Point de salut dans l’Eglise

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Romains 7/19-25
 19 Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.  20 Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi.  21 Je trouve donc en moi cette loi: quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi.  22 Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur;  23 mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres.  24 Misérable que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ?…  25 Grâces soient rendues à Dieu par Jésus -Christ notre Seigneur !… Ainsi donc, moi-même, je suis par l’entendement esclave de la loi de Dieu, et je suis par la chair esclave de la loi du péché.

Chers frères et sœurs, quel est le sens de notre présence ici ? non pas seulement ce matin, mais à chaque fois que nous nous réunissons d’une manière ou d’une autre et que nous constituons cette communauté protestante – une partie de la communauté chrétienne de Montpellier – une communauté qui change de visage semaine après semaine. Quel est le sens de notre présence ensemble ? Nous pourrions nous dire que la vie chrétienne consiste à faire Église, qu’elle consiste à faire cette communauté visible qui est l’une des composantes de notre agglomération. Mais cela n’est pas tout à fait la tradition protestante réformée dans laquelle nous nous reconnaissons. Dans ce passage de l’épître aux Romains, nous comprenons bien que le problème de Paul n’est pas l’Église. Le problème, c’est le croyant. Le problème c’est moi, c’est toi. Le problème n’est pas collectif. Le problème est individuel. La perspective de Paul est le croyant : le croyant aux prises avec la vie, le croyant aux prises avec la question du sacré, le croyant aux prises avec la grande question de Dieu. Dans la perspective de Paul, à travers ces mots que nous avons entendus, la vie chrétienne consiste à être personnellement renouvelés par l’action du Saint Esprit. Quand cela se passe, quand toute notre vie est inspirée par la volonté de Dieu quand notre entendement n’est pas parasité par la loi du péché, pour reprendre le vocabulaire de Paul, lorsque le moindre aspect de notre vie quotidienne prend le sens de l’Evangile et qu’il n’y a donc plus la moindre perturbation, le moindre parasite, que nous ne sommes plus à distance de nous-mêmes, alors nous pouvons considérer que le Règne de Dieu advient. Le règne de Dieu advient lorsque cela se passe bien à l’intérieur de nous, pas nécessairement lorsque nous sommes tous ensemble. Dieu est là où nous le faisons entrer personnellement, pour reprendre une formule de Martin Buber. Dieu est présent à partir du moment où nous laissons notre vie s’orienter pleinement vers ce que la Bible nous révèle être une existence pleinement vivable.

Là où deux ou trois sont réunis en ayant cette disposition intérieure commune, en étant libérés des parasites qui nous empêchent d’être pleinement tendus vers l’horizon présenté par Dieu, alors il y a Église. Il ne s’agit pas d’être réunis au nom de Jean Calvin, ou à l’appel du trésorier. Là où deux ou trois sont réunis avec cette tension intérieure, vers le Seigneur, le Seigneur est présent au milieu d’eux. Et c’est alors qu’il y a Église. Il n’y a pas Eglise au sens institutionnel du terme, une Eglise avec une association loi 1905, des statuts et une assemblée générale ; Il y a Église au sens protestant de l’Église invisible. L’Eglise invisible, c’est l’Eglise qui ne saute pas aux yeux ; c’est l’Eglise qui n’a pas pignon sur rue ; c’est l’Eglise qui n’a pas un calendrier d’activités, qui n’a pas un budget, des bâtiments à entretenir, des salaires à verser. L’Église invisible, c’est la communion de toutes les personnes qui ont été régénérées (F. Schleiermacher, La cohérence de la foi chrétienne, p. 756) : toutes ces personnes qui ont fait ce travail intérieur pour se débarrasser de ce qui parasite notre vie.

L’Église visible, elle, c’est l’ensemble des personnes qui ont entendu l’Évangile et déclarent appartenir à l’Église. L’Église visible est donc constituée par nous tous qui avons tant de peine à ne pas être pollués par des forces qui nous empêchent de bien faire, qui nous retiennent d’accomplir pleinement la justice de Dieu – des forces qui nous tiraillent dans des sens opposés, ces forces dont parle l’apôtre Paul, ces forces qui nous empêchent de faire le bien que nous voudrions faire et qui nous font faire le mal que nous voudrions éviter.

Certainement, nous aimerions que l’Église visible soit semblable à l’Eglise invisible : qu’il n’y ait aucune tension entre les membres de l’Église, aucun désaccord, aucun conflit, aucune rancœur. Toutefois, la distinction entre l’Église invisible – communion entre des croyants régénérés – et l’Église visible constituée par les personnes qui se sentent concernées par l’Évangile nous enseigne deux choses. La première est que l’Église invisible est une affaire d’individus : ça se passe directement entre chacun et Dieu. L’Eglise invisible n’est pas le résultat de la décision de personnes de s’associer et de faire communauté ensemble. On ne peut pas tracer la topographie de l’Église invisible. C’est la raison pour laquelle notre Consitution d’Église précise que nul ne peut délimiter l’Église invisible, ce qui nous enjoint à beaucoup d’humilité, car, lorsque nous sommes dans une situation d’accueil, nous ne pouvons pas définir si la personne que nous recevons fait ou non partie de l’Église invisible. De même, lors de la célébration de la Cène, qui sommes nous pour dire qui peut communier ou non ? L’Eglise invisible est l’ensemble des individus qui ont fait pleinement accueil à la vie selon Dieu. Ces personnes n’ont pas décidé de se réunir en groupe : elles ont une manière d’être qui leur est commune, à la manière de personnes qui ont le même groupe sanguin et qui ne se réunissent pas forcément dans une association spécifique. Elles ont en commun une disposition intérieure, un élan intérieur, une tension. Ce qu’elles ont en commun, c’est d’être des âmes : elles ne sont pas seulement préoccupées par leur intérêt personnel. Elles sont tendues vers quelque chose de plus universel qu’elles-mêmes. L’Eglise visible, en revanche, est une affaire de groupe. L’Eglise visible est un rassemblement effectif de personnes physiques qui forment une entité bien visible. Or, cette tension entre individus et collectivité est une tension qui est irréductible : on ne pourra jamais superposer les deux.

La deuxième chose que nous enseigne la distinction entre Église visible et Église invisible, c’est que l’Église visible ne peut pas être un lieu uniformisé. Les personnes qui composent l’Église visible, par exemple notre Église particulière, sont suffisamment différentes sur le plan du caractère, sur le plan de la sensibilité, des centres d’intérêt, de l’histoire, pour qu’il ne puisse pas y avoir d’uniformité ni une absence de tensions internes, dans la mesure où ce qui nous pollue individuellement vient s’ajouter à ce qui pollue les autres (nous sommes ensemble dans un grand nuage de pollution), ce qui nous retient de mener une vie selon Dieu, est différent d’une personne à l’autre. Vivre dans l’Église, ce n’est pas vivre dans un milieu purifié, c’est vivre dans un grand nuage de pollution. Si nous avons tous en commun quelque chose, dans l’Église visible, c’est le fait d’être pécheur – le fait que nous soyons toujours à distance de nous-mêmes. La manière dont nous sommes pécheurs, les écarts entre ce que nous sommes appelés à vivre et ce que nous vivons effectivement, varient d’une personne à l’autre et se cumulent. C’est la raison pour laquelle les théologiens protestants, à partir du XVIIIème, virent d’un bon œil qu’il y ait plusieurs Églises chrétiennes et non pas une seule Église visible pour tous. La pluralité des Églises n’est pas un drame, mais la conséquence logique des différences entre individus (par exemple des différences linguistiques), différences qui sont passagères.

Si la Réforme protestante a maintenu la distinction entre l’Église invisible et l’Église visible, c’est d’abord pour une raison très pratique, je dirais presque pastorale. À toutes les générations de chrétiens, le constat a été le même : la vie ecclésiale, être membre d’une Église locale, c’est tout sauf être au paradis. Il y a des tiraillements et toujours, toujours, des déceptions. Cette distinction entre Église visible et Église invisible nous permet de ne pas être déçus de ces déceptions – qui sont inévitables. Le théologien Dietrich Bonhoeffer est allé jusqu’à dire que c’est une grâce de Dieu d’être déçu de la communauté (De la vie communautaire). En effet, quand vient le moment où nous sommes déçus que la vie en paroisse ce ne soit que cela, qu’il y ait si peu de fraternité, si peu de solidarité, si peu de miracles, si peu de souffle, si peu d’Évangile peut-être… alors meurt l’Eglise fantasmée, alors meurt l’idole que nous nous sommes construite, alors sont crucifiées les fausses divinités, ce qui nous permet de pouvoir découvrir le réel, de pouvoir découvrir l’Église véritable et de prendre conscience que c’est en nous que doit s’effectuer le travail de l’Esprit qui régénère personnellement les êtres et en fait des membres de l’Église invisible qui n’est jamais exactement l’Église visible. C’est pour cette raison que l’Église visible n’est pas infaillible – loin de là.

Dans la mesure où la véritable Église est distincte de l’Église visible, le travail de l’Esprit établit des communions par delà les institutions humaines. Nous pouvons nous découvrir plus proche d’un croyant qui n’est pas de notre Église visible plutôt que d’un croyant qui revendique la même identité confessionnelle. Cette distinction entre Église invisible et Église visible nous permet de ne pas chercher notre salut personnel au sein d’une Église visible : l’Église n’est pas le lieu du salut. L’Église visible sera toujours incapable de nous offrir le salut, parce que c’est en Dieu lui-même, que nous trouverons notre salut ; c’est Dieu lui-même qui métamorphosera notre être et nous permettra de nous libérer de ces forces parasitaires qui nous tiennent toujours éloignés d’une vie bonne. Et cela nous pourrons le célébrer dans l’Église visible.

Amen

4 commentaires

  1. « Point de salut dans l’église »
    C.Q.F.D.
    Merci pasteur James, d’avoir démontré que les navettes entre église visible et église invisible sont l’expression d’une liberté joyeuse de la foi.
    Françoise Ma

  2. J’aime beaucoup la différence que vous rappelez entre les deux églises,parce que c’est par l’église invisible que nous sommes un et que cette réalité vivifie notre vie intérieure en nous sauvant du désespoir de n’ętre que des humains si imparfaits.

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