Picasso, une oeuvre libre

C’est le 25 octobre 1881, à Malaga (Andalousie) que naît Pablo Diego José Francisco de Paula Juan Nepomuceno Maria de los Remedios Crispin Crispiniano de la Santisima Trinidad Ruiz y Blasco  Picasso, qui deviendra l’auteur de 70.000 productions originales.

Musée Fabre, Montpellier. Jusqu’au 23 septembre 2018

Le musée Fabre retrace la carrière de cet artiste internationalement connu, par 14 étapes qui constituent autant de progressions dans la connaissance du monde que de ses capacités artistiques. Picasso est un nomade qui, de lieu en lieu, ira à la rencontre de son temps en y joignant la complicité qu’il nouera avec des figures emblématiques. Il partagera la chambre du poète Max Jacob, il radicalisera Cézanne, il travaillera le cubisme avec Braque…

Un travail d’exploration

Etudes, 1920. Coexistence des sources et des styles différents qui font l’oeuvre de Picasso – par exemple une scène de bal d’après Renoir.

Cette rétrospective montre bien des facettes de Picasso qui sont ignorées par ses détracteurs, par ceux qui ne voient en lui qu’un imposteur au pinceau trop enfantin pour être considéré comme un artiste de talent. On découvre un Picasso capable de produire du classicisme, mais voilà : Picasso veut réinterpréter la tradition. Il veut explorer la vie avec un grand désir de liberté. C’est ce qu’exprimera Robert Desnos en 1943 : « Cet univers de Picasso, il est avant toute chose vie. Jamais l’espèce humaine ne poussa contre la mort cri plus triomphal et plus sonore. C’est un univers en perpétuelles expansion et contradiction sur lequel nos idées changent et se complètent au fur et à mesure qu’il se complète lui-même et qu’il se révèle à nous sous un aspect nouveau. »

Picasso se frotte aux styles comme il se frotte aux expériences humaines. À Paris, en 1901, il visite la prison saint Lazare tenue par des religieuses. Il y observe l’humanité. Il l’observe à partir de sa situation qui est sans aucun confort, sans aucune sécurité. Il est seul face à l’humanité aux prises avec ses questions, avec ses élans, avec ses misères. Il radicalise Cézanne en simplifiant les volumes, en allant vers des formes géométriques sommaires. Il élabore son style qu’il déclinera en de nombreuses variations.

« L’homme face à la femme, métaphore du regard et du désir, du mythe et de la création »

Dès le départ il avait annoncé cette créativité : « Je ne suis pas partisan de suivre une école déterminée, parce que ça n’apporte rien que le maniérisme de ceux qui suivent cette voie », écrivait-il en 1897. Qu’on apprécie ou non ses œuvres (peut-être une période pourra-t-elle susciter l’attention, provoquer quelque émotion ?), on peut lui reconnaître d’avoir essayé de rendre compte du réel en inventant des formes nouvelles. Lorsqu’il rompt avec la perspective classique pour « donner à voir » le volume par une multitude de facettes, il ne convaincra pas tout le monde, mais l’effort est non seulement louable, il nous donne accès à une vérité que bien des tableaux font mine d’ignorer : la multiplicité des points de vue. Notons aussi que l’ensemble de son travail n’était pas destiné à devenir œuvre d’art : beaucoup de ses réalisations sont des travaux qui pourraient être considérés comme des travaux préliminaires, des brouillons, c’est-à-dire des esquisses d’œuvres à venir.

Se libérer de l’esthétisme

Le peintre et son modèle, 1926. Cubisme curvilinéaire à la manière de l’écriture automatique des surréalistes.

Il y a chez Picasso l’accomplissement de cette liberté espérée par un contemporain qui rejoindra, lui aussi, la France pour y développer son propre art, Nicolas Berdiaev (1874-1948). Berdiaev entendait rompre avec cette fascination pour l’esthétisme qui confine à l’esclavage : « la tentation de l’esthétisme est celle de la passivité, d’un esprit ayant perdu la force de se manifester activement. (…) l’esthète est un homme passif, jouissant de sa passivité, vivant de reflets ; il est un consommateur, et non un créateur. »[1] Picasso réalise le projet du « personnalisme » tel qu’en parle également Berdiaev : « La tentation esthétique entraîne la dépersonnalisation. Étant donné leur structure psychique, les esthètes peuvent être des individualités marquantes, mais non des personnes. Est personne celui qui résiste aux tentations des images trompeuses de la beauté. »[2]

L’expression de la beauté

L’étrangeté de certaines peintures n’est pas sans effet éducatif sur celui qui les regarde : elle instille de l’altérité là où nous ne cherchons le plus souvent que du semblable, du même, une confirmation de notre réalité qui nous maintient dans le passé. Il cherche délibérément de nouvelles voies en lui-même, par lui-même : « il faut inventer de nouvelles inventions » écrira-t-il à Apollinaire en 1914. Picasso se donne dans son œuvre, il y expose son âme, et c’est ce qui donne à son travail ce caractère universel auquel l’art nous donne parfois accès. Ce faisant, il injecte sa personnalité, sa singularité, son univers. Il incorpore sa subjectivité, seule capable de renouveler notre regard et, par conséquent, notre monde. C’est ce face à face personnel avec le réel, ce face à face avec Dieu pour employer le vocabulaire théologique, qui nous donne accès à la beauté, par-delà le bien et par-delà le mal.

 

Mais laissons au musée Fabre le soin de faire découvrir l’apport de Picasso.
Jusqu’au 23 septembre, cent-vingt œuvres de différentes natures sont données à voir et à scruter. Une fois de plus, le travail des équipes du musée Fabre est à saluer. Son directeur, Michel Hilaire, a définitivement inscrit ce musée sur la scène internationale.

Pour tout renseignement : http://museefabre.montpellier3m.fr/EXPOSITIONS/PICASSO_-_DONNER_A_VOIR

Musée Fabre, 39 boulevard Bonne Nouvelle, Montpellier

 

[1] Nicolas Berdiaev, De l’esclavage et de la liberté de l’homme, p. 303.

[2] Nicolas Berdiaev, De l’esclavage et de la liberté de l’homme, p. 305.

Un commentaire

  1. Merci pour votre article à propos de PICASSO, n’ayant jamais vu d’exposition, uniquement, sur cet artiste j’ai été marquée par ses tableaux. Une telle affirmation du trait donne une vrai leçon de peinture, l’hésitation ne fait pas parti de l’itinéraire de son pinceau, c’est vraiment frappant. Passer sa vie entière à peindre et travailler sans cesse pour peindre tel un enfant était son chemin, quand on y réfléchit…
    Il est un personnage à part, et loin d’être un esthète, comme le dit le philosophe Nicolas BERDIAEV, que vous évoquez, en nous donnant des passages de son livre. Il est un artiste comme on peut le penser, libre, au dessus des convenances académiques, sans concessions quand il peint certains portraits, et ne vivant que pour cela ou presque. Au travers cette expo, on voit évoluer le travail et ses recherches et c’est étonnant, on comprend très bien, ensuite ses tableaux très colorés et très picassiens.
    Je ne suis pas une admiratrice inconditionnelle de cet artiste, mais on ne peut qu’être admiratif devant sa force vitale mise dans la création de sa peinture. LA VIE!!!

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