Vindicta interrupta

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Exode 27/1-8

1 Tu feras l’autel de bois d’acacia; sa longueur sera de cinq coudées, et sa largeur de cinq coudées. L’autel sera carré, et sa hauteur sera de trois coudées. 2 Tu feras, aux quatre coins, des cornes qui sortiront de l’autel; et tu le couvriras d’airain. 3 Tu feras pour l’autel des cendriers, des pelles, des bassins, des fourchettes et des brasiers; tu feras d’airain tous ses ustensiles. 4 Tu feras à l’autel une grille d’airain, en forme de treillis, et tu mettras quatre anneaux d’airain aux quatre coins du treillis. 5 Tu le placeras au-dessous du rebord de l’autel, à partir du bas, jusqu’à la moitié de la hauteur de l’autel. 6 Tu feras des barres pour l’autel, des barres de bois d’acacia, et tu les couvriras d’airain. 7 On passera les barres dans les anneaux; et les barres seront aux deux côtés de l’autel, quand on le portera. 8 Tu le feras creux, avec des planches; il sera fait tel qu’il t’est montré sur la montagne.

Chers frères et sœurs, la Bible recèle des trésors d’exotisme. Ce passage en fait partie , qui décrit la construction de l’autel, la pièce centrale du culte hébreu, puisque c’est sur l’autel que les sacrifices offerts à Dieu étaient préparés. Nous serions même en droit de nous demander pourquoi ce genre de textes a-t-il été conservé dans la Bible, ce recueil de textes qui fait, pour nous, autorité en matière de foi. N’est-ce qu’une survivance d’un âge révolu… qui laisserait alors entendre que la Bible, elle-même, n’est qu’un document archéologique, capable de nous dire ce qu’était la religion il y a plus de vingt siècles, mais incapable de nous révéler quoi que ce soit pour aujourd’hui ? La Bible recèle des trésors d’exotisme qui sont autant de ressources encore utiles pour aujourd’hui, pour peu que nous prenions la peine d’en comprendre le sens à l’époque et de pouvoir le traduire aujourd’hui.

  1. Interrompre le cercle vicieux de la vengeance

Je retiens des consignes pour fabriquer l’autel, la nécessité de fabriquer quatre cornes, une à chaque coin de l’autel, qui seront solidaires de l’autel. Certainement est-ce le plus étonnant : bien plus que de préparer une grille pour griller ou d’installer des barres pour déplacer l’autel. Pourquoi une corne à chaque coin de l’autel ? En faisant preuve d’un peu de curiosité, nous pouvons facilement comprendre ce que viennent faire des cornes sur l’autel. Il suffit de se rendre dans le premier livre des Rois, au premier chapitre qui raconte la succession du roi David. Adoniya, l’un des fils de David, estime que la royauté lui revient, parce qu’il est l’aîné, et il organise sa propre consécration (1 R 1/5, 25). Mais Bethsabée qui avait convenu avec David que ce soit Salomon, s’arrangera pour que cela se réalise, effectivement, avec le concours du prophète Nathan (1 R 1/39). Adoniya a donc commis un crime de lèse-majesté et il a tout à craindre de la vengeance de Salomon. Comme il tient à la vie, il se lève et va saisir les cornes de l’autel (1 R 1/50). Le texte biblique continue le récit de cette manière : « on fit ce rapport à Salomon : voici qu’Adoniya, par crainte du roi Salomon, a saisi les cornes de l’autel en disant : que le roi Salomon me jure aujourd’hui qu’il ne fera pas mourir son serviteur par l’épée ! »

Les cornes de l’autel ne servent pas seulement à attacher les victimes qui vont être sacrifiées. Elles ont aussi un rôle en matière de justice. Dans le cas où un individu a mal agit, il pourra saisir l’une des cornes de l’autel pour éviter que la vengeance s’exerce sur lui immédiatement. A la manière des jeux de cour d’école, il y a une règle qui indique un lieu où il n’est plus possible d’être attrapé par l’équipe adverse. Les écoliers crient « maison ! », les Hébreux saisissaient la corne de l’autel dans la maison de l’Eternel. Le temple était donc, aussi, un lieu pour se réfugier quand on craignait pour sa vie : un lieu où régnait une forme d’immunité, du moins temporaire. Dans la société hébraïque que nous décrit la Bible, les mauvais comportements entraînaient souvent des gestes de vengeance. Saisir les cornes de l’autel était un moyen d’échapper à ce que la Bible nomme « le vengeur de sang » (Dt 19/12).

Les cornes de l’autel sont donc un moyen d’interrompre le cercle vicieux de la vengeance. La maison de l’Eternel devient alors un lieu où le coupable peut trouver refuge, asile, et échapper à la vindicte populaire. Saisir les cornes de l’autel peut avoir la même fonction qu’une soupape d’échappement : faire baisser la pression, c’est-à-dire faire baisser le niveau de violence.

Bien évidemment, nous pouvons avoir une conception de la justice qui consiste à punir les coupables, voire les châtier si nous voulons exprimer la satisfaction que certains ressentent à ce qu’un coupable soit puni pour le mal qu’il a fait. Mais pensons aux moments qui précèdent l’arrestation, surtout lorsque d’importants moyens sont déployés : cela devient une traque. A supposer que ce soit un délinquant qui est poursuivi, il devient telle une bête traquée qui peut se métamorphoser en bête féroce, capable de devenir criminelle. Plus il aura le sentiment d’être pris au piège et plus le désir de vengeance sera fort chez ceux qui le poursuivent, plus il sera poussé à être de plus en plus violent. Saisir les cornes de l’autel, offrir un asile, une immunité temporaire, c’est un moyen d’enrayer l’escalade et de faire tomber la pression, manière d’éviter un plus grand drame.

Nous n’avons pas de cornes sur notre table de communion (d’ailleurs, nous ne pouvons pas vraiment dire qu’elle soit transportable ni qu’elle soit ce qu’était un autel), mais cette fonction d’interruption de la vengeance, il serait précieux que nous puissions l’incarner. Il serait précieux que nous soyons en mesure de pouvoir enrayer les mécanismes de violence collective, de cercle vicieux de la violence [ce que René Girard appelait la violence mimétique]. Il serait bon qu’en tant qu’Eglise, c’est-à-dire communauté tenant lieu de l’Eternel, nous soyons en mesure de dédramatiser les situations conflictuelles, clivantes, délétères. Pour une part, le secret professionnel auquel sont tenus les ecclésiastiques, aussi appelé secret de la confession, est-il une manière d’offrir une soupape d’échappement à celles et ceux qui pourraient bien exploser parce qu’ils se sentent pris au piège – il y a bien des pièges dans lesquels nous pouvons avoir le sentiment d’être prisonniers.

Plus largement, il serait précieux que les Eglises puissent participer à l’œuvre salutaire qui consiste à faire baisser le degré de violence, ce qui est déjà une manière de rendre notre société plus vivable.

  1. Libérer la parole

Saisir les cornes de l’autel, dans l’Israël biblique, n’était pas une garantie d’échapper à la sanction, ni à la mort. Toujours dans le livre des Rois, au chapitre suivant, Joab s’enfuit en direction de la tente de l’Eternel et saisit les cornes de l’autel. Au final, Salomon ordonnera qu’on le frappe à mort (1 R 2/28-31).

L’autel est le lieu pour faire les sacrifices, ce qui consiste à tuer un animal et à le brûler en partie ou en totalité, sans oublier que les offrandes peuvent être végétales. Les sacrifices ne consistent pas à apaiser la colère de Dieu, comme on l’imagine souvent. Les sacrifices ont lieu quand les torts ont été réparés, après les guérisons etc. Nous pouvons envisager les sacrifices comme des repas, comme des moments de convivialité, qui ne cherchent pas d’abord à nourrir, mais à vivre quelque chose ensemble. Un sacrifice, c’est un repas avec la divinité qui dit la familiarité avec la divinité, qui dit la proximité.

Autrement dit, dans un cadre d’injustice, se placer au niveau de l’autel, c’est intégrer Dieu au cœur de la situation. La justice sera alors teintée du divin. En nous souvenant que ce que Dieu veut ce n’est pas la mort du pécheur, mais qu’il se détourne de ses voies et qu’il vive (Ez 18/23), en nous souvenant que Dieu crée un monde vivable par la parole, nous réalisons que saisir les cornes de l’autel, c’est passer du stade de l’émotion qui conduit facilement à la vengeance, au stade de la parole, qui peut conduire à la communion. La communion peut sembler être un idéal inatteignable, c’est en tout cas l’idéal qui peut orienter notre compréhension de la justice. C’est l’idéal qui peut nous faire réaliser qu’il est préférable de laisser de côté la colère et de faire place à la raison. C’est en libérant la parole, en permettant à chacun de s’exprimer, en organisant le dialogue –ce que nous appelons le débat contradictoire lors d’un procès- que nous faisons preuve d’humanité. Saisir les cornes de l’autel, c’est essayer de passer d’une logique de l’affrontement (la vengeance) à une logique de communion (le dialogue). Un autel sert à cela.

Et c’est aussi à cela que nous pourrions servir, en tant que communauté formant le temple de Dieu : permettre d’injecter de la raison dans ce qui n’est que passion. Permettre de la médiation entre les personnes et les groupes qui s’affrontent au lieu de chercher à se comprendre. Une communauté ecclésiale pourrait être un lieu où les infracteurs seront toujours les bienvenus, non pour leur offrir une immunité permanente, mais pour temporiser la violence dont les agresseurs et les victimes sont capables en situation d’injustice. Une communauté ecclésiale pourrait être un lieu qui interrompt la mécanique implacable de la violence en remettant un peu d’humanité dans la sauvagerie dont nous sommes malheureusement capables.

Pour une part, l’activité religieuse pourrait consister à offrir les moyens d’une justice qui restaure chacun dans son droit, dans sa dignité et dans sa capacité à présenter un visage humain et à interrompre la vengeance.

Un commentaire

  1. Bonjour.

    Très bien. Et comment cela va-t-il se faire ?
    Qui va faire quoi, dans quel contexte, quelle forme d’organisation, mettre en oeuvre la conjugaison des talents (peut-être) spécifiques ?
    Si demain, si aujourd’hui, il est impératif de passer à la pratique du réel.

    Ne faut-il pas voir dans ces responsabilités à assurer et à assumer, d’abord une conception de la relation à l’autre, violent, dangereux même, très différente de celles habituellement rencontrées, interrogeant et mettant en question les raisonnements traditionnels, impliquant le besoin de dépoussiérer (nettoyage de printemps, Pessah, Pâques), d’honnêteté avec soi-même. Etre très au clair et pragmatique. C’est peut-être douloureux pour soi, mais n’est-ce pas un travail nécessaire, à tout le moins, respectueux à l’égard d’autrui, dont la violence toujours dérangeante, traduit tant d’incompréhensions, de désirs non-dits, enfouis sous le boisseau.

    A votre avis ?

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