Etre combatif sans être belliqueux


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Ephésiens 6/12-20
12 Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. 13 C’est pourquoi, prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le mauvais jour, et tenir ferme après avoir tout surmonté. 14 Tenez donc ferme: ayez à vos reins la vérité pour ceinture; revêtez la cuirasse de la justice; 15 mettez pour chaussure à vos pieds le zèle que donne l’Évangile de paix; 16 prenez par-dessus tout cela le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin; 17 prenez aussi le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu. 18 Faites en tout temps par l’Esprit toutes sortes de prières et de supplications. Veillez à cela avec une entière persévérance, et priez pour tous les saints. 19 Priez pour moi, afin qu’il me soit donné, quand j’ouvre la bouche, de faire connaître hardiment et librement le mystère de l’Évangile, 20 pour lequel je suis ambassadeur dans les chaînes, et que j’en parle avec assurance comme je dois en parler.

Chers frères et sœurs, ce passage biblique a une forte connotation guerrière. En entendant le vocabulaire employé – cette liste d’effets militaires – il n’est pas étonnant que des chrétiens estiment qu’il faille être soldats de la foi, combattants du Christ. Pourtant, la lecture attentive de ce passage biblique devrait nous rendre attentifs au fait qu’il n’y a rien de plus contraire à la foi chrétienne qu’une attitude belliqueuse. Effectivement, si nous nous contentons de nous laisser inspirer par l’ambiance générale qui parle de l’équipement du chrétien comme d’une armure pour faire la guerre, tout porte à imaginer qu’il faut se préparer pour une bataille sanglante. En revanche, si nous nous efforçons de repérer quelles sont les fonctions attribuées à chaque partie de l’équipement du chrétien, alors nous découvrons que l’attitude qui est attendue des chrétiens par l’apôtre Paul n’est certainement pas belliqueuse. Il s’agit d’être combatif sans être belliqueux. Observons cela.

  1. La ceinture

La description commence par la ceinture qui n’a rien d’une ceinture FAMAS qui permettait de fixer quelques ustensiles militaires. La ceinture de Paul est destinée à avoir la vérité sur les reins, pas un pistolet automatique, ni quelques chargeurs pour un fusil d’assaut. La précision de la ceinture qui est sur les reins n’est pas anodine. Elle rappelle que la vérité est destinée aux reins qui, dans la Bible, sont l’image de la personnalité, de l’identité profonde de la personne. Quand il est dit que Dieu sonde les reins (Ps 26/2 ; Jr 11/20 ; 17/10 ; Ap 2/23), c’est pour indiquer que Dieu est en rapport avec ce qu’il y a de plus intime, ce qui nous correspond vraiment, ce qui éventuellement peut être caché aux yeux de tous, mais qui correspond à notre vérité profonde.

Avoir la vérité sur les reins, c’est accepter d’être honnête avec soi-même. C’est rejeter le déni de vérité, cette attitude qui consiste à se voiler la face, à se mentir, à refuser le principe de réalité, ou alors à prendre ses rêves pour la réalité. Avoir la vérité sur les reins, c’est faire son travail personnel pour élucider ce qui nous motive vraiment, ce qui nous pousse à agir, quelles sont les raisons de nos engagements ou de nos désengagements, de nos prises de paroles ou de nos silences. Nous avons vu avec Haman, dans le livre d’Esther, que les motivations cachées sont sources de violence. Avoir la vérité sur les reins, c’est être au clair sur ce qui nous anime et, par conséquent, ne pas vivre avec la frustration au ventre, cette frustration qui est toujours source de violence. Mieux que cela, la vérité sur les reins, c’est être lucide sur ses capacités, sur ses compétences, sur ses espérances et, par conséquent, faire des choix en rapport avec ses possibilités et ses désirs. Aussi bien ne pas s’engager dans des batailles que nous sommes sûrs de perdre, que s’engager dans des projets qui nous font vibrer.

La vérité sur les reins, c’est savoir pourquoi on se lance dans la bataille et avoir conscience de ses forces et de ses faiblesses pour limiter les déconvenues, tout autant que pour se lancer dans des projets ambitieux. Avoir la vérité sur les reins, c’est être combatif, sans être belliqueux.

  1. La cuirasse

La cuirasse est ce qui protège le corps. S’envelopper de la justice, c’est, pour le dire de manière négative, ne pas laisser de prise à l’injustice. La justice protège alors que l’injustice affaiblit. La justice est une protection alors que l’injustice est une menace, y compris l’injustice que l’on commet et qui est d’abord une menace contre nous-mêmes.

Nous le constatons chaque semaine par les affaires de corruption, d’enrichissement personnel, de détournement, qui ne manquent pas d’être relayées et commentées. Tel capitaine d’industrie talentueux et qui réussit dans son entreprise, tel responsable politique, tel ecclésiastique, tel sportif de haut niveau, qui n’a pas agi avec justice est rattrapé par la patrouille et connaît une chute libre – et pas seulement dans les sondages d’opinion.

Pratiquer l’injustice, c’est accumuler des charbons ardents sur sa tête. Lorsque vient le vent de la justice, lorsque la somme des injustices devient insupportable pour les autres, alors ce vent de la justice attise les braise et tout s’embrase. Et ce qui était glorieux n’est plus qu’un tas de cendres indistinct. La justice est une défense car, pour autant que nous parvenons à ne pas commettre d’injustice, nous n’ouvrons pas la porte à des procédures judiciaires. Tant que nous gardons la justice pour cuirasse, nous ne prêtons pas le flanc aux critiques justifiées. On peut, certes, nous accuser de toutes sortes de vilainies, on peut monter des cabales, faire circuler des rumeurs, toutes choses qui pourront nous affaiblir, nous déstabiliser, mais, au bout du compte, qui ne seront pas mortelles sur le plan spirituel car la ceinture de vérité nous rappelle qui nous sommes, véritablement. C’est ce que dit l’apôtre Paul par ailleurs : « Car j’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus -Christ notre Seigneur (Rm 8/38-39) ». Ce qui est juste, ce qui a un caractère inconditionnel ne pourra jamais nous être retiré. La ceinture de vérité qui dit notre vérité et la cuirasse de justice qui nous préserve d’être attaqués pour des raisons justifiées, sont une manière de se préserver des attaques de ceux que l’apôtre Paul nomme les princes de ce monde de ténèbres, les esprits méchants. Avoir cette défense, c’est être combatif sans être belliqueux.

  1. Chaussures

Aux pieds, les rangers seront le zèle que procure l’Évangile de paix. Non pas seulement l’Évangile, mais l’Évangile de paix. Cela indique bien ce qui doit conduire nos pas. Pensons à des situations où nous devons aller à la rencontre d’une personne avec laquelle cela ne se passe pas très bien ; peut-être quelqu’un avec lequel nous sommes en conflit. Ce peut être un collaborateur, un membre de la famille, un ami, un voisin. Quelle que soit la raison de la difficulté que nous rencontrons avec cette personne, l’apôtre Paul nous recommande de chausser le zèle de l’Évangile de paix. Non pas y aller en traînant les pieds ; non pas y aller en faisant tonner le bruit des bottes ; non pas y aller d’un pas belliqueux ; mais aller à la rencontre de l’autre avec la ferme intention de procurer la paix, le Shalom, l’harmonie. Penser à ce que pourrait être une vie commune harmonieuse et cheminer pour atteindre cette situation.

Trop souvent, nous avons le sentiment que pour nous tirer de l’embarras, il faut détruire la cause de l’embarras. Trop souvent, nous avons le sentiment que pour régler un problème avec quelqu’un le plus efficace est encore de régler son compte à l’autre. Mais c’est oublier que, bien souvent, nous sommes nous-mêmes une partie du problème, en conséquence de quoi s’il faut régler les problèmes de manière radicales en supprimant les personnes, nous y passerons nous aussi. Jésus aura souffert de cette logique radicale qui consiste à obtenir la paix par élimination des personnes qui sont perçues comme étant la cause des problèmes. Jésus, lui, a plutôt mis la ceinture de vérité et endossé la cuirasse de justice pour dire aux uns et aux autres leurs quatre vérités sans pour autant chercher à les rayer de la surface de la terre.

L’intention avec laquelle nous agissons est déterminante pour la suite des événements. C’est le cas lorsque nous participons à une réunion où des décisions sont à prendre. Selon qu’on y va dans un esprit d’hostilité ou avec l’intention de trouver la meilleure solution avec les autres, le résultat de cette réunion sera bien différent. Contrairement à l’adage qui tient lieu de pensée diplomatique pour un grand nombre de personnes, l’apôtre Paul nous encourage à avoir pour sagesse : « si tu veux la paix… prépare la paix ». C’est le principe de l’aïkido, cet art martial qui consiste à se préserver des coups de l’adversaire tout en préservant l’adversaire. Il s’agit de neutraliser l’adversaire sans le blesser. Être combatif sans être belliqueux. Ne pas humilier en réunion, ne pas humilier dans les relations interpersonnelles, ne pas faire perdre la face à l’autre.

Le général Jean-Louis Georgelin, lorsqu’il était chef d’État-major des armées, avait rédigé les principes de combat des armées françaises. Il avait posé comme principe de combat le principe de réversibilité : ne jamais engager les forces militaires françaises sur un théâtre d’opération sans penser à ce que sera l’étape de la paix, de façon à ne pas avoir d’opération qui serait irréversible, qui causerait des dommages tels que la population serait humiliée et ne pourrait pas se mettre en disposition de construire la paix. Être combatif sans être belliqueux.

  1. Le bouclier

Le bouclier est ce qui permet de maintenir à distance les attaques de projectiles. Le bouclier crée une distance entre les menaces et nous, de telle manière que nous ayons encore quelques marges de manœuvre et qui nous permet de respirer un peu mieux. Si nous sommes aux prises directement avec notre ennemi, nous subirons plus de dommage que si nous sommes à distance. C’est le cas du Ju Jitsu Brésilien qui est essentiellement un corps à corps au sol, qui provoque bien des entorses car les articulations souffrent copieusement, même quand on remporte le combat. Au contraire, à la boxe anglaise, avec un bon Jab, vous maintenez votre adversaire à distance.

La foi est ce qui nous préserve de la peur de ce que nous avons à affronter. La foi peut être considérée comme un bouclier car elle maintient les menaces à distance ou, du moins, elle les neutralise avant qu’elles soient en mesure de nous atteindre. Cela est possible car la foi nous permet de relativiser les différents aspects de notre vie quotidienne et de redonner une juste place à chaque chose. C’est l’un des sens de l’épisode du disciple de Jésus, Pierre, qui marche sur l’eau en direction de son maître, mais qui perd de vue l’objectif à atteindre et qui devient obnubilé par le vent et les vagues qui le menacent. Au lieu de se concentrer sur l’objectif à atteindre, il s’est concentré sur les menaces, il a eu peur et il s’est mis à couler – cela lui a valu de la part de Jésus le titre peu glorieux d’oligopsitos, « homme de peu de foi » (Mt 14/31).

La foi, la foi en l’Éternel, nous permet de reconsidérer nos priorités, nos attachements, nos investissements. La foi en l’Éternel permet de replacer les différents aspects de notre vie face à ce qui a un caractère ultime et de pouvoir mieux en apprécier la valeur, la portée. Cela permet de relativiser ce qui apparaît parfois comme important et qui ne l’est pas tant que cela quand on le met en perspective avec le reste. Cela permet aussi de changer le sens des choses ou, pour le dire avec Churchill : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité ; un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté. » Il suffit de remplacer « pessimiste » par « mécréant» et « optimiste » par « croyant » pour comprendre l’intérêt d’avoir la foi pour bouclier. L’oligopistos voir les difficultés dans chaque opportunité et le croyant voit les opportunités dans chaque difficulté, et cela change tout. Dès lors, on peut être combatif sans être belliqueux.

  1. Le casque

S’agissant du casque qui protège une partie particulièrement vulnérable, la tête, que ce soit le salut qui tienne lieu de protection n’est évidemment pas insignifiant. Le salut est à la fois un thème récurrent de la foi chrétienne et une chose bien méconnue. Autant il est facile de dire que Dieu nous sauve, que Jésus est notre sauveur personnel, autant il devient plus délicat de dire de quoi nous sommes sauvés.

Le casque du salut, comme la cuirasse de justice, sont un emprunt de l’apôtre Paul au prophète Ésaïe (59/17). C’est une image appliquée à Dieu dans un contexte de grande injustice et de violence perpétrées par le peuple. Le casque de Salut indique donc la mission que Dieu se fixe : il intervient comme un « casque bleu », une force d’interposition de l’Organisation des Nations Unies, pour employer un anachronisme. Dieu sauve de la violence meurtrière et de l’injustice qui réduit à rien l’espérance des personnes qui n’ont plus d’avenir possible dans une telle société.

Le plus intéressant est ce que Paul ne dit pas. En effet, le texte d’Ésaïe continue par cette phrase peu évangélique : « il prend la vengeance pour vêtement et il se couvre de la jalousie comme d’un manteau ». Ne pas retenir la vengeance correspond bien au fait de chausser le zèle de l’Évangile de paix et de chercher la concorde, l’harmonie, la paix, plutôt que rendre coup pour coup. Non pas combattre le mal par le mal, mais par un bien supérieur, comme nous y encourage l’apôtre Paul en Rm 12/21. Comme le disait le pasteur Martin Luther King dont nous nous sommes souvenus du 51ème anniversaire de son assassinat cette semaine : « œil pour œil, dent pour dent, laisse tout le monde aveugle ». Le casque de salut indique bien que nous ne sommes pas là pour défoncer, pour anéantir, mais pour sauver et transformer en bien, grâce à Dieu, le mal qu’on veut nous faire (Gn 50/20).

  1. L’épée

Quant à l’épée, il est clairement dit que c’est la parole de Dieu, présentée comme une épée à double tranchant par les rédacteurs bibliques, autrement dit une parole capable d’ébrécher, capable de fendre l’armure. La parole de Dieu est ce qui ébrèche les certitudes, c’est ce qui fend les systèmes hermétiques. Cela est métaphorique, comme l’indique Paul au début de ce passage : « car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde des ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes » (v.12).

Avoir l’épée à la main, c’est manier l’art de la parole et comme le disait l’avocat Bertrand Périer, la parole est un sport de combat. Combatif, mais pas belliqueux ! C’est développer une chorégraphie des idées qui fera danser la vie ; développer une chorégraphie qui nous réjouira, alors que des grincheux voudraient la rendre terne, ennuyeuse, mortelle. Faire valser les mots, les faire virevolter, les faire jaillir. Découvrir de nouveaux mots et les offrir comme une offrande précieuse. Manier l’art de la parole, voilà quelle est la vocation chrétienne. Revêtir le casque du salut pour sauver la vie de tout ce qui la dégrade, par le maniement de la parole qui n’est certainement pas que du vent, mais ce qui est à notre disposition pour donner du sens à notre vie, pour la sauver de l’absurde, du malheur, de tout ce qui nous éloigne de la paix, de tout ce qui nous éloigne d’une vie harmonieuse les uns avec les autres.

Loin d’être belliqueux, cet équipement du chrétien nous rappelle qu’il est possible de mener un bon combat pour la foi sans adopter les comportements guerriers qui sont tellement contraire au sens de l’Évangile. Ce qui distingue les textes bibliques de bien des mythologies antiques, c’est sa gestion de la violence, de l’ubris. Aux mythologies antiques qui répondent à la violence par la violence, la Bible, ce passage tout spécialement, propose de répondre au mal par un bien supérieur. Être combatif sans être belliqueux.

Loin d’être belliqueux, cet équipement guerrier nous rappelle que la vie en société nécessite que nous ne soyons pas naïfs quant aux menaces : la vie est dure ; épouvantable parfois. Cela suppose que nous soyons combatifs, mais cela suppose aussi que nous ayons à cœur de faire connaître hardiment et librement le sens de l’Évangile.

Amen

Et pour prolonger la prédication, le chant du cantique « Debout sainte cohorte » qui a suivi

3 commentaires

  1. Bonjour James,
    J’ai intégré tout un paragraphe de votre texte cette semaine, dans un atelier de conclusion d’un cycle d’ateliers de développement des compétences psychosociales que j’anime auprès des mineurs détenus à la Maison d’Arrêt de Villepinte. J’ai trouvé que cela donnait le sens de cette construction des CPS que nous avions poursuivi ensemble pendant deux mois. J’ai utilisé le paraphe qui commence par « avoir la vérité sur les reins » jusqu’à « nous faire vibrer ». J’ai cependant remplacé « avoir la vérité sur les reins » par être lucide, ce n’est pas exactement équivalent, mais donne une cohérence à ce paragraphe extrait de son contexte. Difficile de savoir si ce paragraphe leur sera inspirant, ils se livrent peu en atelier, mais nous l’avons lu ensemble, et pour moi, c’est un point final et une ouverture qui faisaient écho à tout notre travail collectif.
    Je vais continuer à l’utiliser pour ce travail, en réfléchissant au meilleur moment pour sa lecture par les détenus notamment les adultes, que je vois aussi. Et aussi pour nos autres publics de Seine-Saint-Denis.
    Bon week end !
    Bien à vous,
    Laurent

    1. Cher Laurent, ces passages bibliques sont en effet très utiles pour notre cheminement personnel et pour l’accompagnement des personnes de manière à les aider à penser leur vie. La question de la lucidité est fondamentale pour la construction personnelle car sans fondement solide, réel, nos projets risqueront de s’écrouler souvent. Je vous souhaite de l’ardeur dans votre mission et de pouvoir observer les fruits de votre travail.
      Cordialement,
      James

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