Même quand ce n’est pas la saison

Marc 11/12-22
12 Le lendemain, après qu’ils furent sortis de Béthanie, Jésus eut faim. 13 Apercevant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s ‘il y trouverait quelque chose; et, s’en étant approché, il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas la saison des figues. 14 Prenant alors la parole, il lui dit: Que jamais personne ne mange de ton fruit ! Et ses disciples l’entendirent. 15 Ils arrivèrent à Jérusalem, et Jésus entra dans le temple. Il se mit à chasser ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons; 16 et il ne laissait personne transporter aucun objet à travers le temple. 17 Et il enseignait et disait: N’est-il pas écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. 18 Les principaux sacrificateurs et les scribes, l’ayant entendu, cherchèrent les moyens de le faire périr; car ils le craignaient, parce que toute la foule était frappée de sa doctrine. 19 Quand le soir fut venu, Jésus sortit de la ville. 20 Le matin, en passant, les disciples virent le figuier séché jusqu’aux racines. 21 Pierre, se rappelant ce qui s’était passé, dit à Jésus: Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit a séché. 22 Jésus prit la parole, et leur dit: Ayez foi en Dieu.

 

Chers frères et sœurs, il y a dans l’imaginaire populaire cette idée selon laquelle si nous ne faisons pas ce que Dieu veut… Nous serons punis. Nous serons punis comme ce figuier qui ne donne pas de fruit nourrissant à Jésus qui a faim.

L’opinion commune pose que Dieu récompense ceux qui agissent bien et punit ceux qui agissent mal. Mais peut-on en vouloir à un figuier de ne pas donner de figue au printemps ? Comme le dit le narrateur : ce n’était pas la saison des figues… Alors, quelle faute ce figuier a-t-il commise qui mériterait une malédiction de la part de Jésus ?

  1. Jésus observe le réel plutôt qu’il ne limite l’avenir

D’abord, il aurait fallu que Jésus maudisse le figuier pour pouvoir parler de malédiction. Or ce n’est pas vraiment le cas : quand Jésus s’adresse au figuier après qu’il a cherché des figues, le texte grec dit : « Jésus répondit et lui dit : « plus personne, pour toujours, ne pourra plus manger  de ton fruit » (le verbe est conjugué à l’optatif). Alors, bien sûr, nous pouvons considérer cela comme une malédiction, mais il me semble que ce serait bien abusif. Quand vous dites « oh ! Il ne va pas faire beau aujourd’hui », ce n’est pas à proprement parler une malédiction que vous lancez contre le ciel. Quand vous vous dites « eh bien ce n’est pas cette année que Montpellier sera champion de France de football », ce n’est pas à proprement parler une malédiction que vous prononcez contre le Montpellier Hérault Sport Club. Ce sont plutôt des observations, des constats, des déductions, des faits… Et c’est, d’ailleurs, très précisément ce que dit Pierre, le lendemain, en voyant le figuier tout à fait desséché : « Rabbi, regarde le figuier que tu as « exposé en détail » ou que tu as « dénoncé », selon comment vous voulez traduire le verbe grec katerein, a séché ».

Autrement dit, si nous nous en tenons au texte originel, Jésus n’est pas tant celui qui maudit le figuier et le fait mourir, que celui qui dit ses quatre vérités à cet arbre – vérités qui seront vérifiées dès le lendemain. Jésus s’est approché du figuier et l’a examiné ; il l’a scruté en détail pour y trouver quelques figues, et comme le médecin qui examine son patient, Jésus s’est rendu compte de l’état de santé de l’arbre et a fait un pronostic qui a été confirmé dans les heures qui ont suivi. On peut voir cela comme une punition, mais il apparaît qu’il ne s’agit que d’une observation, observation un peu sèche, il est vrai, mais qui n’est pas une condamnation sans appel, au même titre que le médecin qui diagnostique une maladie mortelle ne maudit pas pour autant son patient !

Evidemment, on ne peut pas se contenter de cela. Cette histoire n’est pas une petite leçon de botanique que Jésus donne à ses disciples. Le figuier est bien plus qu’un figuier et le figuier qui s’assèche bien plus qu’un arbre de moins dans le jardin de la création !

  1. Le figuier n’est pas un figuier

Dans la Bible, le figuier représente le lieu de la méditation de la parole de Dieu, de l’instruction divine. C’est sous le figuier que l’homme médite la parole de Dieu et accède ainsi au sacré. Dans l’Evangile selon Jean (1/45-51), Jésus reconnaît en Nathanaël un grand Israélite car il l’a vu un peu plus tôt sous le figuier : il parlait avec Philippe de la loi de Moïse et des prophètes, autrement dit de la Bible hébraïque. Le figuier désigne un lieu de proximité avec la parole de Dieu. Et, à l’époque de Jésus, quel est le lieu privilégié pour être au plus près du sacré ? Le temple de Jérusalem. Et, comme par hasard, entre le moment où Jésus cherche des figues sur le figuier qui représente le lieu où l’on médite la parole divine, et le moment où le figuier est sec, que se passe-t-il ? Jésus va faire le ménage au temple.

Pour ceux qui auraient perdu de vue que le figuier est l’image du lieu où l’on se met à l’écoute de la parole de Dieu, le rédacteur de cet évangile se charge de mettre les points sur les i en insérant ce passage où Jésus fait le constat que la maison de son père n’est plus la maison de prière qu’elle devrait être. Ce texte est donc, du début jusqu’à la fin, une véritable polémique contre le temple de Jérusalem tel qu’il fonctionnait à l’époque. Ce texte biblique constate que c’est un lieu de culte qui a été perverti, qui n’est plus utilisé pour sa fonction initiale de permettre la relation entre Dieu et les hommes. On y fait du commerce, on y achète une bonne conscience en payant des animaux et des prêtres qui les sacrifieront ensuite, de telle sorte que nous soyons quittes de nos obligations religieuses. C’est le supermarché du religieux où l’on obtient les faveurs de Dieu contre quelques pièces. Vous avez besoin de vous faire pardonner ? Achetez-ça… c’est du premier choix. Vous voulez guérir ? nous vous conseillons ceci : produit haute gamme… vous m’en direz des nouvelles… Ça, c’est le côté le plus désagréable de la religion. C’est ce que produit la religion lorsqu’elle oublie qu’elle est là pour mettre l’homme en relation avec le Dieu vivant dont Jésus témoigne et pas autre chose. Et il n’est pas impossible qu’une religion qui oublie de se réformer de temps en temps finisse par perdre de vue qu’elle n’est qu’un moyen que les hommes se donnent pour faire route ensemble devant Dieu.

Jésus, en observant le fonctionnement du temple, en constatant la distance qui s’est installée entre ce qu’un temple devrait être et ce qu’il est devenu, ne peut que dire que ce n’est pas ici que les Hommes trouveront leur nourriture spirituelle. Pas de fruit à espérer d’un tel repaire d’escrocs. Autant aller acheter un électromètre à l’Eglise de scientologie ou faire un test de personnalité avec cure de purification à la clef.

  1. Une foi de Dieu

Cet épisode biblique nous révèle que ce qui prend l’allure de religion n’est pas forcément un cadeau du ciel venu tout droit de Dieu. Il faut se méfier de ce qui se fait sous couvert de religion. Dans cet épisode biblique, Jésus disqualifie le temple et son commerce. Il disqualifie cette religiosité qui empêche d’être vraiment face à Dieu. Alors, Jésus entreprend une profonde réforme religieuse qui, bien entendu, lui vaudra les foudres des responsables religieux de l’époque, en conseillant à ses disciples de prendre leurs distances avec ce lieu terrible afin de se recentrer sur l’essentiel : la foi de Dieu. Je dis bien la « foi de Dieu » (et non la foi en Dieu comme nos Bibles françaises traduisent de façon regrettable). « Ayez une foi de Dieu », dit Jésus à ses disciples. Autrement dit, arrêtez de vous bricoler une foi sur mesure, arrêtez de piocher ici ou là ce qui vous intéresse dans telle ou telle religion, arrêtez de vivre par procuration votre relation avec Dieu ! Mettez fin à tous les intermédiaires, mettez-vous en lien direct avec le sacré, mettez-vous vraiment à l’écoute de l’ultime au lieu de n’écouter que ceux qui parlent à sa place.

« Ayez une foi de Dieu », plutôt que d’avoir la foi des hommes. Soyez remplis de cette confiance que Dieu fait grandir en chaque être humain plutôt que d’être remplis des systèmes de croyance que les hommes construisent pour se rassurer, pour se donner du cœur à l’ouvrage ou pour rendre la vie moins dure. Soyez remplis de cette présence de Dieu lui-même, dit Jésus à ses disciples, plutôt que remplis de ce qui a l’allure de la foi, de ce qui a la couleur de la foi, de ce qui a le son de la foi, mais qui n’est qu’un produit de contrebande qui vous laissera bien plus qu’un terrible mal de crâne après consommation.

C’est pour cela qu’il est important de tenir sa place dans ce temple. C’est que nous avons tous besoin les uns des autres pour que jamais, notre figuier ne se dessèche et vienne à dépérir jusqu’aux racines. Etre présent, tenir sa place au sein de la communauté, c’est participer à cette réforme permanente dont l’Eglise a toujours besoin pour rester aussi vivante que l’Eternel auquel nous voulons nous référer. Et si un jour, il semble qu’il n’y ait plus vraiment de fruit nourrissant, il vaut mieux le faire savoir sans trop tarder, avant que toute la sève disparaisse et que notre figuier ne soit plus bon qu’à être jeté au feu, à l’image du sel qui aurait perdu sa saveur et qui serait juste bon à être piétiné. Et il est important, aussi, de tenir sa place dans la communauté, car il est encore plus risqué de vivre sa spiritualité tout seul dans son coin, sans jamais en parler à personne d’autre, sans jamais se confronter à d’autres croyants, sans jamais s’interroger à plusieurs sur les grands défis à relever dans la vie. Je dis cela parce que la foi de Dieu a toujours besoin des autres pour qu’on ne la recouvre pas de notre propre foi qui n’est jamais que la foi dont nous sommes spontanément capables alors que la « foi de Dieu » est autrement plus ample. C’est la présence de l’autre qui me fait sortir de mon quant à soi et qui me fait intuitionner le caractère infini de la vie vécue devant Dieu – Coram Deo.

La foi chrétienne, ce n’est pas une assurance tout risque que les chrétiens se construisent ; c’est bien plutôt la foi de Dieu, c’est-à-dire la foi que Dieu suscite en nous. C’est la foi qui s’épanouit au fil des rencontres que nous faisons tout au long de notre existence. Ce n’est pas un ensemble de pratiques rituelles qui renforceraient nos certitudes. La foi chrétienne est adhésion personnelle à une vie transcendée, une vie qui porte du fruit au-delà de ce que nous imaginons réalisable, y compris quand ce n’est pas la saison, y compris en dehors des fêtes chrétiennes, en dehors des heures de culte. La foi chrétienne est un élan de vie qui dépasse largement nos capacités personnelles, justement parce que la foi chrétienne qui nous vient d’un autre que nous-mêmes, fait que nous ne comptons pas que sur nous-mêmes et que nous pouvons adhérer à une histoire autrement plus ambitieuse que ce que notre seule imagination nous faisait entrevoir jusque-là. Contrairement au figuier qui n’était manifestement plus enraciné dans un terreau favorable, contrairement au temple de Jérusalem qui s’était mis à ronronner de son ritualisme, contrairement aux personnes qui se privent des paroles qui suscitent et ressuscitent le goût de la vie, nous pouvons plonger nos racines dans la terre fertile de l’Evangile. Nous pouvons faire retentir la Bonne nouvelle de cet amour inconditionnel possible et permis à tous dont parlent les témoins de l’Eternel. Nous pouvons nous nourrir des fruits de l’Evangile qui restaure notre âme. En vivant ainsi, nous ouvrons notre existence à ce qui la rend fructueuse. Et nous devenons capables, individuellement et en communauté, de rassasier en toutes saisons, en toutes circonstances, celles et ceux qui sont autour de nous et de rendre leur vie infiniment savoureuse.

Amen

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