L’étrange Etat moderne de Marine Le Pen

Marine Le Pen, présidente du Front National et candidate à l’élection présidentielle, était interrogée sur TF1, mardi 18 avril. Au cours de l’entretien avec le journaliste Gilles Bouleau, la discussion porte sur les modèles politiques :

– Gilles Bouleau : Y-a t-il dans votre panthéon politique un homme ou une femme qui vous serve de modèle, d’inspiration ?

– Marine Le Pen : En ce moment, Richelieu. Le promoteur d’un Etat moderne, qui a refusé justement peut être qu’une religion prenne le pas sur la France, oui sûrement.

– Gilles Bouleau : Il n’a pas été très amical avec les protestants…

– Marine Le Pen : Qu’est-ce que vous voulez ? C’est peut-être les protestants qui avaient des exigences à l’époque, qui allaient à l’encontre de la Nation.

 

« Il n’a pas été très amical avec les protestants ». En utilisant un euphémisme (Lors du siège de La Rochelle entre 1627 et 1628 seuls un peu plus de 5.000 personnes auront la vie sauve, sur les 27.000 habitants que comptait la ville), le journaliste pousse Marine Le Pen à en dire plus sur le rapport de Richelieu à la communauté protestante et sur ce qu’elle admire chez cet homme d’Etat : « c’est peut-être les protestants qui avaient des exigences à l’époque, qui allaient à l’encontre de la Nation. »

A l’époque, les protestants se conforment aux exigences de l’Edit de Nantes (1598) qui prévoit pour eux des places de sûreté dont La Rochelle est l’une des premières, en vertu de l’Edit de saint Germain de 1570. Cet Edit de Nantes permet la présence des protestants dans quelques villes du Royaume de France, sans pour autant introduire le pluralisme religieux. Il n’est pas question de liberté religieuse pour les protestants, ni de tolérance. Le catholicisme demeure non seulement la religion majoritaire, mais la religion dominante.

Comme le rappelait le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante :

De la naissance du parti huguenot à la première guerre de religion, menée par Condé et Coligny en 1562-1563, jusqu’à la Saint Barthélémy en 1572 qui en brise l’élan, la politique réformée et ses visées sont celles, étonnamment, de la conquête. Avec l’espoir fou d’une véritable Réforme de l’Eglise du pays par une prise de pouvoir, jusqu’à ce que l’Edit de Nantes, après tant de violence, interdise définitivement les assemblées politiques, autrement dit le parti protestant, et ne reconnaisse que des personnes, c’est-à-dire les sujets de la RPR (Religion Prétendue Réformée) et quelques rudiments d’assemblée, c’est-à-dire l’organisation de leurs synodes. Il faudra attendre la paix d’Alès en 1629 pour mettre un terme par la force à ces projets de pouvoir et pour que les protestants entrent dans une attitude de loyauté.

En considérant que Richelieu fut le « promoteur d’un Etat moderne », Marine Le Pen indique sa vision de l’Etat moderne et des moyens pour le mettre en oeuvre.

Une religion unique pour l’ensemble de la Nation, ce qui s’apparente au principe « Cujus regio ejus religio » à chaque région sa religion, à l’échelle du royaume. Le pluralisme religieux est compris, comme par la cour de Louis XIII comme un facteur possible de scission de la population et donc un risque de sédition et de déstabilisation du pays. L’épisode du XVIIème siècle rappelé pendant l’émission de télévision l’a rappelé, c’est aussi la suppression de tout autre parti que celui du roi qui est voulu dans cet acte de guerre mené par le cardinal Richelieu. Le pluralisme religieux est aussi une garantie du pluralisme politique – un fait trop souvent minoré. Richelieu a non seulement œuvré pour qu’une religion prenne le pas sur les autres, mais qu’elle soit l’unique religion.

Plus de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Richelieu (1585-1642), qui commande le siège de La Rochelle, est à la fois cardinal et ministre de Louis XIII (on hésite à parler de premier ministre). Non seulement la vision politique est qu’il n’y ait plus qu’une seule Eglise, mais qu’elle marche main dans la main avec l’Etat. Louis XIV parviendra à cette fusion en instaurant un pouvoir absolu qui, d’ailleurs, provoquera la révocation de l’Edit de Nantes pourtant qualifié d’irrévocable par le roi Henri, son grand-père.

La violence d’Etat comme moyen de gouverner. Dans le cas du siège de La Rochelle, on ne parle pas de violences policières, de dérapages ni de bavures. C’est un massacre en règle : des installations sont conçues par les forces de Richelieu pour empêcher l’approvisionnement de la ville et provoquer une famine. Le nombre des victimes ne fait pas seulement froid dans le dos. Il ferait aujourd’hui le tour de la planète et provoquerait une décision de l’ONU sans le veto d’un membre permanent du conseil de sécurité. Rappelons aussi que les protestants étaient des français qui auraient été qualifiés de souche par ceux qui utilisent cette expression. Bien entendu, des siècles plus tard, quelqu’un comme Charles Maurras dira que les protestants sont le parti de l’étranger et, à la même époque, au début du XXème siècle, on parlera encore du « péril protestant », sans oublier les expressions injurieuses.

Est-ce cela l’Etat moderne auquel aspire cette candidate à l’élection présidentielle, qui a refusé que l’entretien se fasse devant les drapeaux français et européen ? Certainement les protestants de l’époque vivaient encore de ce désir de faire de la France une nation protestante, ce qui n’a rien d’une vision moderne, mais la réplique royale par la main de Richelieu ne fut pas plus heureuse. Elle posa les bases de l’absolutisme royal incarné par Louis XIV ; elle posa les bases de la révocation de l’Edit de Nantes qui conduisit à l’exil massif des forces vives du Royaume et au recul de la France sur le plan culturel et économique, notamment. Le seul bénéfice que l’historien Patrick Cabanel reconnaît à cet exil fut la création de la francophonie par l’essaimage des locuteurs français à travers le monde pour échapper à la tyrannie de l’époque. Maigre consolation.

 

A lire également Les nouvelles larmes du Luberon

 

4 commentaires

  1. Je me disais au début de l’article que peut-être Marine le Pen ne sait pas de quoi elle parle et qu’elle a voulu répondre quelque chose « d’intelligent et de toute façon, de non maîtrisé par une grande parti du public ».
    Mais en continuant la lecture, je me dis qu’elle sait très bien de quoi elle parle… Flippant.

    1. Tout à fait, on peut reprocher à Mme Le Pen des tas de choses, mais on ne peut certes pas lui reprocher de ne pas assumer ses convictions souverainistes, laissant très peu d’espace à toutes les minorités qui ne « cadrent pas » avec sa vision totalitaire de la France… On ne peut hélas pas en dire autant des autres candidats, bradant souvent les convictions pourvu d’arriver au pouvoir..

  2. à juste titre, et en toute objectivité historique face aux « demi-vérités » ou âneries de Mme Le Pen, lire l’intéressant ouvrage biographique de Max Gallo « Richelieu – la foi dans la France », de l’Académie Française, richement documenté par les nombreuses correspondances de Richelieu (encore existantes et conservées) depuis son ascension à la Cour de France jusqu’au crépuscule du pouvoir terrible qu’il a exercé… http://www.xoeditions.com/…/09/RICHELIEU_CV-651×1024.jpg

  3. Bonjour James. Je ne connaissais pas encore votre blog merci pour cette article. Au plaisir de vous revoir à l’Oratoire. Hans Ducholet

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.