Prier pour se désapproprier 5/5

Cinquième et dernier volet des entretiens sur la prière avec Béatrice Soltner. Nous abordons la question de la prière d’intercession et des problèmes qu’elle peut poser, car c’est souvent le moment où nous avons tendance à instrumentaliser Dieu et à le soumettre à notre volonté. Nous lui demandons de faire ceci ou cela, d’agir sur tel ou tel événement, de prendre soin d’untel en particulier.

Or, prier comme cela nous disqualifie auprès des personnes non-croyantes et donne des arguments pour rester éloigné des temples. D’abord parce que ce sont régulièrement les mêmes demandes qui reviennent et certaines, comme le combat contre la misère, depuis fort longtemps, sans que nous puissions constater une amélioration nette. Cela n’est pas sans laisser supposer que notre Dieu serait un Dieu distant et silencieux, passablement inactif ou inutile depuis maintenant 2000 ans. Dans ce cas, à quoi bon se lever le dimanche matin pour venir le célébrer ?

Outre le fait que nous le soumettons à notre bon vouloir, nous supposons également que nous savons mieux que lui ce dont nous avons besoin. Cela amène à poser des questions comme : « où était Dieu pendant la Shoah ? » Tenter de répondre à cela amènera à tenir des propos très éloignés de l’Évangile prêché par Jésus-Christ si nous avons en tête un Dieu capable d’agir matériellement dans le monde. Peut-être  Dieu est-il absent ? Peut-être laisse-t-il l’homme régler ses propres problèmes ? Peut-être n’accorde-t-il que peu d’importance à la vie terrestre, et qu’il a un plan de secours au paradis ? Le prophète Elie tenait des propos équivalents au sujet du silence du dieu Baal. Dans le premier livre des Rois, au chapitre 18 verset 28, il est éloquent de voir jusqu’où les êtres humains peuvent aller pour tenter de se faire entendre par une divinité supposée capable d’écoute.

Car c’est bien là que se situe le problème : quelles images avons-nous de Dieu ? Nous l’avons évoqué lors de notre troisième rencontre, avoir en tête l’idée que Dieu est Tout-Puissant, doué de pouvoirs capables d’annuler les lois de la physique amène à des raisonnements comme ceux que nous venons de voir. Or, un Dieu qui est amour – et nous parlons ici de l’amour agapè, non de sentiments humains – n’est pas conciliable avec l’idée qu’il laisse commettre des injustices. Ces deux idées sont antinomiques. Un Dieu qui aime et un Dieu qui laisse souffrir serait, en fait, un Dieu pervers.
L’idée d’un Dieu pervers est  incompatible avec le Dieu que le Christ Jésus prêche : un Dieu qui ressuscite les personnes et non un Dieu qui les diminue. Notre Dieu est un dieu faible, qui refuse toutes les formes du mal, et qui prendra le deuil lors de la mort de son fils.
Le livre de Job exprime très bien ceci. Job était un personnage droit et intègre aux yeux de Dieu. Après que Satan lui a tout enlevé, y compris sa santé, Job a continué à servir son Dieu tout en restant dans l’incompréhension de ce qui lui arrivait. Des amis viennent alors le visiter et en guise d’explication, lui font comprendre que s’il a tout perdu, c’est nécessairement qu’il était coupable de quelques mauvaises actions ou de pensées et qu’il paie pour cela. Ainsi donc, heureux l’homme que Dieu corrige ! Ne refuse pas la correction de Shaddai »,  lui dira Eliphaz en Job 5/17. A la fin du livre, au chapitre 42, nous lisons que Dieu restaure doublement Job dans ses biens matériels, et surtout, Dieu accuse fermement les amis de n’avoir pas parlé de lui avec droiture.

La prière d’intercession fonctionne à partir du moment où nous nous sentons concernés et où nous agissons : la prière d’intercession nous sensibilise aux situations qui appellent notre intervention, notre réaction. Pour le dire avec le pasteur Wilfried Monod, nous devons « prier en ayant retroussé nos manches ». L’idée est que Dieu ne peut pas intervenir matériellement dans le monde, et que c’est à nous de le faire, là où nous le pouvons. Pour le reste, c’est l’œuvre de la grâce. Le prophète Ésaïe l’exprimera comme ceci:

« Comme la pluie et la neige descendent des cieux
Et n’y retournent pas
Sans avoir arrosé, fécondé la terre
Et fait germer les plantes,
Sans avoir donné de la semence au semeur
Et du pain à celui qui mange,
Ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche;
Elle ne retourne pas à moi sans effet,
Sans avoir exécuté ma volonté
Et accompli avec succès
Ce pour quoi je l’ai envoyée. » (Es 55/10-11)

Si la prière dite en secret est là pour nous permettre de prendre conscience de nos besoins d’ordres privés, la prière d’intercession est là pour nous montrer à quel point nous avons besoin d’agir dans le monde, auprès des autres. Lorsque nous prions Dieu de prendre soin d’une personne malade, la prière d’intercession nous invite à dépasser le simple cadre des règlements lorsque nous sommes à notre tour au chevet de personnes malades, et de nous occuper aussi de la dimension humaine. Elle nous invite à faire preuve d’agapè, en toute circonstance de notre vie. C’est là le témoignage de la grâce de Dieu. Ainsi, lorsqu’elle nous met en relation avec des personnes que nous ne connaissons pas ou que nous connaissons suffisamment bien pour les détester, la prière d’intercession évangélise notre cœur et rétablit un lien fraternel avec celles et ceux qui sont, en fait, que cela nous plaise ou non, nos prochains. Ainsi, le royaume de Dieu avance petit à petit et nous voyons alors une spirale vertueuse se dessiner. C’est précisément pour impulser cela que l’Eglise a une vie en dehors des moments cultuels, qui est très souvent liée avec des actions d’entraide, en lien avec les plus démunis. Les annonces partagées en fin de culte présentent d’autres d’occasions pour nous investir dans le monde, tout comme le Christ l’a fait.
Dans l’Eglise Protestante Unie de France, la prière d’intercession se termine par les paroles du « Notre Père », dans lesquelles nous rappelons chaque dimanche, la nécessité de faire advenir le royaume et la volonté de Dieu.

Dieu était bien présent pendant la Shoah. Nous pouvons discerner son action à travers toutes ces personnes qui à l’image de Ponce Pilate, ont fait ce qui étaient en leur pouvoir pour sauver des personnes des camps de la mort. Pour le dire avec le Talmud, « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité toute entière ». A chaque fois que nous faisons preuve d’amour agapé envers les autres, à chaque fois que nous nous soucions de l’autre, sans calcul, sans espoir de retour sur investissement, par grâce seule, à chaque fois que nous agissons comme cela, nous témoignons de la réalité du Dieu vivant de Jésus-Christ. Alors levons-nous, et au travail !

NB : l’émission complète est désormais disponible ici, sous réserve d’une inscription gratuite sur le site.

3 commentaires

  1. Votre Dieu est un dieu faible !
    Petite réflexion :
    Si cela est vrai, alors effectivement il n’exhaussera pas grand chose dans les prières.
    Si à l’inverse il est fort et que vous le priez en ayant la foi qu’il est faible, alors il ne vous exhaussera pas non plus.
    Vous êtes dans l’impasse !
    Dans tous ses miracles (auxquels, je crois comme un enfant), Dieu attend de nous notre entière adhésion, notre foi avant tout … va ta foi t’a sauvé !

    Il en est parmi les aveugles qui ne veulent rien voir (soit !) et qui de surcroît en guide d’autres (aveugles).
    Où cela va t-il vous mener ?
    Désolé, mais votre pâturage n’a pas l’air d’avoir une nourriture aussi savoureuse que là où je pâture, mais c’est selon le goût de chaque brebis !

      1. Ce n’est pas moi que la Bible rebute ! Mais bien vous si j’en crois vos aveux ! Et je suis bien chrétien !
        L’humble samaritaine a réagit bien autrement lorsqu’il lui a été proposé une meilleure eau.
        Vous ne vous interrogez pas vraiment, si ce n’est par l’intermédiaire de l’esprit du monde au travers de la psychanalyse.
        Je ne vais donc pas continuer à vous remuer la conscience, si ce n’est dans mes prières afin qu’un jour vous puissiez voir, ne serait-ce que la Bible, sans qu’elle vous rebute.

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