Prendre ses responsabilités, le dernier discours de Moïse

Le dimanche 7 mai, au matin, nous serons au seuil d’une nouvelle étape de l’histoire de France, à la manière du peuple hébreu aux portes du pays promis par l’Éternel. Au moment où le peuple hébreu va entrer en terre promise, Moïse s’adresse une dernière fois aux Israélites :

Deutéronome 5

1 Moïse convoqua tout Israël, et leur dit : Ecoute, Israël, les lois et les ordonnances que je vous fais entendre aujourd’hui. Apprenez-les, et mettez-les soigneusement en pratique. 2 L’Eternel, notre Dieu, a traité avec nous une alliance à Horeb. 3 Ce n’est point avec nos pères que l’Eternel a traité cette alliance; c’est avec nous, qui sommes ici aujourd’hui, tous vivants. 4 L’Eternel vous parla face à face sur la montagne, du milieu du feu. 5 Je me tins alors entre l’Eternel et vous, pour vous annoncer la parole de l’Eternel; car vous aviez peur du feu, et vous ne montâtes point sur la montagne. Il dit : 6 Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude.

Le sevrage

En déclarant que Dieu a conclu une alliance avec le peuple qui se tient là, en sa présence, et non avec leurs pères, Moïse s’arrange avec la chronologie de l’exode d’Egypte. En effet, à ce moment de l’histoire, quarante années ont passé depuis la sortie d’Egypte (Deutéronome 1/3). Cela signifie que les auditeurs de Moïse sont les enfants de ceux qui étaient sortis de la maison de servitude, qui avaient fait alliance avec l’Eternel à l’Horeb et qui sont morts (Nombres 14/32-34 ; Josué 5/4-7). Selon la narration, c’est bien avec leurs pères que l’alliance a été passée et non avec eux, contrairement à ce que disent les versets 2 et 3.

Par ailleurs, lorsque Moïse précise que Dieu parla face à face avec ses auditeurs, son propos est aussitôt démenti par le verset suivant qui stipule que Moïse a servi d’intermédiaire et que le peuple avait bien trop peur à ce moment-là pour s’approcher de l’Eternel, le Dieu d’Israël.

Ces deux contradictions apparentes tiennent au fait que les textes bibliques ne cherchent pas à décrire le passé qui serait à considérer comme un âge d’or, mais à donner du sens au présent, à souligner les enjeux actuels. Les textes bibliques veulent préparer les lecteurs à faire face au présent, sans intermédiaire. Le message porté par Moïse consiste à dire l’importance pour chaque génération de prendre ses responsabilités.

Moïse, qui va mourir au terme de ce discours d’adieux, prépare les Hébreux à vivre sans sa présence. Pour cela il doit leur faire comprendre deux choses :

  1. ils n’auront plus de conscience auxiliaire – Moïse – qui pensera à leur place, qui sera l’intermédiaire entre eux et Dieu, entre eux et ce qui a valeur d’ultime dans la vie.
  2. La suite de l’histoire ne dépendra que d’eux, de leurs choix, de leurs actes. Dit autrement, l’avenir sera la réponse qu’ils apporteront personnellement aux situations qui se présenteront ; l’avenir relèvera de leur responsabilité.

Cette éthique de la responsabilité présente dans ce discours de Moïse dit non seulement que nous ne pouvons pas nous reposer sur la génération précédente pour vivre sereinement, mais qu’une vie empreinte de liberté dépend de la réponse que nous apportons à chaque étape de notre histoire.

Prendre ses responsabilités, c’est non seulement ne pas s’en remettre à un intermédiaire, c’est ne pas attendre d’un chef de parti, d’un responsable religieux qu’il dise pour qui voter, mais c’est aussi ne pas s’abstenir de donner à la vie les impulsions nécessaires pour se rendre en direction de la terre où une vie bonne est permise.

L’inventaire des servitudes

Le dernier discours de Moïse propose dix paroles qui permettront à chacun de penser sa propre éthique en repérant ce qui entrave ou supprime la liberté.

6 Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude.

7 Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face. 8 Tu ne te feras point d’image taillée, de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. 9 Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui poursuis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération de ceux qui me haïssent, 10 et qui fais miséricorde jusqu’en mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements.

11 Tu ne prendras point le nom de l’Eternel, ton Dieu, en vain; car l’Eternel ne laissera point impuni celui qui prendra son nom en vain.

12 Observe le jour du repos, pour le sanctifier, comme l’Eternel, ton Dieu, te l’a ordonné. 13 Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. 14 Mais le septième jour est le jour du repos de l’Eternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l’étranger qui est dans tes portes, afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi. 15 Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Egypte, et que l’Eternel, ton Dieu, t’en a fait sortir à main forte et à bras étendu : c’est pourquoi l’Eternel, ton Dieu, t’a ordonné d’observer le jour du repos.

16 Honore ton père et ta mère, comme l’Eternel, ton Dieu, te l’a ordonné, afin que tes jours se prolongent et que tu sois heureux dans le pays que l’Eternel, ton Dieu, te donne.

17 Tu ne tueras point.

18 Tu ne commettras point d’adultère.

19 Tu ne déroberas point.

20 Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain.

21 Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain; tu ne désireras point la maison de ton prochain, ni son champ, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain.

 

Le décalogue ne tombe pas du ciel. Il est le fruit d’une réflexion sur ce qui a conduit à la captivité. Il a été mis par écrit à l’époque de l’exil à Babylone qui fut l’occasion de repenser le lien au sol, à la nation pour ne plus en faire une idole, de repenser les notions de frontière, d’universel et de liberté. Les rédacteurs du décalogue sont ceux qui firent l’expérience de la privation de liberté et de ce qu’il en coûte de vivre sans horizon, avec la satisfaction de ses besoins personnels pour seule ambition. Le décalogue constitue un capital d’expérience à partir duquel nous pouvons examiner un programme politique, une candidature, sur leur manière de favoriser ou de dégrader l’humanité et d’en vérifier la compatibilité ou l’incompatibilité de fond avec ce qu’espère la foi chrétienne, avant même d’apprécier les dispositions économiques, sociales, éducatives, législatives.

La liberté, qui est la première des dix paroles et qui donne à l’ensemble sa couleur, se forge par l’intégration de l’altérité dans le quotidien : Dieu transcende notre condition et relativise nos absolus, le prochain transcende nos aspirations et relativise nos besoins. L’autre cesse d’être perçu comme une menace qu’il faudrait éliminer, dévoyer, tromper ou dépouiller. Il n’est pas celui qu’il faut huer pour se sentir exister. L’autre s’avère infiniment plus précieux que la crainte que je peux en avoir de prime abord : il devient un partenaire de l’alliance, de cette possibilité de vivre ensemble selon un intérêt général qui participe à l’épanouissement de chacun.

Un commentaire

  1. « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part « disait Michel Rocard il-y-a presque 30ans devant les militants de la Cimade.
    Voilà de quoi « donner du sens au présent » au moment ou gronde à ciel ouvert et à voix haute la peur et la haine de l’autre différent et ou s’exprime sans gêne, l’envie de l’entre- soi; autrement dit de « la préférence nationale ».
    Voilà de quoi prendre ses responsabilités »….. le dimanche 7 mai.

    Françoise Majal

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