Faiblesse de Dieu, puissance de l’appel

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1 Corinthiens 1/17-31

17 Car Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans la sagesse du langage, afin que la croix du Christ ne soit pas rendue vaine.
18 Car la parole de la croix est folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est puissance de Dieu.
19 Aussi est-il écrit : Je détruirai la sagesse des sages, Et j’anéantirai l’intelligence des intelligents.
20 Où est le sage ? où est le scribe ? où est le contestataire de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ?
21 Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication.
22 Les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse :
23 nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens,
24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.
25 Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.
26 Considérez, frères, comment vous avez été appelés : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles.
27 Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ;
28 Dieu a choisi les choses viles du monde, celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à rien celles qui sont,
29 afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu.
30 Or, c’est par lui que vous êtes en Christ-Jésus qui, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, et aussi justice, sanctification et rédemption,
31 afin, comme il est écrit : Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur.

Chers frères et sœurs, Dieu est-il capable de faire un bâton avec un seul bout ? Si Dieu est tout-puissant, cela ne devrait pas être un problème. Si Dieu est effectivement tout-puissant, ce n’est pas un simple morceau de bois qui devrait lui donner du fil à retordre. Il serait tentant de dire que si Dieu a besoin d’un bâton avec un seul bout, il pourra le faire bien volontiers. Car « rien n’est impossible à Dieu », selon la formule de l’ange Gabriel (Luc 1/37). Il est tentant de se dire que rien ne résiste à Dieu, que Dieu peut tout. Toutefois, si c’est bien le cas, alors de graves problèmes se posent. Car si Dieu peut tout, alors nous serions en droit de lui demander quelques explications sur des situations que nous sommes en droit de juger inacceptables.

  1. Dieu et le mal

Pour reprendre la réflexion du philosophe Paul Ricoeur sur le mal, si Dieu est tout-puissant, alors que nous disons aussi qu’il est amour, comment se fait-il qu’il y ait autant de malheurs et de souffrances dans le monde, autant de ratés dans l’histoire. Et, pour le dire sur le ton de la badinerie, comment se fait-il, si Dieu est effectivement tout-puissant que Donald Trump soit en passe d’être élu 45ème président des Etats-Unis d’Amérique ? Dieu tout-puissant, Dieu d’amour, persistance du mal… les trois ne vont bien ensemble qu’à la condition que le Dieu de Jésus-Christ soit un Dieu pervers, un Dieu qui dit aimer, mais d’un amour qui dévore, d’un amour semblable à l’amour qui aime les îles flottantes… Si Dieu aime, qu’il peut tout, et qu’il n’empêche pas les atrocités, c’est qu’il n’aime pas d’un amour agapè, de cet amour dont la Bible dit qu’il prend soin de celui qui en a besoin.

Une autre explication a été trouvée par des théologiens qui voulaient sauver la théologie chrétienne qui ne peut pas faire l’impasse sur l’amour de Dieu tout en voulant préserver la majesté glorieuse du Dieu tout-puissant. Considérant que les voies de Dieu sont au-dessus des voies de l’Homme, considérant que nous n’avons qu’une compréhension partielle de la marche du monde, il se pourrait que ce que nous prenons pour une injustice soit un bien à plus grande échelle, à l’échelle de Dieu. Prenons l’exemple d’une vaccination : la zone de votre peau qui se fait piquer par l’aiguille a toutes les raisons de considérer qu’elle subit une offense : elle a mal, elle subit du mal. Mais à l’échelle d’un individu, cette piqûre qui dispense un vaccin qui évitera une grippe fâcheuse voire une maladie bien plus terrible, est un bienfait.

Toutefois, cette manière de tenir ensemble la toute-puissance divine et la présence du mal dans notre histoire se résume le plus souvent par une formule maléfique : « c’est le mystère de la foi ». Ce mystère de la foi n’est pas seulement grand, il présente un inconvénient majeur : il laisse intacte l’incohérence qu’il y a entre la confession d’un Dieu d’amour et la présentation d’un Dieu tout-puissant. Si Dieu est effectivement tout-puissant, alors il peut régler les problèmes d’une manière toute positive, sans avoir recours à des solutions entachées d’injustice ou de terreur. Non seulement il est possible d’instaurer la paix sans avoir recours à des milliers de morts, mais il est possible de sauver l’humanité sans faire couler le sang de Jésus.

L’autre tentative est de considérer que Dieu n’intervient pas dans la marche du monde de manière à laisser les êtres humains libres, totalement libres. Cette vision est assez proche de ce que le judaïsme nomme le retrait de Dieu (tsim-tsoum en hébreu). Dieu se retire pour laisser aux hommes et aux femmes l’espace nécessaire pour mener leur vie en toute liberté. Dans une certaine mesure, cela revient à dire que Dieu se retient d’être Dieu. Pour le dire avec une analogie, Dieu mène les élèves dans la cour d’école puis se retire dans sa classe, laissant les enfants s’écharper. Mais qui laisserait quelqu’un courir un danger sans essayer d’intervenir ? Qui laisserait son enfant se mettre en danger ? Qui laisserait quelqu’un souffrir au prétexte que c’est sa liberté qui s’exprime ainsi ? Dans ce cas, si Dieu peut éviter un drame, mais ne le veut pas, cela ne change rien à ce scandale d’un Dieu que l’on pourrait qualifier de sadique. Nous restons dans la même impasse. C’était aussi la conclusion du pasteur Wilfred Monod qui s’intéressa à cette question au début du XXème siècle. Dans son discours aux croyants et aux athées il poursuivait cette discussion en écrivant : « Alors on nous objecte : Dieu ne veut pas expressément ce mal, il se borne à le permettre ! Oui, il le permet expressément et cela revient au même. Alors dira-t-on que s’il ne permet pas, il essaie d’empêcher ? C’est précisément l’hypothèse que je formule. Dieu s’efforce d’empêcher et ne réussit pas toujours. (Aux croyants et aux athées) »

  1. La faiblesse de Dieu

Dieu veut, mais ne peut pas. Voilà ce que nous révèlent bien des textes bibliques si nous prenons au sérieux l’affirmation que Dieu est amour – cet amour agapè qui incarne la grâce. Dieu veut, mais ne peut pas – au sens où il ne peut pas toutes choses. C’est dans cette direction que nous conduit également l’apôtre Paul qui s’adresse aux Corinthiens avec ces accents théologiques de la faiblesse de Dieu. Au verset 25 nous avons lu « la faiblesse de Dieu est plus forte que les humains ». Nous pourrions y voir une figure de rhétorique qui consiste à dire que, même amoindri – asthénique, pour garder la racine grecque-, Dieu reste plus fort que nous : même lorsqu’il se retient, Dieu reste plus fort que nous. Mais le texte grec comporte non seulement l’article défini qui fait de « la faiblesse » une caractéristique divine, mais il inscrit cette faiblesse dans le cadre plus large de l’opposition à la force, voire la violence dont l’homme est capable et qui trouve son exemple le plus net dans la croix du Christ Jésus et qui donne l’expression du logos de la croix, de la logique de la croix.

La logique de la croix, pour reprendre l’expression de Paul au verset 18, est caractéristique du divin et, par contre coup, de ce dont les êtres humains sont eux aussi capables. La croix a révélé à Paul que la puissance de Dieu n’est pas un pouvoir brutal. La puissance de Dieu ne s’exprime pas dans la capacité à exécuter sa volonté, à contrecarrer toute opposition, à écraser toute révolte. La croix de Jésus révèle le Dieu de Jésus-Christ dans toute sa faiblesse, ce qui ne veut pas dire toute son impuissance. Dieu est faible au regard de ce que nous tenons pour fort. Si nous nous attendons à ce que Dieu retire les clous qui retiennent Jésus sur la croix ; si nous nous attendons à ce que Dieu corrige les trajectoires des missiles qu’expédient nos avions de chasse ; si nous nous attendons à ce que Dieu coupe les fils des engins explosifs des terroristes ; si nous nous attendons à ce que Dieu éteigne notre cuisinière lorsque les légumes sont cuits ; si nous nous attendons à ce Dieu empêchent que les voitures soient garées en double file, nous sommes semblables à ceux qui criaient à Jésus « descends de la croix, sauve-toi toi-même (Mt 27/40) » et qui ont l’idée que Dieu est un être surnaturel capable d’accomplir des actes surnaturels.

La logique de la croix révèle un Dieu différent de nos fantasmes de toute-puissance. La logique de la croix a révélé à Paul que Dieu n’a pas à sa disposition la contrainte physique. Il ne peut empêcher personnellement ni la torture, ni les privations de liberté, ni les exécutions capitales, pour reprendre les sujets que traite l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT), dont les membres ne voient guère d’un bon œil qu’un adepte de la torture, de la peine de mort et qui récuse la convention de Genève, devienne le prochain locataire de la Maison Blanche à Washington.

  1. Dieu est ce qui nous appelle

Je disais que si Dieu n’est pas tout-puissant, il n’est pas non plus impuissant ; c’est ce que l’apôtre Paul rend manifeste. Face à un monde qui se pense sage en gérant le mal par le mal, qui envisage que la gloire appartient au plus fort, Paul oppose ce qui est alors une folie au regard de cette sagesse mondaine. Cette folie, c’est le fait que Dieu appelle. Dieu appelle… cela semble tellement dérisoire, insignifiant. Dieu appelle les Juifs et les Grecs, les croyants et les non-croyants, pour changer le cours des choses, pour intervenir sur les situations qui méritent une attention particulière. Dieu qui appelle, c’est ainsi que le professeur John Caputo qui a écrit un livre intitulé La faiblesse de Dieu, une théologie de l’événement (Labor et Fides, 2016), évoque le Dieu qui se révèle dans les textes bibliques. C’est le Dieu de la promesse – et qu’il y a-t-il de plus stimulant, mais aussi de plus faible qu’une promesse ?

Une promesse est on ne peut plus fragile : elle peut ne pas être entendue, elle peut ne pas être reçue comme le rappelle Jean au tout début de son évangile. Mais à ceux qui s’en saisissent, elle donne la faculté de devenir enfant de Dieu (Jn 1/10-12). Une promesse n’est pas une chose matérielle et cela peut nous donner le sentiment qu’elle a donc peu de valeur. Mais ce sont justement par les choses non matérielles, les choses qui ne sont pas quelque chose, ce qui est sans substance, que Dieu choisit de s’exprimer (v.28). C’est par ce qui n’est pas (ta me onta) que Dieu s’exprime. Cela vaut pour Dieu également, qu’il ne faudrait pas prendre pour une super-substance au pouvoir surnaturel. John Caputo, dans une formule à la tonalité délicieusement anglo-saxonne, écrit : « Dieu appartient à l’air, à l’appel, à l’esprit qui inspire et aspire, qui respire la justice (p. 81). » Et si nous parlions de Dieu comme de ce qui désigne le processus de respiration de notre humanité ? Qu’y a-t-il de plus fragile qu’une respiration qui peut-être empêchée de tant de manières ? Et qu’y a-t-il de plus nécessaire aussi, de plus impératif que la respiration pour un être ?

Le Dieu de Jésus-Christ, c’est le Dieu de l’appel, ce Dieu appelle inlassablement, ce Dieu qui suscite des libérateurs comme Moïse, qui suscite des juges comme Gédéon, des prophètes comme Samuel et Nathan. C’est le Dieu qui appelle à la vie par ses messagers tels Gabriel. C’est le Dieu qui appelle des disciples à cheminer sur les voies de l’amour. C’est le Dieu qui appelle ceux qui ne sont pas des sages selon la chair, ceux qui ne pas spécialement puissants, ni forcément bien nés (v.26). Dieu est un appel et je dirais un appel d’air dans une histoire humaine qui sent parfois le renfermé. Dieu pourquoi ne pas en parler comme d’une respiration qui donne de l’oxygène à notre vie quotidienne.

Dieu est ce qui nous appelle à répondre aux injustices, à être responsables, par conséquent face à ce qui abîme l’humanité en réduisant la liberté, en bridant l’amour, en empêchant la fraternité, en dégradant les corps, en effaçant les singularités. Dieu est ce qui nous appelle à protester en suscitant la foi, c’est-à-dire suscitant un intérêt inconditionnel pour des sujets majeurs et en suscitant notre engagement pour les causes dont on peut dire qu’elles sont parées d’une noblesse est divine. Dieu est cette respiration qui mêle la promesse de la vie à nos problèmes, à nos angoisses, pour donner une nouvelle profondeur à notre horizon.

2 commentaires

  1. Je suis très sensible à votre idée de la respiration divine qui rejoint le « souffle » que perçoit Eli.
    Comme je suis très sensible à votre idée de «l’appel de Dieu » qui ainsi aurait besoin de l’homme ; qui ainsi laisserait à l’homme la liberté de saisir l’occasion d’exprimer la vocation qui est la sienne : faire advenir l’Agapé

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