Nettoyer la foi

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Luc 19/45-48

45 Jésus entra dans le temple, et il se mit à chasser ceux qui vendaient, 46 leur disant : Il est écrit : Ma maison sera une maison de prière. Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. 47 Il enseignait tous les jours dans le temple. Et les principaux sacrificateurs, les scribes, et les principaux du peuple cherchaient à le faire périr; 48 mais ils ne savaient comment s’y prendre, car tout le peuple l’écoutait avec admiration.

Entre l’entrée haute en couleur et ce qui se passera à Pâques, Jésus passe par le temple. Il y va certainement pour prier et se préparer intérieurement pour la grande fête juive qui va se dérouler dans quelques jours. Mais son passage au temple ne se passe probablement pas comme il l’avait prévu. Au lieu de se recueillir, Jésus s’attaque aux marchands qui vendent les animaux qui seront utiles pour les sacrifices que les uns et les autres souhaitent offrir à Dieu. Jésus ne voit pas le temple pour ce qu’il est destiné à être (une maison de Dieu, « une maison de prière »), mais pour ce qu’on en a fait, « une caverne de voleurs ».

N’est-ce pas, également, l’expérience que fera Martin Luther, un moine augustin né au XVème siècle qui avait une ferveur religieuse semblable à nulle autre. Le sentiment religieux de Luther se heurta, lui aussi, à la réalité qui n’était faite que de spiritualité. Luther vivait dans un moment de l’histoire chrétienne où la question du salut, de ce qui pouvait nous arriver après la mort, occupait une très grande partie des préoccupations. Que faire pour éviter l’enfer ? Que faire pour réduire le temps passé au purgatoire, ce lieu supposé être la salle d’attente de son jugement personnel ? Ces questions, Luther se les posait avec une intensité que nous avons probablement du mal à mesurer de nos jours parce qu’elles ne sont plus d’actualité, du moins dans ces termes. Luther s’interrogeait avec angoisse sur la manière sûre d’acquérir les faveurs de Dieu.

Lui, qui était professeur d’Ecritures saintes, trouva ses réponses dans l’étude des textes bibliques et, tout particulièrement, dans l’épître aux Romains qui proclamait le salut par la foi, et certainement pas par les œuvres. C’est dans cette méditation des mots de l’apôtre Paul que Martin Luther trouva un soulagement et une meilleure compréhension de ce qu’est la religion, de l’action de Dieu et de la fonction de l’Eglise. Ouvrant les yeux sur la situation de l’homme, il vit alors ce que l’Eglise était devenue : « une caverne de voleurs », un repaire de « marchands » qui commerçaient le devenir des morts, notamment par le biais des indulgences. C’est pour cette raison que Martin Luther afficha 95 thèses contre les indulgences sur la porte du château de Wittenberg, il y a cinq cents ans cette année. C’était sa manière d’agir contre la mainmise de l’Eglise sur la grâce de Dieu et de rendre à Dieu son honneur.

95 thèses sur un bout de papier affiché en un lieu que nous serions bien en peine de localiser sur une carte d’Europe si Luther n’était pas devenu la figure emblématique de la Réforme protestante du XVIème. Luther avait-il conscience de la portée de son geste ? Imaginait-il l’impact que cela aurait non seulement au sein du christianisme, mais au plan international ? Cela, le professeur Jean-François Zorn nous en parlera dans quelques minutes, en se demandant si la Réforme était ouverte au monde.

Ce que nous pouvons constater, c’est ce que la sagesse populaire et les mathématiques nous ont enseigné : de petites causes peuvent produire de grands effets. Ici un prophète du Proche Orient qui avait à cœur de prêcher l’amour du prochain et de Dieu qui s’efforce de retrouver le cœur de la spiritualité en chassant ceux qui vendent une spiritualité par procuration. Là un professeur qui veut réformer une religion qui s’est mise à faire écran entre les croyants et Dieu. Plus tard, l’histoire du protestantisme sera jalonnée de figures emblématiques de la lutte pour une foi plus sincère, une foi dépouillée de ses artifices, une foi qui vise à Dieu et non à quelque pouvoir de ceux qui sont en charge de la vie de l’Eglise ou de la responsabilité de personnes. Autant de petits battements d’aile de papillons qui ont provoqué des ouragans dans le monde des idées parce que les circonstances étaient favorables et parce que leurs intuitions étaient justes, elles avaient un caractère universel – terme qu’il faut employer avec humilité car l’histoire du protestantisme a aussi côtoyé un sentiment de supériorité qui a pu conduire à une forme d’impérialisme théologique, culturel et, par extension, politique.

Nettoyer le temple de Jérusalem, symbole de la religion, mais aussi du pouvoir religieux, un acte somme toute banal, non pas insignifiant, mais très local, conduit les responsables du peuple à chercher le moyen de faire périr Jésus. Cet acte de réformateur conduira Jésus sur la croix, ce qui bouleversera le monde, finalement. Lorsque Martin Luther affichera les 95 thèses, il n’y avait pas de raisons objectives d’y voir la source du chamboulement qui allait arriver. C’est pourtant cette date qui allait être retenue par la postérité pour identifier le point de départ de la Réforme. Le professeur André Gounelle donne des explications très convaincantes dans « Pourquoi 1517 ? » un article paru dans le numéro d’avril d’Evangile et liberté. Nous pourrions ajouter que cette date, plutôt que 1520 lorsque Luther brûlera la bulle papale qui l’excommunie de l’Eglise, indique qu’il n’était pas question de choisir la rupture comme point de départ, mais la Réforme, c’est-à-dire l’ardent désir d’améliorer ce qui pouvait l’être, d’abandonner ce qui était une entrave à la foi telle que la révèle la Bible, sans couper les ponts, sans fracturer les croyants.

Aujourd’hui, quels seraient les aspects de notre religion à réformer ? Quelles sont les questions qui préoccupent nos esprits et ceux de nos contemporains et qui pourraient trouver de nouvelles réponses à la lumière de l’Evangile ? Qu’y a-t-il à chasser, qu’y a-t-il à réformer, qu’y a-t-il à entreprendre pour que notre vie retrouve l’éclat qu’elle peut avoir quand elle vécue dans la maison de l’Eternel et non dans une caverne de voleurs ? Qu’y a-t-il à rejeter, qu’y a-t-il à favoriser pour que nous puissions ressusciter notre existence ? Face aux tragédies qui ensanglantent notre quotidien, s’interroger de la sorte n’a rien de dérisoire.

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