le pire sous n’importe quel prétexte. Que la loi divine se conjugue à l’indicatif et non à l’impératif empêche (logiquement) d’inculquer quoi que ce soit. La loi divine ne peut être que de l’ordre de la proposition, du point de vue de la Bible hébraïque, ce qui serait bien différent si c’était à l’impératif car, dans ce cas, l’obéissance aveugle serait recommandable.
      La loi de Dieu, dans la Bible hébraïque, conduit à un horizon de vie (« je mets devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction » Deutéronome 30) qui est proposé et dont chacun fera l’usage qu’il voudra bien – et dont il sera responsable, par conséquent. Cet horizon implique un chemin pour s’en approcher, comme un azimut pour qui fait une course d’orientation et qui implique que nous trouvions le chemin qui sera praticable pour nous (il est rare qu’on puisse avancer en ligne droite).

  2. Merci pour vos précisions. Les notions de chemin / promesse n impliquent pas la notion de jugement comme le fait automatiquement le terme de loi … si il y a Loi c est qu il y a Jugement et souvent pour le Kt une autoroute pour la pastorale de la Peur, le Dieu de la rétribution and co … à cet égard pouvez vous nous éclairer sur le terme “loi” dans l ancien et le nouveau testaments et … les Romains de Paul. S agit il toujours du même mot ? Y a t il un mot différent selon que l on veut dire loi des hommes ou loi de Dieu ?
    Merci
    Ast

    1. la loi, dans la Bible hébraïque, c’est la Torah qui vient d’un verbe signifiant instruire. La loi, ce serait, dans cette perspective ce que Dieu nous rend capable de vivre et qui nous est révélé notamment par ce que nous découvrons dans les textes bibliques. C’est l’usage de la loi qu’en fait Jean Calvin. Un autre usage de la loi est l’ensemble des règles que nous nous donnons pour vivre ensemble correctement (et dont le magistrat veille au bon respect) et, dans ces cas, on utilise plutôt le terme « hoq » qui pourrait se traduire en français par « décret » et qui en grec sera traduit par « nomos » (loi). Enfin il y a la loi pédagogue qui travaille souvent sur la peur parce qu’on l’utilise pour mesurer la distance qu’il y a entre ce que nous aurions dû faire et ce que nous avons fait effectivement – ce que la Bible nomme le péché au sujet de la distance qu’il y a entre la personne que nous sommes et la personne que nous pourrions être.

  3. Bonjour,
    Un jour, en cherchant ce que pouvait bien vouloir signifier cette notion de DIEU, j’ai commencé à remplacer DIEU par VIE : la VIE est éternelle, la VIE est amour … « La loi de la VIE est comprise comme un chemin vers le salut ». … Cette VIE est partout, omniprésente et elle est la même pour tous les êtres humains. Les hommes se sont reliés (religare) à elle par différentes voies et concepts afin d’organiser leur (petite) vie en commun. JE trouve cela beau, que chaque peuple ait trouvé un moyen de se relier à la VIE. Ce que les hommes en font (des dogmes) est une autre histoire !
    Connaissez-vous Anthony de Mello et le livre « Quand la conscience s’éveille? » (mauvaise traduction de l’anglais mais combien révélateur d’un formatage erroné…)

    Bien à vous
    Christel

    1. Chère Christel, il me semble que le philosophe Michel Henry a fait comme vous, remplacer « Dieu » par « Vie ». Avec le théologien Paul Tillich vous pourriez dire, aussi, que c’est ce qui désigne ce qui vous préoccupe de manière fondamentale : la vie dans son aspect le plus essentiel, le plus profond.

  4. Merci pour ce déroulé, je parle de ta prédication. Une fois de plus merci. Cependant, J’ai un Problème avec ton développement sur le Chemin. J’ai comme impression quand voulant résoudre le Problème du Chemin tu en crées d’autres. Lorsque vous dites  » N’allez pas là où le chemin peut mener. Allez où il n’y a pas de chemin », je comprend le désir de la dynamique du monde, Et Jésus dans tout ça ? Je me serai attendu qu’au bout du compte, Parce que Christocentrique, vous encourageriez le lecteur à se faire son chemin mais en ayant pour Objectif Jésus-Christ.

    1. Il me semble que Jésus est plutôt du côté de l’autorisation à emprunter un chemin que du côté de l’objectif. L’objectif qu’il révèle, c’est le Père. En disant qu’il est le chemin, selon l’évangéliste Jean, il personnalise la le chemin, il rapporte à la loi à son interprétation et, ce faisant, il nous invite à faire de même : il nous autorise à être, nous aussi, un chemin, à prendre notre propre chemin, à interpréter la loi divine pour ne pas la laisser lettre morte.

      1. Bonjour.

        « Jésus est plutôt du côté de l’autorisation à emprunter un chemin que du côté de l’objectif. L’objectif qu’il révèle, c’est le Père. »

        L’interprétation change bien des choses … Et c’est fort heureux ! (si, évidemment)

        A&V

      2. Bonjour. Je saute alors sur l’occasion pour vous demandez ce que nous pouvons comprendre par « Je suis l’alpha et l’oméga » qui revient à trois reprises dans le livre de l’apocalypse et qui tantôt semble se rapporter à Dieu et tantôt au Christ et renforce le christocentrisme.

  5. Merci James de cette prédication remplie d’amour et de liberté. C’est je crois les deux valeurs les plus importantes pour nous chrétiens Thierry P

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